Publié le 6 août 2025
Un Breton parcourt 5000 km à vélo entre Rio et Manaus à travers la jungle amazonienne pendant 65 jours d’aventure extrême
Crédit photo : © Baptiste De Morais
Carnet de voyage

Un Breton parcourt 5000 km à vélo entre Rio et Manaus à travers la jungle amazonienne pendant 65 jours d’aventure extrême

“La jungle, le Breton et son vélo”
VTT CYCLISME, AVENTURE
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Carnet de Voyage

Machette en main, poisson sur l’épaule, larve sous la dent, Baptiste Demorais l’a trouvée, son aventure amazonienne. 65 jours plus tôt, il quittait le Carnaval de Rio pour rallier Manaus à la force des mollets. 5 000 kilomètres, 37 000 mètres de dénivelé positif et un tracé inédit à travers la jungle. Le pari d’une vie. Entre peur de l’inconnu, paysages de dingue et survie en forêt, le jeune Breton s’est donné les moyens d’accomplir l’expédition de ses rêves. Et il l’a fait. Rencontre.

Crédit photo : © Baptiste De Morais

“J’avais envie de passer à la vitesse supérieure” sourit Baptiste, 22 ans, barbe en bataille et sueur au front. Ce 6 mai, à Humaitá, ville du nord-ouest du Brésil, il fait 31°C et 80% d’humidité. Un climat moite comme une serre tropicale. Rien à voir avec l’air frais de Laillé, son village natal breton, au sud de Rennes. Depuis une modeste chambre en parpaings, son Giant Revolt 1 posé non loin, le Breton se laisse le temps de la réflexion. Voilà 59 jours qu’il a quitté Rio de Janeiro à vélo, soit 4 300 kilomètres. Au moment de l’interview, il n’en reste que 700 avant Manaus, capitale de l’Amazonie. “Attends, 700 bornes ? Si ça, c’est pas une coïncidence !” rigole-t-il, casquette vissée à l’envers. Trois ans plus tôt, c’était exactement la distance de sa toute première épopée.

Avant, j'avais tellement peur de m'engager. Là, c'est l'inverse. Je cherche l'inconfort extrême. 

Vers le Brésil et au-delà !

Après un BTS en management commercial peu concluant, Baptiste part “apprendre à se connaître”. Son premier défi ? Rejoindre Verdun à vélo depuis la Bretagne pour surprendre ses grands-parents. 700 kilomètres en solo, 100 km par jour. “Je suis parti la fleur au fusil, complètement surestimé… mais au final, ça l’a fait”. Depuis, “absolument tout a changé” : itinéraires, matériel, préparation. Traverser le Brésil à vélo, ça ne s’improvise pas. 

“Tombé amoureux” de l’aventure, Baptiste pousse plus loin : en 2023, il rejoint la Suisse à pied pour rencontrer son idole, un certain Mike Horn. Un an plus tard, il traverse l’Italie à vélo avant de boucler les trois randonnées les plus dures de France. L’été dernier, il aligne 900 kilomètres et 50 000 mètres de dénivelé en 37 jours. Beaucoup se seraient arrêtés là. Mais pas lui. Adieu sentiers de campagne balisés et pistes cyclables bétonnées. Cette année, cap sur la jungle.

Crédit photo : © Baptiste De Morais

Genèse d’un projet fou

Pendant six mois, il alterne chantiers en intérim et préparation minutieuse du matos : hamac, sacoches, réglages, autonomie. “Quand je me suis senti prêt, j’ai pris un avion”, raconte-t-il, interrompu par l'aboiement de deux chiens errants. Le Brésil est loin d’être un hasard. Depuis sa traversée montagnarde, Baptiste rêve d’un environnement extrême. La jungle, comme celle décrite dans Latitude zéro, le récit tour du monde de Mike Horn, offert par sa tante cinq ans plus tôt. “Ce livre me dépasse, je trouve ça dingue comme vie. Survivre dans cette forêt immense, qui grouille d’animaux… Ça me terrifie tellement que j’ai envie d’y aller. Mais ça me parait impossible”. Il le relit l’an dernier. Et si, finalement, lui aussi en était capable ? Guyane, Colombie… C’est Manaus qui s’impose. Pour y aller, escale obligatoire à Rio de Janeiro. Une aubaine. “Je me suis dit bêtement : j’atterris là-bas, je prends un vélo et je monte à Manaus pour faire une semaine de survie.” Début mars, premier coup de pédale au pied du Christ Rédempteur. 

Crédit photo : © Baptiste De Morais

Premières peurs

Très vite, son “incapacité à agir” face à des situations inédites surgit. À mi-chemin, dans le Mato Grosso - littéralement “grande brousse” - il découvre une région isolée, ponctuée de villages perdus dans la savane. “Les locaux te préviennent vite : il y a de nombreux jaguars, faut pas dormir n’importe où.” Un matin, le cycliste tombe sur des traces de “chats”, grandes comme sa main. Le soir, on lui montre des vidéos d’attaques. “J’étais complètement seul, à vélo, je flippais. Je me disais : si je me fais attaquer et que je meurs, j’espère qu’ils prendront mon téléphone pour que mes proches lisent mes notes. On se fait vite des films.” Les bruits de la nuit, les serpents, les tamanoirs… Tout l’impressionne dans cet exotisme. “Même si au final, c’est plutôt moi qui leur fais peur”, concède-t-il à demi-mot pendant l’appel vidéo.

