Publié le 26 juin 2025
Baptiste Chassagne retour vers le futur de l'ultra-trail
Interview

Baptiste Chassagne retour vers le futur de l'ultra-trail

L’évolution d’un sport et d’un athlète.
TRAIL RUNNING
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Trail, Interview

Baptiste Chassagne est issu d’une génération d’ultra-traileurs mi-new-wave, mi-dinosaure. Une génération qui arrive après les pionniers de la discipline, munis d’un sac de randonnée au départ de l’UTMB ; mais aussi d’une génération qui voit son sport grandir doucement, expérimentant les balbutiements de la professionnalisation. Le trail et l’ultra-trail ne sont pas aux JO, n’ont pas de fédération officielle, mais ces disciplines sœurs prennent de l’ampleur. Les athlètes sont de plus en plus nombreux au départ et les temps de course de plus en plus réduits à l’arrivée.

 

Baptiste fait partie de cette vague de coureurs qui ont le pouvoir de façonner leur sport et d’en écrire les règles. Avec une 2nde place à l’UTMB 2024, l’athlète de Combloux a prouvé qu’il en avait sous la basket. Néanmoins, Baptiste a la volonté d’être à l’image de son sport, un homme qui gère son effort, « moyen, vite, longtemps » comme il aime le souligner. 

À travers l’exemple de l’UTMB Mont Blanc qui fait état de course mythique et de course de révélation pour Baptiste, il nous raconte comment évolue l’ultra-trail et comment il se pérennise en tant qu’athlète, comment il trouve son équilibre et l’empreinte qu’il veut laisser sur les sentiers. Portrait d’un athlète et de sa discipline. 

On ressent tous une vraie vulnérabilité, on sait qu’il n’y a rien d’autre que nos jambes

Crédit photo : © Simon Dugué

L’ultra esprit des pionniers

Quand on regarde la première édition de l’UTMB Mont Blanc en 2003, il y a 20 ans, les coureurs sont équipés très différemment de Baptiste et des autres athlètes qui s’élancent aujourd’hui pour le tour du toit de l’Europe et parcourent près de 180 km à pied. L’événement rassemble des aventuriers passionnés de nature, qui ont soif de dépassement autant que de dépaysement. L’ultra-trail est une discipline d’hédonistes valeureux, partant à la poursuite d’un mythe inconnu avec des chaussures de trek et des bâtons de randonnée.

Te retrouves-tu dans les athlètes au départ de cette course en 2003 ? Quels sont les points communs entre vous ? 

Je me retrouve complètement dans l’esprit des pionniers. Les mots “valeureux” et “hédoniste”, résonnent. La “quête” aussi. Je pense qu’on partage vraiment ces valeurs et que nous venons sur la ligne de départ pour les mêmes raisons en 2003 et en 2025 : le cadre, la nature, la montagne… Mais aussi le dépassement de soi, sinon on ne s’inscrit pas à une compétition. Ce sont les deux principaux ponts entre nous, un côté très brut lié à l'environnement dans lequel on va évoluer pendant plus de 15 heures, le théâtre de notre sport ; et puis le partage d'une logique, d'une démarche de performance, car si on se retrouve là c'est qu’on a envie de combattre. 

Qu’est-ce qui subsiste selon toi, de cette époque, aujourd’hui ?

Une dimension très solennelle au départ. Il y a de plus en plus de médiatisation, de monde, l’événement est de plus en plus populaire, on pourrait presque parler d ' « artifices ». Mais le moment du départ demeure très solennel. Il y a beaucoup de marketing, de communication, de tendance autour de l’événement mais le concept reste le même : partir de Chamonix et y revenir. C’est très simple et épuré à cet instant précis, sur la ligne de départ. On ressent tous une vraie vulnérabilité, on sait qu’il n’y a rien d’autre que nos jambes, notre tête et notre cœur qui nous permettront de passer ces montagnes. Le départ est toujours le même. Il nous rapproche de l’UTMB originel. 

j’ai acheté des baskets de trail, du matériel adéquat et j’ai passé les étapes les unes après les autres

Et si le point de départ reste le même, le tracé, lui, a-t-il évolué depuis la création de l’événement ?

