Publié le 15 septembre 2023
Rencontre avec Tom Lafaille, jeune prodige du ski de pente raide
Interview

Rencontre avec Tom Lafaille, jeune prodige du ski de pente raide

Le coup de Fil le plus palpitant de l'année
SPORTS D'HIVER
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Ski Alpinisme, Ski

On devait réaliser une interview, classique. Avec des questions. Et aussi des réponses. Mais Tom Lafaille – 21 ans, enfant de la montagne, héritier de la haute montagne, prodige de la glisse et virtuose de la verticalité – en a décidé autrement. En effet, celui qui transforme tout ce qu’il touche en or blanc a amorcé la discussion. L’échange s’est emballé. Fluide. Frénétique. On est sorti du cadre. On a fonctionné à l’intuition. Tom a l’habitude. Pas nous. Alors on a écouté et on a beaucoup aimé. On a décidé de retranscrire ça de façon brute, sensible et authentique. À l’image du bonhomme. 

INSTA, HEC & PAKISTAN

Allô ! Salut Tom. Merci beaucoup de nous accorder ce petit moment. Comment vas-tu ? Tu t’es montré assez silencieux sur les réseaux sociaux dernièrement. Nous n’étions pas sûrs de ta réponse positive pour cette interview, pensant que tu avais peut-être envie de couper avec toute la dimension médiatique qu’implique le métier d’athlète professionnel. 

Salut l’équipe ! Merci pour l’attitude bienveillante. Mais mon silence ne traduit pas mon état d’esprit. Ça va plutôt bien. C’est vrai que les réseaux sociaux sont un véritable outil, au quotidien, pour valoriser notre pratique et nos partenaires, mais je ressentais depuis quelques semaines le besoin d’œuvrer dans l’ombre. De prendre le temps de prendre le temps. Prendre du temps pour moi. Je conserve l’envie de prendre la parole, mais de façon plus rare, plus qualitative. Faire moins, mais mieux. J’avais le souhait de m’exprimer d’une manière différente. Par exemple, je participe à une conférence sur la gestion du risque avec l’école HEC, et ça par exemple, ça m’enthousiasme énormément. 

La question n’était pas prévue, mais puisque tu ouvres une porte... Tu fais partie de cette génération d’athlètes ‘digital natives’ qui semblent avoir compris comment fonctionnent les réseaux sociaux. À titre personnel, comment les utilises-tu et quel regard portes-tu sur eux ? 

La première chose, c’est l’authenticité. J’essaye de laisser transparaître la personne que je suis au quotidien, dans la vraie vie. La deuxième, c’est que je m’attache à conserver une certaine forme d’intimité. Je ne dis pas tout. Je me préserve. Je parle juste de sport et de montagne. Aussi, j’évoque rarement mes projets en amont. Je communique sur ces derniers une fois qu’ils sont réalisés. Pourquoi ? Car en les annonçant, j’ai l’impression de me mettre une certaine forme de pression, de prendre un engagement que je ne suis pas certain de pouvoir tenir. Or j’ai du mal avec les gens qui ne font pas ce qu’ils disent. C’est dans ma personnalité, je préfère parler peu, mais agir plus. Enfin, moi qui suis très libre et indépendant, l’idée de devenir tributaire d’un algorithme que je ne maitrise pas me refroidit... J’ai de la chance, car mes partenaires comprennent bien cette vision. Selon moi, on fidélise plus facilement un consommateur passionné en lui proposant de beaux projets et des histoires singulières qu’en lui faisant poser un ‘like’ sur une vidéo virale qu’il aura oublié demain. 

D’ailleurs, tu reviens tout juste d’une expédition au Pakistan où, accompagné de la Polonaise Anna Tybor, tu es devenu l’un des très rares hommes à avoir skié le Broad Peak (8 051 m), le douzième sommet le plus haut de la planète, en Himalaya. Tu en as très peu parlé. Pourquoi ? 