Je suis parti la fleur au fusil, complètement surestimé...mais au final ça l'a fait !

Crédit photo : © Baptiste De Morais

Piste rouge, jungle verte

Sur la route, les paysages défilent. “Une piste rouge, très rouge”, bordée d’une végétation verte et luxuriante. Dès 6 heures, l’humidité remonte des arbres. L'après-midi, le soleil cogne. Par endroits surgissent des “champs de maïs, de soja ou de coton”. Des “magnifiques aras bleus et jaunes” volent dans un ciel azur, parfois nuageux. À son passage, des millions de fourmis longent ses roues, tandis que des lézards détalent vers l’herbe. Juste à côté, quelques vaches paressent près de petites fermes en bois. Il carbure entre 80 et 90 km par jour, parfois 110 sur terrain plat. Le rythme est conséquent : une pause tous les 10 jours, et 37 000 mètres de dénivelé positif au total. ”Il faut imaginer des montées à 15-20% en plein cagnard. Impossible de me mettre en danseuse. Je devais pousser le vélo. Tous les quarts d’heure, je m’arrêtais pour boire. 6 à 8 litres par jour. La sueur dégouline, s’échappe au bout des doigts”, décrit-il en soulevant son tee-shirt trempé. Rien ne sèche. Depuis le Carnaval de Rio, la chaleur a été un “vrai choc”.

Évaluer le bénéfice-risque

Avec son gravel de 35 kilos, sur des pistes défoncées ou glissantes, le défi est rude. “Un VTT aurait été plus adapté”, admet-il. Pourtant, il n’a connu ni crevaison ni casse. L’aventure, elle, se joue ailleurs. Comme ce jour, 940 kilomètres après le départ, où un pont effondré le bloque. Le plus dur, c’est de trancher : “tu essayes d’évaluer le bénéfice-risque. Soit tu le tentes, soit tu perds deux jours.” Une seule solution : porter le vélo et traverser en équilibre sur une vieille poutre, les lambeaux de bois bringuebalant dans le vide. “Si je tombe, c’est fini”, lâche-t-il après une pause. D’autres fois, la panique le pousse à “bourriner comme un débile pendant 10 heures, sans pause” pour fuir une zone à jaguars. Ce genre de frayeur l’a forcé à ritualiser ses matins : regonfler, lubrifier le vélo, vérifier son set-up. De quoi rouler serein.

Crédit photo : © Baptiste De Morais

Une solitude choisie

Passé Brasília, ce sont des jours entiers, trois à six, sans croiser personne. Autonome avec ses rations - riz, thon, avoine, pâte à tartiner - et ses gourdes filtrantes, il doit vite réadapter son alimentation, trop juste en énergie dès le deuxième jour en solitaire. Et là, c’est l’aventure, la vraie. Celle des bouquins de son adolescence. “Mentalement, j’ai jamais été aussi bien, je vis le moment présent à fond, sur mon petit nuage. Je l’aime enfin, cette solitude.” Sur la route, pas un seul touriste en trois mois. Les locaux, intrigués par ce jeune cycliste au portuguais hésitant, noirci par la poussière et la sueur, hallucinent : parti de Rio, pour Manaus, à vélo ? “Personne ne semble avoir fait ce tracé, seul, du sud au nord. Je suis étonnamment le premier”, réalise-t-il, les yeux pétillants, lui qu’on a surnommé o louco, le fou, dès le premier jour.

Le vertige de la fin

Mais même la plus belle des aventures a une fin. Et elle approche. Malgré l’expédition prévue à Manaus, il anticipe son arrivée. “C’est moins stimulant. La dernière ligne droite, c’est littéralement une route de sept jours.” La nostalgie monte. Il repense au premier jour, posé, sans réseau, au milieu de la jungle. Et redoute le retour en France. “J’ai peur de m’ennuyer, du boulot, de la routine, ça me tétanise. Peur de perdre bêtement du temps à scroller, de mal manger. J’ai l’impression qu’ici, je suis plus fort. Je pense à rien pendant 8 heures, mais je m’imprègne d’une culture. En Occident, on n'écoute jamais ses pensées. À peine si on les regarde passer, comme des nuages. Pourtant, c’est une chance inouïe. Il faut apprendre à aimer être seul.”

Le voyage l’a changé. “Avant, j’avais tellement peur de m’engager. Là, c’est l’inverse. Je cherche l’inconfort extrême. J’ai compris que l’ouverture d'esprit était une qualité qu’il fallait travailler. La curiosité, le fait d’aller vers les gens, de découvrir des cultures, d’explorer… Je suis absolument addict à cela. Les potes, la famille, les sorties, je connais. J’ai hâte de les revoir, ils me manquent, mais je ne suis pas pressé. Ce que je vis, ils le vivent avec moi. Quand j’ai annoncé ce projet de dingue, ils ne m’ont pas dit non. Ils m’ont dit comment tu vas faire ? Ça n'a pas de prix.”

Pendant 65 jours, Baptiste a eu “le sentiment d’être là où il est censé être”. Aujourd’hui, l’homme s’est accepté en aventurier. “C’est indescriptible.”

 

Propos recueillis par Mia Pérou

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