Oui, le tracé change parfois légèrement. Mais je crois qu’il est important de le garder intact. On gagne en originel ce que l’on perd en original, mais c’est par la répétition qu’on ancre la tradition. Garder la boucle telle quelle permet aux coureurs de marcher sur la trace des anciens certes mais aussi de retourner sur leurs propres traces. Quand tu reviens sur le circuit, cela te montre que tu as progressé. Cela donne envie de revenir et permet de se focaliser sur sa course et de faire la compétition avec le soi d’avant plus qu’avec les autres.

Toi qui prends souvent le rôle de l’intervieweur, as-tu déjà rencontré les pionniers de la discipline ? Que t’ont-ils transmis ou inspiré ?

Dans le cadre d’une enquête pour le premier volume de Point de Côté, le Bookzine des Genoux dans le GIF, j’ai interviewé des participants au Super Marathon du Mont Blanc, c’est l’ancêtre de l’UTMB Mont Blanc, un UTMB par étape. Chez ces pionniers, ce qui m’a fasciné, c’est leur insouciance par rapport au risque, à l’enjeu, à la performance aussi. Ce détachement et cette légèreté d’esprit sont inspirants : ça remet les pieds sur terre. Finalement faire de l’ultra, c’est juste mettre un pied devant l’autre. Et cela met en avant le danger de la médiatisation et de la professionnalisation du sport qui retire une part d’insouciance de la discipline. 

Et puis il y a la rencontre avec Xavier Thévenard qui m’a marquée. Il a gagné 3 fois l’UTMB Mont Blanc en 2013, 2015 et 2018. Il fait partie d’une génération intermédiaire, entre les pionniers et moi aujourd’hui. Il fait partie des premiers ultra-traileurs considérés comme des athlètes dans l’imaginaire collectif. Par là j’entends qu’il s’agit de quelqu’un qui se dédie à son sport et construit sa vie autour de ses objectifs. Il m’a inspiré par sa vision très pure, brute et innocente du sport. Il pratique et performe en gardant l’âme d’un enfant qui aime juste courir dehors. Il m’a aussi éveillé à l’écoute de soi, avant, pendant et après la course, à l’analyse de ses sensations et de ses émotions. C’est un modèle à la hauteur de nos différences. Il a grandi à la montagne et moi en ville. Il s’en fiche de la communication alors que moi je travaille mon image. Mais il y a eu un vrai feeling malgré nos différences, je l’ai d’ailleurs pacé pour son record du GR20. Ce genre de personne m’inspire et me fait dire qu’il y a des gardes-fou pour faire respecter les valeurs originelles de notre sport, pour conserver l’insouciance des débuts. Xavier c’est l’éternelle école, qui véhicule des valeurs intemporelles. Mais c’est aussi l’ancienne école, qui pense le trail comme un sport réservé aux montagnards et s’entraîne sur ces terrains sans véritable plan d’entrainement. Cela a évolué aujourd’hui.

Crédit photo : © Simon Dugué

Professionnalisation de la discipline

Aujourd’hui, l’ultra-trail a effectivement bien évolué, les tenues, la préparation, les événements… En 20 ans la discipline s’est massifiée et professionnalisée. En 2003 ils étaient 722 sur la ligne de départ et 67 à passer l’arrivée. En 2024, 2 500 coureurs s’élancent dans Chamonix et 65% rallient l’arche mythique. Pourtant, certains estiment que le sport en est encore à ses débuts, et qu’il a vocation à se développer bien au-delà.

Baptiste, depuis combien de temps pratiques-tu le trail et l’ultra-trail ? 

Je pratique le trail depuis 8 ans, depuis 2017. Au début, sans véritablement savoir que ça s’appelait du trail. J’étais un coureur de la pause déjeuner, je sortais mes baskets le midi autour de l’entreprise où je faisais mon alternance. Et petit à petit, je me suis inscrit à une course, j’ai adoré cet aspect compétition, j’ai senti que j’avais un petit talent pour ça. J’ai continué à faire des petites courses locales et de fil en aiguille je me suis pris au jeu, j’ai acheté des baskets de trail, du matériel adéquat et j’ai passé les étapes les unes après les autres.

Depuis le départ, nous parlons plus d’ultra-trail à travers l’exemple de l’UTMB Mont Blanc mais quelle distinction fais-tu entre trail et ultra-trail, comme tu as plutôt commencé par la première discipline ? L’ultra-trail est-il une évolution du trail ou une discipline à part entière selon toi ?

