François D’Haene est grand par la taille, le talent et le palmarès. Pourtant, il y a 2 ans, la légende de l’ultra-trail est tombée, affaiblie par les blessures. Les lois de la physique ont alors opéré : plus on est grand, plus on tombe de haut, et plus il est laborieux de se relever. En revanche, une fois debout, on peut avancer confiant quant au fait de ne plus vaciller. C’est la dynamique à laquelle aspire le quadruple vainqueur de l’UTMB. Le ‘Grand’ fait son retour, mais sans convoiter le ‘grand retour’. Son rêve est plus simple que cela : il espère un come-back discret et progressif. Rencontre authentique avec un ultra-champion vulnérable et combatif.
Francois D'Haene vient de signer ce mercredi 11 septembre son premier succès majeur depuis trois ans sur le monstrueux Tor des Géants (330 km et 24.000 m de D +). Simon Dugué qui l'a suivi tout au long de sa course livre un message poignant sur ses réseaux sociaux :
" Le corps humain est une machine incroyable. Jusqu’à ce qu’il déraille. Il y a un an François tombait à terre. Malchance, destin, qu’importe : le plus grand coureur d’ultra de l’histoire n’était plus vraiment lui-même. Loin des sentiers, loin des sommets, il a perdu une part de son identité. Mais une légende ne meurt jamais. Surtout, elle sait constamment nous surprendre. François était au départ de la Diag. Cette course où il a écrit certains des plus beaux chapitres de notre sport. François n’y allait pas pour gagner. François y allait pour renaître. Retrouver cette chose qui fait de lui un être à part. Se rappeler qu’il est fait pour courir longtemps. Très longtemps. Hier, François n’a pas gagné, lui qui gagne tout le temps. Mais François a montré au monde qu’il avait du coeur. Et qu’il était de retour."
Nous l'avions rencontré en juillet dernier :
OPTIMISME, ANDORRE & ADAPTATION PERMANENTE
Tu es à l’aube de ton « grand retour ». Comment te sens-tu ? Comment envisages-tu ce come-back ?
La progressivité sera le mot-clé. J’ai déjà amorcé les prémices de ce retour en participant à la Diagonale des Fous, l’automne dernier. J’ai d’ailleurs été agréablement surpris de la manière dont j’ai pu courir et assimiler ce Grand Raid de La Réunion. Cela m’a mis dans une dynamique positive : en décembre, j’ai enlevé le matériel que j’avais encore dans la jambe ; puis, dans la foulée, j’ai enchaîné sur un hiver magnifique. J’ai atteint, d’un point de vue du ‘moteur’ pur, un niveau physiologique que je ne suis pas certain d’avoir déjà eu dans ma carrière. En parallèle de cela, j’ai réussi à maintenir 1 ou 2 footings par semaine, ce à quoi je ne m’étais jamais astreint auparavant car, habituellement, je sortais les skis du placard en même temps que j’y rangeais les baskets.
J’ai aussi fait beaucoup de kiné et d’ostéo. Bref, tous ces signaux positifs mis bout à bout, je suis entré dans le printemps très optimiste : je pensais qu’à la vraie reprise du trail, ça allait dérouler... J’étais confiant. Peut-être un peu trop. Manifestement, tout n’est pas si rose.
je signerais pour revivre ça, même après les 2 années de galère que je viens de traverser
Quand tu affirmes que dans cette phase de reprise, « tout n’est pas si rose », qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
Ça signifie qu’à l’instant T, je suis dans l’adaptation permanente. J’ai encore des compensations liées à mon opération de la cheville qui font que ça tire un peu partout. C’est une période difficile car j’avance dans le flou : je ne sais pas à quel point je peux pousser mon corps sans prendre trop de risque, à quel point je peux m’entraîner sans hypothéquer la suite de la saison, à quel point je peux prendre du plaisir sans que la mécanique ne lâche... Je marche sur des œufs, car c’est aussi en mettant mon corps en activité que celui se renforce. L’équilibre est dur à trouver et la limite très fine. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas envie de parler de « grand retour » : pour le moment, j’ai simplement le souhait de pouvoir m’entraîner et m’amuser en montagne comme avant, sans arrière-pensée quant à la manière dont mon métabolisme va réagir. Je miroitais un come-back peut-être trop facile, donc forcément il y a un peu déception. C’est une vraie épreuve mentale. Il faut s’armer de résilience. Et maintenir le cap.
