Publié le 1 mars 2023
Le renoncement : savoir faire demi-tour quand la montagne vous domine (1/2)
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Carnet de voyage

Le renoncement : savoir faire demi-tour quand la montagne vous domine (1/2)

"RENONCER, C’EST CONSTRUIRE SES PROCHAINES ASCENSIONS ET SES PROCHAINS SUCCÈS"
SPORTS D'HIVER, BIEN ÊTRE
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Carnet de Voyage, Outdoor, Reportage

Mystérieux et majestueux, lieux d’infini et d’éphémère à la fois, océans, cieux et montagnes nous attirent, nous poussent à la grandeur et au dépassement de soi. Ces horizons nous plongent dans l’aventure et réveillent en nous un sentiment de puissance face à ces forces de la nature. Mais derrière les élans de conquête, derrière la beauté des paysages et l’ivresse des sensations, humilité et prudence sont de mise face aux éléments.

Si nous l'avons apprivoisée, conquise parfois ou même transformée, la nature continue et continuera de nous échapper. Là où nous, êtres humains, avons érigé des lois et des cités pour nous protéger, elle est sauvage, imprévisible et aléatoire. Elle n’est ni juste, ni injuste, pour reprendre les mots de l’alpiniste Reinhold Messner.

Elle est dangereuse et nous ne serons jamais immortels face à son courroux. Il y aura toujours un risque. À l’ombre d’une montagne, dans le creux d’une vague ou dans l’azur d’un ciel d’été, tout devient un jeu d’équilibre avec les éléments et une joute avec l’inconnu...

LA SEULE ISSUE POUR NOUS ÉTAIT VERS LE BAS

« L’engagement » est une notion qui revient souvent dans le récit des victoires et conquêtes alpines, les autres traces restent souvent dans l’ombre, l’histoire ne retient que les noms des héros au sommet et pourtant, quand la passion est au rendez-vous, quand la curiosité se mêle aux sensations, quand la tentative devient un défi, trouver le courage de faire demi-tour et accepter l’échec à cet instant, est peut-être une victoire incommensurable : une victoire sur le risque. Le renoncement est la gloire des héros vivants, là où les autres, se sont laissés guider par l’hybris…

Derrière une ascension, derrière une traversée, derrière chaque trace, il y a des élans avortés et il y a des abandons pour ouvrir la voie à de nouvelles tentatives… Il y a la place au renoncement

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Souvent une ascension est née d'un rêve, d'une exaltation, d'un désir spontané, parfois irraisonné : un joli nom, une forme, une histoire, un souvenir et nous voilà à l'ancre d'un sommet ; mais viens le temps où il doit devenir un calcul, le rapport précis entre le but et les moyens de l'alpiniste ; de ce rapport découle la décision.

L'alpiniste doit toujours se rappeler cette formule, déplaisante à énoncer dans sa sécheresse, mais capitale, car elle conditionne le départ.

En cet instant, plus de charme dans ce monde enchanté, plus de poésie dans cet univers ; d'un froid calcul dépendent la vie de l'alpiniste et celle de ses compagnons.

Mais qu'il est beau ce dialogue intime entre l'homme et les forces de la nature !

Gaston Rebuffat : la montagne est mon domaine 

À l’instar de la détermination, de la persévérance, de la technique, des connaissances, de l’entraînement ou d’un matériel performant, le renoncement est un outil de réussite pour un athlète.

À tous les niveaux, face à chaque défi, face à chaque panorama, aussi charmeur soit-il, savoir poser les armes face au doute est une performance sans concurrence et une victoire assurée.

Face à la subjectivité sauvage, si la technique et l’expérience sont des gages de performance pour défier les lois de la nature, l’observation et l’analyse sont les seuls garants de sécurité et le renoncement la seule assurance de n’avoir aucun regret !

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Vivian Bruchez  : «  Renoncer, c’est construire ses prochaines ascensions et ses prochains succès. C’est ce qui te permet d’être meilleur. »

Vivian Bruchez aime aller poser ses skis là où l’homme n’est pas censé aller… Il aime aller là où la neige se fraie timidement un chemin entre les roches sombres qui déchirent le ciel.

À ces altitudes, la vie raisonne comme un bruit sourd dans un paysage hostile et envoûtant à la fois. Né au pied du Mont-Blanc, Vivian a observé cette nature verticale dès son plus jeune âge, il a regardé ses mouvements. Il a écouté ses sons et compris ses humeurs, il s’est fait une place sur les sommets sans jamais les défier.

