Sam Favret et Maxime Moulin ne sont pas frères. Mais c’est tout comme : ils se sont encordés pour un projet de vie. Ils ne sont pas chanteurs, encore moins rappeurs. Mais c’est tout comme : ils ont fait du ski leur instrument et des images à couper le souffle un refrain entêtant. Ils n’ont pas signé le tube de l’été. Mais c’est tout comme : ils ont tourné le film de l’hiver. En effet, avec Flow, Sam, l’athlète, et Maxime, le réalisateur, ont secoué la montagne via une proposition cinématographique peu commune. Tout au long de la saison 2021, accompagnés d’Hensli Sage et Fabian Bodet, ils ont transformé la fermeture des remontées mécaniques en opportunité. Pourquoi ? Pour redécouvrir Chamonix, à l’accoutumée ultra-populaire et revenue à l’état sauvage. À la force des jambes, à force de volonté, en quête de l’état de grâce. Interview croisée avec le tandem qui a visé le Big Flow en jouant All’in.
Drone de course, feeling & alchimie
En quoi Flow est un projet différent de tous ceux que vous avez pu faire jusqu’à présent ?
Sam Favret : Je laisse la parole au réalisateur ! (Sourire)
Maxime Moulin : Belle responsabilité, merci Sam ! Pour moi, la vraie singularité de ce film réside dans le fait que nous ayons dû nous adapter. Son point de départ, c’est une contrainte transformée en opportunité. Les remontées mécaniques étant fermées, on acquiert la possibilité de tourner sur des itinéraires classiques, généralement très fréquentés, mais qui s’offrent à nous vierges de toute trace. On peut alors y écrire une nouvelle histoire : celle de Sam qui, par obligation de se réinventer, redécouvre ce qu’il connait par cœur. Mais au travers d’une autre perspective. Il fait un pas de côté.
Sam Favret : Me concernant, j’estime que ce n’est pas ma plus grosse saison en termes de performance pure. Limité par les contraintes d’accès, je n’ai pu m’exprimer à 100%. En revanche, j’ai dû travailler différemment, trouver de nouvelles ressources et m’adapter. On aurait pu parer à la situation, fuir les contraintes et se réfugier en Suisse ou en Autriche. Pourtant, on a décidé de l’accepter et de s’en accommoder. En laissant beaucoup parler le feeling et l’improvisation, en s’autorisant d’être surpris, sans trop de scénario établi au préalable. Au départ, il ne devait s’agir que d’un film avec des images d’action, mais petit à petit, en le vivant plutôt qu’en l’écrivant, a émergé l’idée du making-off : il fallait que l’on raconte l’aventure humaine ! L’équipe était petite mais l’alchimie ultra-forte.
Le point de départ du film, c’est une contrainte transformée en opportunité
Pourquoi ce nom : Flow ? Est-ce une référence à ce concept aujourd’hui tendance en préparation mentale et qui renvoie à cette sensation d’« être performant en se trouvant au bon endroit, au bon moment » ?
Sam Favret : Pas nécessairement. Ce titre est parti d’une discussion WhatsApp que nous partagions avec notre petite équipe du projet. C’est Sam qui a balancé l’idée. Elle a maturé. On a tous adhéré. Le flow, c’est le flux, le mouvement hyper fluide et naturel que l’on a souhaité retranscrire et mettre en œuvre, notamment grâce à l’utilisation d’un drone de course pour capter les images. Des lignes de skis qui coulent de source. D’ailleurs, le drone aussi, ça fonde la singularité de ce projet : tourner des images cinématiques au drone de course, qui d’habitude fait tourner la tête, ce fut un vrai challenge.
Maxime Moulin : Effectivement, à l’origine, le titre se réfère plutôt à la démarche esthétique du film et à la chance de pouvoir rider ce Chamonix, normalement outrageusement populaire, et qui à cet instant retrouvait son état sauvage. Mais, après réflexion, la connexion avec le flow psychologique fonctionne tout aussi bien : on a atteint une alchimie de dingue sur ce projet. Chacun - qu’il s’agisse du pilote de drone Hensli Sage, qui a prouvé toute sa maitrise technique et cinématographique, du photographe Fabian Bodet, du musicien Tristan Bres ou de Thomas Roche au sound design – s’est sublimé pour l’équipe et a trouvé dans ce collectif les ressources pour exprimer la quintessence de son talent. Chacun porte une grande part de responsabilité dans la réussite de Flow. (Un temps de réflexion) C’était beau. C’était rare…
Le flow, c’est le flux, le mouvement hyper fluide, des lignes de skis qui coulent de source
Le film de ski, c’est un peu comme un itinéraire classique à Cham, un lendemain de grosses chutes de neige fraîche : une face rayée de toute part. Comment fait-on pour innover et laisser une trace singulière et marquante de son passage ?