La discipline originelle est l’ultra-trail selon moi. Le trail s’appelait plutôt la course en montagne. Il n’y avait pas vraiment d’entre-deux, soit tu faisais court et punchy, soit tu faisais très long. C’est plutôt l’entre-deux qui s’est développé je pense mais je ne suis pas un spécialiste de l’histoire du trail. 

Vis-à-vis de mon parcours, j’ai tout de suite senti que j’avais l’envie et la disposition physique et mentale à faire les choses plutôt lentement et longtemps que vite. Ma personnalité m’a poussé vers l’ultra-trail. Le trail je l’ai donc rapidement envisagé comme une préparation pour aller vers l’ultra. 

Donc dans l’ultra, est-ce forcément le chrono qui fait la performance ? Ou peut-on aussi se dépasser sans dossard, à travers de longues aventures qui relèvent plus de “l’ultra slow travel” ?

On peut complètement faire cela avec ce sport, c’est ce qui est génial. On peut envisager des aventures en dehors des compétitions officielles, c’est ce que font des athlètes comme Casquette Verte ou Matthieu Blanchard par exemple, qui sont très visibles, autant pour leurs performances en ultra pures que pour leurs exploits en marge des lignes de départ. Mais quand on s’engage dans ce genre de projets, il y a toujours une notion de performance, elle est communicationnelle. Il faut faire parler son exploit pour que les partenaires suivent. En gros même si ce n’est pas un chrono de course il y a quand même de la data pour évaluer le projet et ses retombées médiatiques. 

Pour ma part, pour l’instant je suis très corrélé à la notion de performance en course et je n’ai pas l’ambition de me lancer là-dedans. En me professionnalisant en ultra, j’ai perdu un peu l’insouciance de faire ce que je veux car je dois être performant les jours de course mais c’est aussi cela qui m’anime. 

Et globalement, l’esprit ultra pour moi c’est simplement une manière intense de vivre les choses et cela je le retrouve ailleurs : en vélo, en ski. Faire les choses longtemps, c’est ça l’ultra et j’adore.

Pendant longtemps j’ai effectivement perdu le feu, je courais après les résultats au lieu de courir après mes sensations

Crédit photo : © Simon Dugué

A quoi ressemblaient ta première et ta dernière course ? 

Ma première course, c'était une course de 15-20 km dans le Beaujolais à côté de Lyon, où j’ai grandi. Une course locale où je suis allé avec mes chaussures de route et mon t-shirt en coton. Ce jour-là, j’ai gagné mais j’ai surtout découvert la zone rouge et j’ai adoré ça. J’ai adoré les endorphines, les courbatures, la compétition. C’est vraiment la compétition qui m’a fait vibrer au début. 

Ma dernière course était une manche du circuit qui structure aujourd’hui la discipline, le circuit UTMB World Series. J’ai fini 2nd sur le format 100K du Grand Trail du Ventoux. C’était un fight intense avec Ben Dhiman, un athlète américain du team Asics. J’ai perdu le combat mais j’ai adoré la bataille. C’est une de mes courses préférées. Beaucoup de choses ont évolué entre ces deux dossards, aussi bien pour moi que dans les courses et leur organisation. Mais la bataille, elle, procure toujours le même effet. Que ce soit dans le Beaujolais ou au Ventoux, j’ai vécu un combat intense.

Dans ta façon de parler de ces courses, on sent comme un retour aux sources, à un plaisir peut-être oublié. As-tu traversé une phase de doute ou un passage à vide ?

Pendant longtemps j’ai effectivement perdu le feu, je courais après les résultats au lieu de courir après mes sensations. Et depuis que j’ai fait des résultats qui ont un peu légitimé ma démarche de performance, j’ai retrouvé ce côté essentiel, ma passion originelle. Pendant un temps, je n’étais pas très aligné et donc pas très performant. La préparation mentale m’a beaucoup aidé à retrouver le feu. J’ai bossé sur l’athlète et sur l’Homme qu’il y avait derrière et j’ai progressé de manière linéaire, on ne peut pas parler d’un déclic me concernant.

J’ai fait une grosse fracture de fatigue, une fracture du dos en 2021 car j’en faisais trop. Je crois que j’en avais plein le dos (sourire). 