C’est une vraie épreuve mentale. Il faut s’armer de résilience. Et maintenir le cap.
Tu t’apprêtes à retrouver la compétition, dans quelques jours, sur un ultra-trail en Andorre (107 km, 6700 D+, samedi 15 juin). Qu’est-ce que tu ressens à l’idée d’épingler ce dossard ? De l’excitation, de l’appréhension, de la nervosité, de l’impatience ?
Pas du tout. Ça, ce sont plutôt des choses que tu expérimentes lorsque tu te sais bien préparé. Tu as un peu la dalle, tu as le désir de jouer, tu te demandes comment ça va se passer, si tu vas réussir à exploiter ta forme... Là, ma préparation et toutes mes petites tensions physiques font que je ne vais pas en Andorre avec la dose de confiance qui m’habite normalement à quelques jours d’un ultra. De toute façon, j’ai rarement pris le départ d’une course dans cette optique de performance pure. À la base, ce qui m’anime, ce sont le parcours et le challenge. Ce qui est le cas avec cette épreuve : près de 7000 m de dénivelé positif, sur des sentiers réputés techniques, dans un écrin de nature que je ne connais pas... Je n’attends rien du résultat. J’espère juste que mon corps passe encore un cap. Faire une hypoglycémie, connaître un gros trou d’air, affronter des faits de course contraires... Limite, je signerais pour revivre ça après les 2 années de galère que je viens de traverser.
CANAPÉ, COMPÉTITION & GROUPE DE TÊTE
Est-ce qu’à l’issue des 2 années que tu viens de traverser, tu as développé une sur-vigilance quant aux signaux que t’envoie ton corps ?
Non. Au contraire. J’ai toujours été à l’écoute de mon corps, très attentif aux signaux qu’il m’envoyait. Là, en revanche, c’est parfois l’envie qui prend le dessus. Désormais, je m’autorise à aller courir avec des sensations qui m’auraient dissuadé auparavant. Tout l’enjeu est de trouver le juste milieu, la frontière ténue entre s’écouter et trop s’écouter. C’est très paradoxal. Car j’ai la conviction que si cela fait 20 ans que je cours en montagne, avec une motivation immuable, c’est certainement parce que j’ai su écouter mon corps. Pourtant, dans le même temps, j’ai aussi la conviction inverse qui me dit que c’est en poussant mon corps dans ses retranchements que ce dernier se renforce et passe des caps. Aujourd’hui, si j’obéis à certaines de mes sensations, je reste dans mon canapé à attendre que ça passe. Mais ce n’est pas ce qui me rend heureux ! J’ai un entourage génial, très professionnel et qualifié. Néanmoins, nous n’avons pas encore assez de recul sur cette période de ma vie. Ma densité osseuse est-elle suffisamment solide pour me mettre à l’abri de la menace d’une fracture ? Ma cheville a-t-elle besoin de ces stimulations pour continuer à avancer ? Nous n’avons pas la réponse. Mon chirurgien a été franc : les personnes qu’il opère d’une triple fracture malléolaire ne se réveillent pas toutes en lui demandant si elles pourront recourir un ultra-trail. (Sourire) Je suis un cas un peu particulier.
Mon chirurgien a été franc : les personnes qu’il opère d’une triple fracture malléolaire ne lui demande pas s’ils pourront recourir des ultra-trails
Tu viens de le confier : ce qui te plait avant tout dans l’ultra-trail, c’est jouer en montagne, découvrir de nouveaux terrains de jeu, explorer tes limites à travers des challenges qui t’excitent... Pourquoi tenir autant à ce retour en compétition ?
Car la compétition est une opportunité. Elle t’invite à découvrir des endroits où tu ne serais jamais allé. Elle t’incite également à tout mettre en place dans ton quotidien pour progresser et optimiser ton potentiel en vue du Jour J. Elle te donne un cap, un objectif dans lequel tu vas pouvoir puiser de la motivation chaque matin en te levant. La compétition induit une prise de risque : elle t’amène à élargir ta zone de confort. Oui, je pourrais prendre la trace GPS de l’ultra-trail d’Andorre et la parcourir en off, seul. Mais je ne le ferai pas ! Oui, je pourrais grimper 7000 m de D+ dans mon jardin du Beaufortain. Mais ça aussi, je m’en sais capable..