Maxime Moulin : Il y a 11 ans, lorsque je me suis lancé, Tristan Shu m’a affirmé que de la contrainte jaillissait la créativité. Cet adage n’a jamais été aussi véritable que cette année. Ensuite, la personnalité de l’athlète joue énormément. Sam ride comme il est. Il ne se travestit pas dans quelque chose qu’il n’est pas. Il dégage une énergie brute, quelque chose de très pur et puissant, ancré dans la montagne. Il est capable d’envoyer du gros ski, très engagé, mais toujours avec cette réflexion sur la manière dont sa ligne et son attitude vont rendre à l’image. Sa démarche esthétique s’exprime à chaque virage. Ça aide pour réaliser des films qui sortent de l’ordinaire…
Sam Favret : Pour innover, à un moment donné, il faut suivre ton intuition. Et Flow en fut le parfait exemple. D’habitude, la feuille de route est ébauchée. On sait où l’on va. Là, hormis le parti pris initial très fort sur l’utilisation du drone, on a construit le projet au jour le jour. Nous avions la vision, sans la pression des attentes. La démarche était très itérative. On a juste fait du mieux que l’on pouvait. Et je crois que l’originalité réside là-dedans.
Maxime Moulin : Sam a raison. Il y avait beaucoup d’intuition. Mais aussi énormément de réflexion. Tu aurais vu ce petit crew, un vrai laboratoire à ciel ouvert ! Chaque plan était réfléchi, discuté en amont. Chaque ligne se révélait le fruit d’un raisonnement de groupe. C’est la raison pour laquelle, nous avons été aussi stricts et exigeants sur la sélection des images. On ne se contentait pas d’une bonne ligne, il fallait qu’elle soit exceptionnelle. Et c’est ainsi qu’on a abouti, pour moi, au plan ultime de freeski, celui que l’on rêve tous de capturer, avec ce drone qui part de loin, se rapproche du skieur, s’inscrit dans son sillage, puis reprend de la hauteur…
Dénivelé positif, banane & la Combe à Patoche
Pour chaque ligne, vous avez dû partir de tout en bas dans la vallée, à la force des jambes. Ça change quoi que de faire autant de ski de randonnée pour rider et tourner des images ?
Sam Favret : Ça change principalement deux choses : l’état d’esprit et la façon dont tu skies. Déjà, tu en profites plus car tu sais que cette descente, tu la mérites vraiment. Dans la montée également, tu prends le temps de bien regarder la face, de la contempler, voire presque de méditer. Ensuite, quand tu t’élances, forcément, tu prends un tout petit peu moins de risque. T’as pas envie de te mettre un « tête-pied » dès le premier virage alors que tu viens de te manger une monstre bambée en ski de rando. Il faut assurer les images, donc tu en gardes un peu sous la semelle et tu ne débranches pas totalement. Tu veux juste skier, poser des images propres et arriver en bas avec la banane.
Maxime Moulin : C’est exactement ça, ça réduit la fenêtre de tir. L’ensemble du film est tourné en seulement 15 journées, avec la majorité des plans issus de 4 ou 5 d’entre elles, dont nous avons tiré la substance de chaque ligne. Cependant, passer autant de temps en ski de randonnée, ça a nourri le projet d’énormément de discussions, de moments de vie et de partage que tu n’as pas forcément lorsque tu es pris dans la frénésie d’un tournage plus classique. Les membres de l’équipe se connaissent depuis longtemps et sont amis d’enfance pour la plupart, mais là, on a vécu un truc humain différent, d’où le fait qu’ait surgit l’idée du making-off.
Les approches en ski de rando, ça change principalement deux choses : l’état d’esprit et la façon dont tu rides ensuite !
Est-ce le tournage le plus éprouvant physiquement qu’il vous ait été donné de faire ? Sam, cela donne quoi en termes de dénivelé positif la réalisation d’un tel film ?