Justement, dans cette volonté de m’enlever de la pression et de ne pas créer d’engagement. Personne hormis mes très proches ne me savait au Pakistan. Ensuite, parce qu’on a de la matière, de belles images, mais qu’on préfère conserver leur exclusivité pour qu’elles aient un maximum de force et de puissance lorsque l’on sortira le projet auprès du grand public.

Je ne me sens jamais aussi libre et vivant que dans ces temps d’exploration

L’INSTINCT, L’EXPLORATION & LE PETIT CAPUCIN

Sans transition, si l’on rétropédale un peu, peux-tu nous parler de ton parcours. Comment devient-on un athlète professionnel du ski de pente raide à seulement 22 ans ? 

J’ai découvert le ski de pente raide assez tard. En revanche la démarche de performance et les sports de montagne m’animent et me passionnent depuis tout petit. J’ai grandi dans la vallée de Chamonix, et presque comme tout le monde, j’ai commencé par le ski alpin. J’avais un esprit de compétition très développé, presque tête brûlée. Je m’engageais toujours à 200%, si bien que je chutais régulièrement. À 13 ans, j’ai découvert la grimpe. La première séance, j’y suis allé tellement fort que j’ai fini en croix, mais j’ai adoré. Je me sentais doué, comme si j’avais des prédispositions pour la discipline. Petit à petit, j’ai lâché la compétition et l’escalade en salle pour les grandes voies, à l’air libre. Ce qui m’a poussé à effectuer mes premières goulottes en cascade de glace, avec Rémi Escoffier, un ami de ma mère depuis près de 30 ans. On a gravi la Pointe Lachenal par la voie Cecchinel-Jager. J’ai trouvé ça si dur... Ça m’a marqué au fer rouge. J’ai tellement aimé. Ensuite, ils m’ont emmené à la goulotte Valeria, au Petit Capucin. J’étais le minot de la bande. D’ailleurs, j’ai toujours été entouré de personnes plus expérimentées que moi, souvent de 10 ou 20 ans. Comme si avec les enfants de ma génération, j’éprouvais un décalage. De fil en aiguille, à 17 ans, j’en suis venu à mélanger le ski et l’alpinisme, à faire la connaissance des véritables couloirs. Mon premier fut au Col du Belvédère dans le massif des Aiguilles Rouges, puis la Brèche de Praz-Torrent et enfin la Nord-Est des Courtes, une face de 800m avec une inclinaison comprise entre 40 et 50°. 

Qu’est-ce qui t’a plu instantanément dans cette discipline ? Peut-on considérer que le ski de pente raide t’a décoché une flèche ? Est-ce à ce moment-là, à 17 ans, que tu as acquis la conviction de vouloir y dédier ta vie et en faire ton métier ? 

J’adorais ces longues journées partagées en montagne, sans notion de chrono ou de performance, où il s’agissait juste de mixer les sports et les savoir-faire pour atteindre son objectif. Sans parler de conviction, j’avais déjà une certitude : que j’étais bien plus doué pour ça que pour l’école ! Donc sans trop m’en rendre compte, en suivant ce qui me faisait plaisir et ce qui me faisait envie, j’ai effectué la fameuse liste des voies à cocher pour pouvoir se présenter au concours de guide de haute montagne. J’ai passé mon probatoire à l’âge de 19 ans et aujourd’hui, en parallèle de mes projets d’athlète, j’accompagne mes premiers clients. Tout ça s’est imbriqué de manière assez fluide et naturelle. En fonctionnant à l’instinct et à la passion. 

Aujourd’hui, comment définirais-tu la vision du ski de pente raide et ta philosophie de la montagne ? 

C’est en cours de maturation et de réflexion. Le voyage au Pakistan fut d’ailleurs une véritable introspection pour valider tout ça. Ce que j’aime plus que tout, c’est l’exploration. L’exploration au sens géographique du terme d’abord, en accédant à des endroits sauvages où peu de gens sont allés. L’exploration au sens personnel du terme ensuite, en tâchant d’aller à la rencontre de mes limites physiques, techniques et mentales. Pourquoi ?