Tout l’enjeu est de trouver le juste milieu, la frontière ténue entre s’écouter et trop s’écouter
Être une icône, avoir contribué à amener le trail là où il se trouve aujourd’hui, est-ce un fardeau dans cette quête de retour ? Te sens-tu attendu ? Cette attente est-elle un poids dans une période de ta vie où tu préférerais te focaliser uniquement sur tes sensations ?
Oui, clairement, c’est une pression supplémentaire. Certains matins, tu te lèves plus fatigué que d’autres, et là, avec une sensibilité à fleur de peau, il devient plus difficile de faire abstraction. Puis, assez vite, tu prends du recul. Oui, je me sais attendu ; oui, il faut être présent sur certains évènements ; oui, il s’agit de répondre avec le sourire à quelques ‘selfies’ ; mais finalement, toutes ces personnes me soutiennent et me sollicitent car ils apprécient mon sport, qui je suis et les valeurs que je véhicule. Dans la grande majorité des cas, c’est extrêmement bienveillant. Ainsi, je considère qu’aujourd’hui, si je n’arrive pas à passer outre ces petites pointes de frustration qui surgissent ponctuellement, c’est que je suis fatigué, que je ne suis plus à ma place. (Un temps de réflexion) Peut-être que le « grand retour » n’aura pas lieu ! Peut-être que même si je retrouve mon meilleur niveau à ski ou à vélo, mon corps n’y arrivera pas en trail à cause de ces fractures et de ces compensations. Je n’en sais rien. À l’instant T, ce qui m’importe, c’est simplement de pouvoir retourner me balader en montagne. J’espère que je vais réussir. Je vais tout faire pour. La flamme est toujours présente. Et même si j’échoue, cela ne m’empêchera pas de continuer à m’investir pour cette discipline qui m’a tant donné.
Ces attentes et ce désir de performance, qu’ils viennent des autres ou de toi-même, te font réfléchir avant de t’aligner au départ d’une course, par peur de décevoir et te décevoir ?
Si je suis honnête, évidemment, c’est complexe d’y rester insensible. Au départ des courses, j’ai encore du mal à me canaliser car le souvenir d’être performant est encore très récent. J’ai encore envie de jouer avec les gars de devant. C’est la raison pour laquelle, à La Réunion, je pars avec le groupe de tête alors que je n’ai pas le dixième de leur entraînement. Forcément, je le paye cash à mi-parcours. Et forcément, cela me fait réfléchir pour les futures échéances. Dois-je ou non m’aligner sur la Hardrock 100 ? Faut-il craindre de prendre 4 ou 5h par le vainqueur, que l’on se moque de moi, que l’on affirme que je suis cuit et donc rester à la maison ? Non, je suis persuadé qu’il ne s’agit pas du bon raisonnement ! J’ai juste envie de prendre part à la fête, en considérant cette opportunité comme une chance de pouvoir donner mon meilleur, et peut-être, ainsi, franchir un nouveau palier...
La compétition induit une prise de risques : elle t’amène à élargir ta zone de confort
XAVIER THÉVENARD, BALADE MATINALE & TOR DES GÉANTS
C’est la première fois de ta carrière que tu es éloigné des sentiers aussi longtemps. As-tu trouvé du positif dans cette période ? As-tu réalisé de nouveaux apprentissages que tu ne soupçonnais pas ?
Oui, il y a du positif. J’ai pris le temps de m’investir encore plus dans mes relations avec mes partenaires ; m’impliquer dans le développement des produits ; travailler à fond sur notre évènement, ‘L’Ultra Spirit’ ; structurer une équipe autour de mes projets ; jouer avec mes enfants... Mais, moi, mon petit bonus, que ce soit une ou dix fois par semaine, c’est d’aller me promener dehors, que ce soit à pied, à vélo ou en ski. Ces derniers jours, j’ai pu combiner pour la première fois depuis longtemps le trail, l’alpinisme, le vélo et le VTT : ça me rend juste heureux. Donc, dire que j’ai tiré du positif de cette période, oui ; mais dire que c’était cool d’être éloigné des montagnes pour cause de blessure, non !
As-tu discuté avec Xavier Thévenard ? Lui aussi a gagné plusieurs fois l’UTMB et lui aussi bataille au quotidien avec son corps pour retrouver ses sensations et le plaisir simple de jouer dehors (Xavier Thévenard est atteint de la maladie de Lyme depuis 2021) ...