J’ai commencé la préparation mentale à ce moment-là et jusqu’à la SaintéLyon 2024 je ne me suis pas raté sur un objectif. Je n’ai quasiment gagné aucune course mais à chaque fois je cochais l’objectif et j’avais le goût de la satisfaction. La préparation mentale est l’une des grosses évolutions de notre sport. 

Ma première course, c'était une course de 15-20 km dans le Beaujolais

c’est le seul sport où tout le monde prend la même ligne de départ, amateurs et professionnels, hommes et femmes

Venons-en justement aux évolutions du sport, quels sont, selon toi, les changements les plus marquants entre ta première course dans le Beaujolais et le Grand Trail du Ventoux ?

La première différence c’est l’enjeu. Tout est plus professionnel, encadré, médiatisé. Ce ne sont plus des organisations purement bénévoles mais ce sont des professionnels du métier. Mais les grosses organisations et les petites cohabitent. Il n’y a pas d’opposition entre les deux mais chacune s’enrichit à son échelle. Si je n’avais pas voulu aller au Ventoux, il y avait 50 courses locales auxquelles j'aurais pu participer. La semaine d’avant j’ai couru à Margerie-Chantagret, un petit village dans la Loire par exemple. J’ai attendu la cérémonie des podiums en sirotant une limonade et en grattant des astros au PMU. L’évolution ne signe pas la mort des petits trails, simplement il y a plus d’échelles de courses différentes qui cohabitent aujourd’hui. 

Et c’est quelque chose qui cohabite aussi au sein d’une course puisque le Trail du Ventoux était auparavant une course bénévole qui est aujourd’hui devenue une course du circuit UTMB. C’est un choix des organisateurs de postuler pour faire partie du panel de courses UTMB et donc de faire prendre une autre ampleur à leur événement. C’est du gagnant-gagnant. Cela donne un coup de projecteur aux villages dans lesquels s’organisent ces courses. Cela crée de l’activité pour les commerces aussi et les organisateurs sont heureux et fiers d’accueillir de nombreux athlètes. Cela valorise le territoire, la région et engendre des revenus pour les pompiers qui organisent la course et leur association. Il y a un cercle vertueux qui est indéniable. Je défends le message que ce n’est pas mieux ou moins bien maintenant mais il y a un enrichissement de la palette d'événements dans le trail.

Enfin, en termes d’accessibilité à la discipline, quelles évolutions as-tu pu observer ?

Alors déjà il y a plus de différenciation dans la prononciation de notre discipline. Certains disent le “trail”, d’autres le “trêle”, ou encore le “trayle”. C’est très varié (rires).

Mais sérieusement le sport est plus populaire dans tous les sens du terme. Plus de gens pratiquent et pas seulement en termes numériques, c'est aussi une diversité socio-économique qui est en jeu. Ce n’est plus seulement l’activité estivale de ceux qui skient l’hiver. Mais il faut être honnête, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir et très peu de mixité sociale et géographique. C’est à dire peu de personnes issues des classes populaires, des villes et des banlieues. Il y a très peu de mixité socio-économique et raciale et ce même parmi les élites. La majorité sont occidentaux, il y a de plus en plus d’asiatiques et quelques coureurs africains mais cela reste marginal. Il y a aussi moins de femmes que d’hommes, comme dans beaucoup de disciplines. Mais celles qui performent sont très visibles. D’ailleurs c’est le seul sport où tout le monde prend la même ligne de départ, amateurs et professionnels, hommes et femmes. À l’UTMB Mont-Blanc, la finale internationale de notre sport, nous nous élançons tous ensemble pour faire le tour du toit de l’Europe. C’est fort comme symbole d’inclusivité je trouve.

Crédit photo : © Simon Dugué

L’athlète et les sponsors au coeur du mouvement

Si le trail et l’ultra-trail évoluent c’est avant tout car les pratiquants sont de plus en plus nombreux et les performances de plus en plus visibles. Le profil du traileur a changé : il s’entraîne comme un professionnel, s’équipe comme un technicien, communique comme une marque. Baptiste est passé par plusieurs sponsors, plusieurs visions du sport. Aujourd’hui que signifie être athlète dans ce milieu et comment leur pratique a évolué ? 

Baptiste, tu es devenu en janvier 2025 membre du Team On Running, après un passage d’un an chez Nike et plusieurs années au sein du Team Sidas Matryx. En quoi tes performances sont-elles impactées par le matériel que tu portes et la marque qui te supporte ?