J’imagine que c’est parce que je ne me sens jamais aussi libre et vivant que dans ces moments d’exploration. J’embrasse cette sensation de pouvoir poser tes skis là où tes yeux et ton désir profond te portent. Je n’ai pas encore assez de recul pour le formuler de manière concrète et mon discours peut paraître assez flou, néanmoins, je sais une chose : c’est fondamental pour mon équilibre. Je ne sais pas encore pourquoi, mais je sais que ça me fait rêver. Et que ça me rend heureux. 

Je me sentais doué, comme si j’avais des prédispositions pour cette discipline

J’embrasse cette sensation de pouvoir poser ses skis là où tes yeux et ton désir profond te portent

BIKE TRIP, HÉRITAGE & BLANCHE DE PEUTEREY

Où s’enracine ce goût de l’aventure et du dépassement de soi ? Est-ce inné ? Le fruit d’un héritage familial ? 

Ma mère était une véritable aventurière. Elle a traversé l’Alaska à vélo, réalisé de nombreux treks au Népal... Elle faisait énormément de voyages, ou plutôt d’expéditions. Et elle nous amenait avec elle, mon frère et moi. On était très loin des vacances ‘chill’ en bord de mer. Lorsque mon père a disparu en 2006, elle a peut-être ressenti ce besoin de se mettre dans le dur, d’expérimenter ses limites pour se sentir vivante. Je me souviens qu’à l’âge de 5 ans, dans le cadre d’un ‘bike trip’ aux États-Unis, elle m’a trainé durant 3 semaines dans une carriole derrière le vélo. On dormait parfois dans de purs endroits, mais il nous est aussi arrivé de nous retrouver sur les parkings ultra-glauques de ces motels américains que l’on ne voit que dans les films. Petit, j’ai subi ce mode de vie un peu marginal. Désormais, je la remercie. Ça m’a endurci. Et ça m’a donné le goût du voyage, ainsi que celui de l’effort. 

Tu as perdu ton papa Jean-Christophe Lafaille, en 2006, à l’âge de 5 ans. Considéré comme l’un des plus grands himalayistes de l’Histoire, il a disparu lors d’une expédition au Makalu, au Népal. Aujourd’hui, tu écris toi aussi ton histoire en montagne. Comment préserves-tu ta maman de l’inquiétude de voir partir une deuxième personne lui étant extrêmement chère ?  

J’ai beaucoup d’admiration pour ma mère. Elle n’a pas eu une vie facile. Elle a vu du monde partir. Notre passé familial est rude. Donc aujourd’hui, j’essaye de la protéger au maximum. Plus jeune, je lui demandais d’arrêter de me mettre des barrières psychologiques. Je craignais qu’elle ancre une peur liée à ce qui était arrivé à mon père. Qu’elle me la transmette. Maintenant, je comprends mieux. Ce n’est que de l’amour. Donc je tâche d’être le plus pédagogique possible. Lui expliquer, sans tout lui dire. Je filtre les informations. Elle est ma première conseillère, celle avec qui je vais évoquer toutes mes idées et mes embryons de projets, car elle dispose d’une grande clairvoyance. Je crois que la meilleure façon de la préserver c’est de communiquer avec elle et être le plus transparent possible par rapport à ce que je fais. 

Cet héritage donne du sens à ma démarche. Mon père est une inépuisable source d’inspiration

Comment vis-tu l’héritage de ton père ? Maintenant que tu expérimentes la même, comprends-tu cette passion qui l’a habité, sa démarche ? Et est-ce difficile de marcher dans ses traces ?

Oui, aujourd’hui, je comprends mieux. Je comprends ses choix. Je comprends à quel point tu peux te faire absorber par cette passion. Combien elle peut devenir fondamentale dans ta vie et combien tu serais malheureux sans ! Or pour moi, le but d’une vie, c’est de s’épanouir. Donc désormais, je comprends mon père. Et concernant l’héritage : au début, oui. Ce fut un poids difficile à porter. Je n’étais pas Tom, j’étais le fils de Jean-Christophe. Mais c’est une réaction naturelle que je comprends totalement. On me comparait beaucoup à mon père. Et si je réussissais, je ne le devais pas à mon travail, mais à une génétique avantageuse. Comme si on exigeait de moi des choses de très haut niveau, mais qu’une fois atteintes, on m’en enlevait le mérite parce que c’était ‘normal’ au regard de mes racines. Maintenant, je suis beaucoup plus apaisé quant à cette filiation. J’en ai fait une force. Cet héritage donne du sens à ma démarche. Mon père est une inépuisable source d’inspiration. 