Oui, j’échange un peu avec Xavier. Là réside l’une des valeurs fondamentales de l’ultra-trail : nous avons été adversaires sur l’UTMB, mais cela ne nous empêche pas de s’apprécier en tant qu’hommes. En effet, il y a de réelles similitudes entre les zones de turbulences que nous traversons actuellement : on a envie, on a faim, on fait tout pour que ça aille dans le bon sens... mais on bute encore sur les derniers pourcentages de la rémission totale. Avec Xavier, on partage également, je crois, la même mentalité : si l’on doit ne jamais regagner l’UTMB mais pouvoir s’amuser tous les jours au grand air, il n’y a pas photo, notre choix est vite fait ! Car remporter l’UTMB n’a jamais été notre but primordial.
Et c’est peut-être pour cette raison précise qu’on y a triomphé plusieurs fois. On ne se lève pas le matin en se disant : ‘Qu’est-ce que je dois faire pour gagner l’UTMB ?’. On se lève le matin en se demandant : ‘Quelle balade va me rendre heureux aujourd’hui ?’.
Qu’est-ce que ce serait une année 2024 réussie afin que le sportif soit satisfait et l’homme comblé ?
À la vue de la discussion que l’on vient d’amorcer, tu te doutes bien que je ne tire plus de plan sur la comète. Je reste souple et, chaque jour, je réadapte mes ambitions. Si fin septembre, j’ai bouclé les 3 ultra-trails auxquels j’ai prévu de participer cette année (Andorre, Hardrock 100 & Tor des Géants) et que mon corps a plutôt bien assimilé ces intentions, alors je serais heureux. Forcément, j’aurais aimé y arriver avec des perspectives de performance. Mais je me dois d’être lucide et moins gourmand, pour aider mon corps à aller au bout. Tous les entraînements que j’ai dû adapter ou que je n’ai pas pu faire, ce sont des ressources que je ne pourrais pas exiger à mon métabolisme lorsqu’il faudra relancer après plusieurs heures d’effort. Je devrais me montrer plus indulgent. En revanche, ce n’est pas pour cela que je ne pourrais pas revenir, réessayer et continuer à m’accrocher.
On ne se lève pas le matin en se disant : Qu’est-ce que je dois faire pour gagner l’UTMB ?
Tu vas participer cette année au Tor des Géants, une épreuve mythique qui va encore plus loin dans l’ultra-endurance. Pourquoi ce souhait ? Quelles sont tes ambitions ? Et quels ajustement comptes-tu réaliser dans ta préparation pour répondre au mieux aux singularités de cette course atypique ?
À la base, j’envisageais le Tor des Géants comme un problème à résoudre. J’avais prévu d’étudier le truc à fond : questionner le sommeil ; approfondir le travail excentrique, c’est-à-dire la résistance musculaire en descente ; la gestion de la nutrition... Mais je ne réfléchis plus trop à cela, ce n’est pas une priorité : je suis d’abord focalisé sur le fait de valider que mon corps soit d’accord pour se balader 4 ou 5h en montagne sans douleur. J’ai ces velléités d’explorer des bambées encore plus longues, au-delà de 50h de course, depuis 2017, et mon périple sur le John Muir Trail. Je me refusais jusqu’à présent de les découvrir en compétition, car j’avais peur d’être trop bête ou trop joueur, et donc, pousser le bouchon un peu trop loin. Nombreux sont les coureurs qui ne se sont jamais remis de leur participation au Tor des Géants. Il faut croire que désormais, je suis assez intelligent ou assez vieux pour croire en ma maturité.
Il faut croire que désormais, je suis assez intelligent ou assez vieux pour croire en ma maturité
PROCESSUS, UTMB & BAGUETTE MAGIQUE
Depuis tes débuts, le trail a énormément évolué. Est-ce que, selon toi, cette évolution va dans le bon sens ?
Il y a une évolution principale : le sport est devenu plus populaire. Il y a de plus en plus de coureurs, donc forcément, cela multiplie le nombre d’avis et de comportements différents.