Nous avons un matériel de plus en plus performant. On fait un sport qui peut paraître assez simple mais il y a paradoxalement beaucoup d’enjeux liés à l’équipement. Même si celui-ci est très simple par rapport aux sports mécaniques par exemple, le matériel impacte beaucoup la performance et notamment car nous faisons la même chose pendant longtemps. Nous n’avons donc pas vraiment le droit à l’erreur là-dessus. Le premier enjeu est clairement autour des chaussures. Elles sont aujourd'hui beaucoup plus durables, confortables, précises et dynamiques qu’avant. Il y a aussi un autre gros point dans l’équipement en trail : le sac. Il ne cesse d’évoluer, nous ne sommes pas aussi aboutis que la chaussure sur ce point je pense. Toujours est-il que les marques rivalisent d'ingéniosité pour inventer un excellent sac. En termes de textile, on bénéficie des innovations du running donc nous sommes bien lotis. Et la dernière chose qui a énormément évolué c’est la nutrition. Aujourd’hui, nous planifions tous nos ravitaillements comme des pit-stops de Formule 1 et nous calculons nos apports nutritionnels comme des mathématiciens. 

La marque qui te supporte te permet d’avoir un projet à part entière. Elle t'apporte un soutien matériel, financier mais aussi humain. Je l’ai énormément eu au sein du Team Sidas Matryx, je l’ai moins eu chez Nike et c’est la raison pour laquelle je suis parti et je le retrouve maintenant chez On Running. C’est important d’avoir un sponsor pilier pour se sentir en confiance au départ d’une course et pour garder le cap quand cela devient difficile. 

Cette évolution des équipements s’accompagne-t-elle d’une évolution des contrats dans le trail ? Et qu’en est-il de ton marketing athlète, est-ce que tu sens que ton image de marque est de plus en plus importante ? 

Les contrats ont évolué dans le bon sens. Si on est encore très loin des contrats de footballeurs, aujourd’hui on peut envisager vivre et non plus seulement survivre en étant professionnel du trail. Cela demande en contrepartie d’être performant sur le terrain mais aussi en dehors. Tu dois être un bon athlète mais aussi un bon communicant, tu es jugé non seulement sur tes chronos mais aussi sur les émotions que tu procures et ton pouvoir d’inspiration. 

Cette dynamique a aussi beaucoup été amenée par la médiatisation des courses et notamment celle de l’arrivée comme on le voit sur l’UTMB Mont Blanc. Cette émotion visuelle a aussi été créée pour rendre l’ultra trail intéressant et stimulant. 

Comment se matérialise donc ta professionnalisation communicationnelle concrètement ? 

Cela se matérialise de manière très concrète sur 2 chiffres. Aujourd’hui, je passe 15 heures par semaine à faire ma communication (shooting photo pour un partenaire, rédaction de posts Instagram, organisation logistique en vue d’un projet de création de contenu, etc). 

Et l’autre chiffre c’est qu’aujourd’hui dans mon business plan, je dépense 10 à 15% de mes revenus liés au sport dans la création de contenu pur. J’investis donc sur ma marque athlète. Par exemple, sur une course majeure, j’investis environ 1 500 € de ma poche sur la création de contenu autour de cette aventure. 

J’ai construit mon quotidien pour être le plus épanoui en tant qu’Homme et le plus performant en tant qu’athlète

La marque qui te supporte te permet d’avoir un projet à part entière

Dans ta pratique, comment as-tu évolué en termes d’entraînement, de charge, de récupération, de mental ? 

Ce qui a évolué c’est que j’ai structuré ma vie autour de ma démarche de performance. J’ai construit mon quotidien pour être le plus épanoui en tant qu’Homme et le plus performant en tant qu’athlète. Avant le trail était un hobby, ensuite cela a été un sport que je prenais avec beaucoup de sérieux et aujourd’hui c’est devenu mon métier. Je peux m'entraîner plus parce que je récupère mieux. Je fais de la préparation mentale. Je me suis entouré, je me dédie uniquement à ce à quoi je suis bon. Je délègue ce qui me pompe trop d’énergie ou ce pour quoi je suis mauvais. J’ai un staff autour de moi, très important. Il se compose d’un manager, d’un entraîneur, d’un préparateur mental, d’un nutritionniste, d’un médecin, d’un kiné/préparateur physique, d’un podologue, de mes proches et de mes partenaires. 