Aujourd’hui, guide de haute montagne et skieur de pentes raides, il est connu pour ses lignes engagées sur des faces aux confins des cieux. Mais si l’inconnu l’attire, il n’emprunte et ne s’engage que sur les routes des possibles, l’impossible, quant à lui, ouvre une autre voie, celle du renoncement…

Pour le Chamoniard, le renoncement est une partie inhérente de sa pratique ; en haute montagne, « l’engagement est l’équilibre entre j’y vais / je n’y vais pas » et le renoncement, est ce qui permet de « construire ses prochaines ascensions et ses prochains succès. C’est ce qui te permet d’être meilleur. »

Des sommets maisons du massif du Mont-Blanc aux 8000 himalayens, Vivian Bruchez a fait une croix sur de nombreux projets, pour cocher à l’arrivée, tout autant de réalisations…

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ILS ONT PASSÉ DES MOIS À ORGANISER CETTE EXPÉDITION

LE RENONCEMENT FACILE

En septembre dernier, Vivian Bruchez est parti rejoindre les plus hautes contrées de la planète en Himalaya, objectif : ouvrir le Dhaulagiri à ski, septième plus haut sommet du monde, culminant à 8 167 mètres sur le Népal.

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Un tel projet, ça ne se fait pas en un jour. Cela fait des années que l’équipe pense et travaille à ce sommet.

Et quelle équipe ! Autour de Vivian, les skieurs et alpinistes français, Mathéo Jacquemoud, Mathieu Meynadier, Léo Slemett, l’Américain Mike Arnold et le réalisateur Bertrand Delapierre se sont investis corps et âme dans ce projet colossal.

Ils ont passé des mois à organiser cette expédition, des mois à s’entraîner, à trouver des financements, des mois à mettre en place la logistique, avant d’enfin fouler les neiges du Népal…

Et pourtant, malgré tous ces efforts, tout ce temps passé, le renoncement était « une évidence », « un choix facile » nous confie Vivian.

« Il y avait tellement de paramètres qui n’étaient pas réunis pour avancer, qu’au final c’était un choix évident, il n’y a pas eu de discussion. Pour un skieur-alpiniste, l’objectif c’est de grimper vers le haut… Là, avec clairement aucune visibilité, beaucoup de neige et un éloignement plus important et donc un engagement beaucoup plus important, la seule issue pour nous était vers le bas !

LE RENONCEMENT LE PLUS DUR À PERCEVOIR, C’EST CELUI QUI T’EMMÈNE LE PLUS LOIN DANS LE RISQUE

Il y a des fois, où le renoncement est flagrant ; il est tangible, il vient du terrain, il vient de la météo, il vient des conditions… Ce renoncement, tu ne peux pas le rater ! Il n’y a pas de question à se poser, c’est un renoncement facile. »

Des premières esquisses du projet jusqu’à l’arrivée au camp de base, Vivian Bruchez a toujours su que ce rêve de glisse à plus de 8000 mètres d’altitude ne dépendait pas de sa simple volonté ou des compétences de son équipe, l’humilité, l’acceptation et le renoncement faisaient partie du projet tout autant que l’engagement et la motivation.

Le 14 septembre, alors tout juste arrivé à Katmandou, Vivian postait sur ses réseaux :

« L’idée de skier à 8000 mètres a toujours habité mon esprit, alors au vu de l’équipe et du projet c’est une superbe chance d’être ici et on verra ce que la montagne, la météo et les conditions nous laisseront faire ! » Le 12 octobre, de retour chez lui, il postait : « Aucune déception de cette aventure, s’adapter aux conditions fait partie de notre quotidien. »

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LE RENONCEMENT QUI SE RESSENT

Vivian Bruchez personnifie le renoncement, comme si ce n’était pas une action mais un élément du décor alpin, parfois éclatant au premier plan comme « le renoncement facile » et parfois, plus en nuance, plus difficile à cerner, « un renoncement qui se ressent. »

« Si dès le départ, à l’initiative d’un projet, il n’y a pas un bon feeling, s’il y a quelque chose, parfois même indescriptible, un détail qui me tracasse, ça peut être lié à la montagne, à la cordée ou à une météo et un créneau limité, sans parler d’incertitude, l’incertitude est normale dans nos pratiques, mais là je parle de mauvais feeling, quelque chose qui nous retient… Par expérience, à chaque fois que tu t’engages dans un projet avec ce mauvais feeling, ça ne se passe pas comme prévu et à chaque fois, tu renonces trop tard… C’est le renoncement qui est le plus dur à percevoir, celui qui est « trop tard », et c’est à mon avis, celui-ci qui est dangereux. C’est celui qui t’emmène le plus loin dans le risque. »

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