Maxime Moulin : Franchement, moi, la première journée, lorsque l’on a du grimper jusqu’au Brévent, j’ai pris une claque. Notamment à cause du poids de la caméra qu’il faut balader. Après on s’habitue. Mais celui que j’ai plaint à chaque approche, c’est Hensli. Son sac était si lourd… Avec ses 2 drones, ses batteries, son aire d’atterrissage et de décollage… Ah ouais, Hensli et Fabian il ont donné de leur personne pour ce film !
Sam Favret : Je suis athlète. C’est mon job d’avoir la caisse et de me mettre de grosses bambées pour aller chercher des lignes. Je m’entraine quotidiennement pour développer l’endurance et la force qui rendent mes projets réalisables. Je ne suis pas un « cafiste » mais j’ai franchi les 100 000 mètres de dénivelé positif dans l’hiver. Non, ce qui fut le plus dur, c’est d’accepter les journées où l’on a tenté de forcer le destin, mais en rentrant bredouille, sans image à cause des conditions…
Ça fait quoi de rider dans un Chamonix presque fantôme, revenu à son état primitif ?
Sam Favret : Ça offre une sérénité de dingue. Normalement, à Cham, si tu veux avoir le privilège de tourner des images avec de la neige vierge et de belles lumières, il faut vraiment se lever tôt et prendre une longueur d’avance. Tout le monde est aux aguets, dans les starting-blocks… Là, on a pu prendre le temps, sans avoir peur de se faire « rayer la face » par d’autres.
Maxime Moulin : C’était très fort de sens et de symbolique. Pour moi, Flow c’est une collection de clins d’œil à ce Cham ultra-populaire qu’on a eu la chance de découvrir sous un autre jour. On a ridé moins de lignes, mais on a vécu plus de moments iconiques.
Lorsque l’on est free-skieur et réalisateur de films de ski, on aspire à revivre plus de saisons comme celle qui vient de se dérouler, loin de la cohue ?
Sam Favret : D’un côté, cela ne me dérangerait pas, si ça devait continuer ainsi… Ces 15 dernières années, on a vécu le truc à fond. Presque dans une logique de surconsommation. Plus on en faisait, plus on avait envie d’en faire. Être contraint de revenir à une approche beaucoup plus essentialiste et primitive, ça te remet un peu à ta place, ça ouvre des pistes de réflexion. De l’autre néanmoins, je ne serais pas mécontent que les remontées mécaniques ouvrent à nouveau. L’économie des stations en a besoin. Et nous, les riders, aussi.
Maxime Moulin : Il m’est difficile de me prononcer là-dessus. On nous a donné un contexte, nous nous sommes adaptés du mieux possible. En est ressorti un film qui délivre un message positif et reçoit un accueil énorme, dont je ne me doutais absolument pas.
On a ridé moins de lignes, mais on a vécu plus de moments iconiques.
Pour conclure, pourriez-vous nous raconter le moment du tournage qui vous a le plus marqué et ira directement s’inscrire au rayon des souvenirs impérissables ?
Maxime Moulin : Pour moi, la première journée de tournage au Brévent, en janvier, c’est l’acte fondateur du projet. J’ai alors mesuré son ampleur : la longueur des approches, la logistique complexe, le fait que Sam ne pourrait se rater sur ses lignes… Mais j’en ai aussi saisi la beauté et la singularité. On y a filmé ce qui reste pour moi le plan ultime du ski, celui après lequel tu cours depuis longtemps, dans le secteur des « Pentes de l’Hôtel », à Chamonix. Un itinéraire classique qui ce jour-là a muté unique. Cette première journée nous a donné la conviction que nous allions dans la bonne direction.
Sam Favret : Spontanément, j’aurais aussi cité ce souvenir, dans la « Combe à Patoche ». (Un silence de réflexion) Du coup, je vais partir sur le dernier chapitre du tournage. Ces 3 belles journées passées tous ensemble pour clôturer le film à l’Aiguille du midi. Remonter cette face vierge sous les premières lueurs du jour, crapahuter sur cette arête emblématique, avec une petite brume mystique, seul, alors qu’habituellement il y a foule tant elle est touristique, c’était incroyable ! Je me suis senti privilégié comme rarement. C’est l’illustration parfaite de ce que nous avons essayé de transmettre : des runs devenus banaux retrouvant leur état sauvage et par la même occasion tout leur caractère.
Flow 16 min
réalisation Maxime Moulin
production Sam Favret
pilote de drone : Hensli Sage musique : Tristan Bres
sound mix : Mix&Mouse
photos : Fabian Bodet