Si tu regardes ton évolution de l’intérieur, qu’est-ce qui te rend aujourd’hui plus solide d’une part et plus fragile qu’avant d’autre part ?

Ce qui me rend le plus solide c’est l'apaisement lié aux acquis que j’ai validé, en termes d’évolution physiologique de l’athlète car j’ai des datas qui me le prouvent mais aussi via les réussites. Être champion de France, finir 2nd de l’UTMB, ce sont des choses qu’on ne m’enlèvera plus jamais. En fait, je me dis que si je m’arrête maintenant, ce que j’ai réalisé en valait déjà la peine. Alors que quand tu cours après cette validation c’est plus difficile. Cela me rend donc plus solide et plus serein. 

Ensuite ce qui me rend plus fragile ce sont les enjeux, la pression. Si tu tombes, tu tombes de plus haut, la peur du vide rend plus fragile. Plus de vide c’est aussi plus de vertige. Je me sens attendu à présent au départ d’une course. Parfois c’est difficile à vivre, difficile d’avoir une cible dans le dos et sur les petites courses encore plus que sur les grosses organisations où je sais que je suis attendu

J’aimerais qu’on dise “c’est un bon gars”

Baptiste et l’ultra demain

Demain, l’UTMB se gagnera peut-être en moins de 15h, le carbone sera dans toutes les chaussures de trail, l’IA sera aux sources de l'entraînement et les événements seront retransmis dans le monde entier. Mais qui seront les athlètes d’aujourd’hui ce jour-là et quel héritage auront-ils laissé sur les sentiers. 

Comment imagines-tu la course de quartier de Chamonix dans 20 ans ?

La course va beaucoup moins évoluer dans les 20 prochaines années que dans les 20 dernières années selon moi. Nous étions dans une phase de croissance mais nous arriverons bientôt à maturité. L'événement ne va pas tant évoluer que ça, le côté festif va être de plus en plus cadré. Le niveau va augmenter mais on a déjà passé un bon gap et on va bientôt atteindre une certaine forme de limite. 

Les vrais points d’évolution c’est qu’il y aura plus de mixité en termes de coureurs, en termes de genres, de pays d’origines, de classes sociales. 

Y a t-il selon toi des risques ou des écueils à éviter dans le développement de la discipline ?

L’UTMB organise aujourd’hui des événements dans les quatre coins du monde pour que chacun puisse courir à côté de chez soi mais il ne faut pas que cela donne trop d’importance à l’UTMB Mont Blanc comme l’objectif ultime et la finalité du circuit international. Réduire le trail à ce type d'événement très médiatisé est une erreur car ce sont aussi les petits événements locaux qui font le sel de notre discipline et il ne faut pas les oublier. 

L’enjeu est aussi de ne pas perdre de vue la vertu pédagogique du trail, venir participer à un événement de trail c’est s’éduquer au respect de la nature et de l’autre. Je pense qu’un monde qui trail est un monde qui va mieux. Il faut donc que l’UTMB et les autres organisateurs d’événements phares et satellites continuent à endosser ce rôle et à être engagés, pour rester des organisations modèles pour toutes les autres. Ce rôle de pôle d’innovation pour faire toujours mieux et avoir une posture de perfectibilité est important.

Dans 5 ans et dans 10 ans, où te vois-tu dans le paysage du trail ? En tant qu’athlète, mais peut-être aussi comme passeur, formateur, acteur du sport ?

Dans 5 ans j’espère être au firmament de ma carrière d’athlète dans un troisième chapitre. Mon premier chapitre avait la symbolique de révélation, le second que je tente d’écrire aujourd’hui s’articule autour de la confirmation et enfin j’imagine le troisième autour de la transmission. Le fil conducteur de ma démarche est toutefois dans le partage. Je ne veux pas faire de mes performances une finalité mais bien un moyen pour faire passer des messages notamment auprès des jeunes. Le troisième chapitre sera plus autour de ça, non pas car aujourd’hui je n’ai pas le temps mais parce que je me sentirai plus légitime pour le faire. 