Néanmoins, même les plus puristes dans la pratique ou les plus craintifs dans la conservation des valeurs d’antan sont obligés de le concéder : c’est génial de constater que de plus en plus de gens se découvrent une passion pour la montagne ! Quelqu’un qui n’a jamais fait de sport et qui se met à l’activité physique grâce au trail, je trouve ça chouette. Nécessairement, de petits détails peuvent m’embêter, mais ils sont finalement marginaux. À nous de faire comprendre en revanche que, oui, l’UTMB c’est magnifique, mais que si tu commences tout juste le trail et qu’au bout de 2 années de pratique, tu veux déjà prendre le départ de l’UTMB, c’est dommage ! Tu es allé trop vite. Moi, ce cheminement m’a pris plus de 10 ans. Je ne le regrette pas. Au contraire ! Si tu fais tout d’un coup, tu passes à côté de la magie du processus...
Si tu fais tout d’un coup, tu passes à côté de la magie du processus
Est-ce ce côté boulimique, cette tendance à viser le sommet plutôt que valoriser le chemin qui te dérange ?
Cela ne me dérange pas. Chacun est libre d’avancer comme il l’entend. Mais je trouve ça dommage oui, je l’assume. Effectivement, tu peux prendre un coach qualifié, faire des tests pour calculer tes seuils ventilatoires, t’entourer d’un micro-nutritionniste super compétent, avoir une collection de matériel dernier cri... Néanmoins, je me demande si revenir à plus de simplicité n’est pas plus vertueux ? N’est-ce pas mieux de prendre conscience par toi-même que pour courir 6h, tu ne peux pas aller à la même allure que sur 40 minutes de footing ? Une découverte plus patiente de l’ultra-trail ne serait-elle pas plus saine et les apprentissages tirés sur ton quotidien plus pérennes ? Oui, on peut faire l’UTMB au bout de 2 ans. Mais on peut aussi prendre son temps – 5, 6 7 ans – et kiffer tout autant.
il y a une telle barrière à l’entrée liée à la difficulté, que le sport se protège lui-même
Si tu avais une baguette magique, y-a-t-il une chose que tu ferais disparaître dans le trail d’aujourd’hui ?
Je fais la différence entre trail et ultra-trail. Et en ultra-trail, je garderais tout ! Il y a une telle barrière à l’entrée liée à la difficulté, que le sport se protège lui-même. Si tu n’as pas passé des heures dehors et si tu ne sais pas pourquoi tu es sur cette ligne de départ, tu n’y arriveras pas. La longueur et la dureté de l’effort mettent la discipline à l’abri des dérives. Tu es rappelé à ton humilité. Celui qui va au bout, celui qui franchit la ligne d’arrivée, peu importe sa place, il a gagné ! D’ailleurs, la majorité des gens qui mettent un pied dans ce sport sont animés de bonnes valeurs.
As-tu déjà vu un coureur jeter un emballage par terre ou passer à côté d’un concurrent en détresse sans l’aider ? Moi jamais ! Encore une fois, il y a une forme de filtre à l’entrée qui fait que le sport s’auto-protège.
Une découverte plus patiente de l’ultra-trail ne serait-elle pas plus saine et les apprentissages tirés sur ton quotidien plus pérennes ?
‘L’Ultra-Spirit’, l’évènement que vous organisez avec Carline, ta femme, promeut cette vision du trail. Pour conclure, peux-tu nous en dire plus sur cette aventure singulière ?
Avec ‘L’Ultra-Spirit’, on tâche de faire en sorte de se mettre à l’abri de toutes les dérives.
Pour commencer, on tient à relativiser la performance. Si tu veux faire un résultat ou parler de classement, passe ton chemin.
En revanche, si tu veux te dépasser et profiter de l’émulation collective pour explorer tes limites, tu es le bienvenu. On veut prouver qu’il est possible de vivre de belles aventures en montagne sans que la compétition soit au cœur du projet. On limite le nombre de participants pour renforcer les liens entre celles et ceux qui sont présents. On essaye aussi de sensibiliser au fait que réaliser 10 000 m de dénivelé positif en 3 jours, ce n’est pas anodin.
On implante cet évènement dans son environnement naturel de façon la plus respectueuse possible : on travaille avec des gens du coin, on s’approvisionne chez des producteurs locaux, on réfléchit sur comment on y vient et comment on en repart...
Nous prenons énormément de plaisir dans sa concrétisation, même si cela exige beaucoup d’investissement dans l’organisation ! C’est un autre type d’ultra, qui dure toute l’année ! (Sourire)