Qu’est-ce que tu réponds à ceux qui ne comprennent pas cette démarche, qui la considère comme individualiste, car anxiogène pour les proches ? Ceux qui ne voient dans cette pratique que du risque inutile ? 

La vraie question à poser à ses proches est la suivante : ‘Préférez-vous me voir épanoui en vivant cette vie ou malheureux, mais en totale sécurité ?’ Pour me sentir bien, j’ai besoin de cela : cette spontanéité, cette naturalité presque primitive, instinctive. Je souhaite à chaque individu de trouver quelque chose qui l’anime, qui le rend profondément heureux. J’ai cette chance. Mais dans mon bonheur, il y a cette part de risque, cette dose d’engagement. Je l’assume, et j’essaye de la minimiser au maximum. En m’entraînant, en progressant pas à pas, en développant du savoir-faire et de l’expérience, en tentant d’acquérir toujours plus d’expertise et de maitrise.

La vraie question à poser à ses proches est la suivante : ‘Préférez-vous me voir épanoui en vivant cette vie ou malheureux, mais en totale sécurité ?

Ton chemin a croisé celui de Vivian Bruchez, l’un des pontes du ski de pente raide, chamoniard comme toi et de 15 ans ton aîné. Vous avez noué une relation très forte, presque fusionnelle. Peux-tu nous parler de cette rencontre et de ce qu’elle t’a apporté ? 

Vivian a d’abord été mon coach au club de ski alpin d’Argentière. Je l’adorais. C’était le jeune entraîneur très cool et ouvert d’esprit que tous les enfants rêvent d’avoir. Il n’était pas uniquement focalisé sur la technique, le piquet, la vitesse... Il était à fond sur l’apprentissage par le plaisir. Lorsqu’il était tombé un mètre de neige fraîche, il nous emmenait faire du freeride ! On s’est un peu perdu de vue jusqu’à ce que l’on se recroise, en montagne, quelques années plus tard. Il m’a alors offert ma première paire de skis de pente raide. Celle avec laquelle il avait descendu l’éperon Migot, à l’Aiguille du Chardonnet, en 2014, avec Kilian Jornet. Il m’a d’ailleurs demandé de lui rendre un jour, même cassés, car ils possédaient une grande valeur symbolique pour lui. Puis, petit à petit, il m’a proposé des sorties, des lignes. Une relation de confiance doublée d’un super feeling s’est installée. Nous partageons les mêmes valeurs, la même vision de la montagne. Il m’a beaucoup transmis. Notamment le fait de réaliser des projets qui ont du sens, car lorsqu’il y a du sens, tu ne mets pas le même effort, tu mets un peu plus... Et si avant, il m’emmenait avec lui, maintenant, on y va ensemble. On forme une vraie cordée. Hyper fluide, hyper soudée. 

Pour conclure, peux-tu nous raconter la ligne de ta vie jusqu’à présent ? Celle qui t’a le plus marqué ? 

Il y en a 2 parmi lesquelles il m’est impossible de choisir. Tout d’abord, il y a la face Nord de l’Aiguille Blanche de Peuterey. Pour sa dimension mythique et mystique, visible depuis le ‘Skyway’, côté italien du Mont-Blanc ; pour son esthétisme ; et pour le cheminement particulièrement intelligent et intuitif dont on a fait preuve pour réussir à la descendre. Ensuite, je retiens ce couloir de 2 800 m de dénivelé négatif que l’on a ouvert, avec Vivian, à l’Aiguille du Goûter, en 2021. Vu l’engagement, je n’y retournerais pas tous les jours, en revanche je me plais à l’observer et poser mon regard chaque matin, d’à-peu-près n’importe quel endroit dans la vallée. 

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