Et dans 10 ans je me vois « peinard » à la tête de mon lieu de vie dédié au partage et au trail et plus largement au sport d’endurance, toujours autour de la passation et du partage. Et puis pourquoi pas aider de jeunes athlètes dans la construction de leur projet sportif et communicationnel.

Quelle trace veux-tu laisser sur les sentiers ? Que veux-tu qu’on retienne de toi dans 20 ans ?

J’ai envie de laisser une trace plutôt liée à la manière dont je procède qu’aux lignes de mon palmarès. J'aimerais laisser le souvenir de quelqu’un qui était performant et légitime en tant qu’athlète mais qui était un bon trait d’union, un passeur de flambeau entre l’esprit des pionniers et ceux qui me suivront, entre les dinosaures et la new-wave. 

Et s’il y avait un adjectif que tu aimerais qu’on dise de toi plus tard ? 

J’aimerais qu’on dise “c’est un bon gars” plus que c’est un “bon athlète”, qu’on dise que j’étais sympa plutôt que j’étais strato.

Baptiste et MKSport, une relation de longue date

Nous avons parlé des pionniers de l’ultra-trail, mais tu es aussi un pionnier d’MKsport, puisque tu écris dans le magazine depuis son deuxième numéro. Peux-tu nous raconter les débuts de cette collaboration qui dure depuis 8 ans, ce qu’elle t’apporte, et comment tu l'imagines évoluer ?

J’ai fait des études littéraires à Sciences Po Paris, avant de monter ma petite agence de communication en freelance. Très vite, j’ai senti que ce double ancrage, la plume et le trail, pouvait me permettre de m’épanouir à la fois professionnellement et personnellement. J’ai eu la chance d’écrire mes premiers articles pour MKsport dès ses débuts, et j’ai tout de suite accroché avec l’ADN du projet.

Avec le recul, je pense que ce travail d’écriture a aussi participé à ma progression en tant qu’athlète. J’ai interviewé beaucoup de traileurs, j’ai écouté leurs parcours, leurs doutes, leurs réussites. Et toutes ces expériences m’ont nourri et construit.

Aujourd’hui, ce double projet me permet de faire travailler à la fois ma tête et mes jambes. C’est un équilibre qui m’apaise et qui soutient ma performance. Je suis solide sur deux appuis.

Avec MKsport, on a grandi ensemble. On était tous les deux des nouveaux venus dans nos mondes respectifs, et on a évolué, petit à petit. Ce que je souhaite c’est que l’on continue à avoir des trajectoires parallèlement ascendantes en se faisant mutuellement des courtes-échelles. J’espère pouvoir continuer à raconter de belles histoires pour eux, et qu’ils continuent à me donner l’occasion de faire des rencontres enrichissantes.

Je profite de cet article pour leur adresser un immense merci, pour la confiance qu’ils m’accordent depuis toutes ces années. 

J’ai interviewé beaucoup de traileurs, j’ai écouté leurs parcours, leurs doutes, leurs réussites. Et toutes ces expériences m’ont nourri et construit

Avec MKSport, on a grandi ensemble. On était tous les deux des nouveaux venus dans nos mondes respectifs

L’explosion du niveau est liée à quatre facteurs

La densification : il y a de plus en plus d’athlètes performants donc cela élève le niveau

La professionnalisation : nous avons plus de moyens et donc plus de temps pour nous entraîner

Le matériel : les innovations améliorent la performance

La nutrition : bien s’alimenter en course est devenu un élément clé de la performance

Les trois conseils de baptiste

Le premier : penser d’abord à son équilibre et à son épanouissement en tant qu’humain avant son développement en tant qu’athlète.

Le second : gérer son effort. Prendre son temps. Ne pas activer tous les leviers d’optimisation tout de suite car c’est important de se dire qu’on peut encore s’améliorer. Il faut construire doucement mais sereinement. Si on construit un édifice trop vite, on le fragilise. Avoir toujours de l’espoir, des perspectives et des axes d’amélioration est une source de motivation.

Le troisième : indulgence-exigence. Quand tu es fatigué, ne pas culpabiliser de ne pas s'entraîner mais se dire au contraire que tu es en train d’assimiler. Quand tu doutes, formuler tes doutes et écouter les bons conseils. Et enfin, savoir se mettre un coup de pied aux fesses quand on manque de motivation. Bref : S’écouter sans se plaindre. 

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