Thomas Voeckler, après vingt-cinq années d’engagement total au cours desquelles il est devenu une figure emblématique du cyclisme français, enfile à nouveau le Maillot Jaune : celui de la reconversion.
Professionnel de 2001 à 2017, Thomas Voeckler s’est forgé une solide réputation de coureur de côte. Les côtes de moyenne montagne tout d’abord, celles que le double champion de France avalait à l’avant du peloton, souvent dans ce groupe d’échappés qu’il menait avec panache et talent. La côte de sympathie ensuite, fort d’une popularité dont il avait atteint les sommets auprès du public français. Pourtant, à l’issue de cette carrière couronnée de succès, au prix de sacrifices et d’un ascétisme de tous les instants, l’alsacien d’origine semble avoir conservé son tempérament offensif de « puncheur » et continue d’aller de l’avant. Désormais descendu de son vélo, il se plait à découvrir nombre de nouveaux projets, aussi sûrement qu’il multipliait les attaques à bicyclette. Avec passion et ambition. Comme à l’aube de chaque Tour de France.
La première course du reste de ta vie
Pouvez-vous nous confirmer que la vie de l’athlète de haut-niveau ne s’arrête pas au crépuscule de sa carrière sportive ?
Totalement ! Au contraire, on se réalise autrement et c’est très enthousiasmant. J’ai eu une première carrière, celle de coureur cycliste professionnel, et j’entame peu à peu la deuxième, bien que celle-ci n’ait pas encore totalement commencé. Je n’ai fait que du vélo pendant 25 ans. Aujourd’hui, j’explore, je découvre, je mène différentes missions ! Je suis en phase de reconversion, de transition. Le seul trait commun entre ces deux carrières, c’est le phénomène de saisonnalité : le mois de juillet demeure le moment phare et la période la plus intense de l’année.
Quelles sont les différentes missions qui rythment cette reconversion ?
Je suis encore en apprentissage et divise mon temps entre différents projets. D’une part, j’ai repris les bancs de l’école. C’était réellement important pour moi. En septembre, j’arriverai au bout d’une formation de deux ans au Centre d’Économie et Droit du Sport de Limoges afin d’obtenir le diplôme de manager de club sportif professionnel. De l’autre, je suis également consultant pour France Télévisions sur le Tour de France ou Paris-Roubaix. Je suis sur la moto, au plus près du peloton. Ensuite, j’endosse le rôle d’ambassadeur et réponds à des opérations partenaires pour des courses, des sponsors… Dans les prochains mois, je vais aussi m’essayer aux interventions en entreprise, non pas pour tenir des conférences car je n’ai pas la prétention de pouvoir tenir un discours magistral, mais plutôt pour partager mon expérience, mon vécu… Enfin, et c’est là le plus important pour moi, je m’occupe de ma petite famille, puisque j’ai trois enfants, dont une petite dernière âgée de seulement 20 mois.
On constate généralement un temps de latence entre la fin de la carrière sportive d’un athlète et la nouvelle, professionnelle. Votre reconversion semble s’amorcer rapidement et très naturellement. Était-ce préparé en amont ?
On ne peut pas dire que cela fût préparé. Jusqu’à ma dernière course, j’étais focalisé sur ma vie de cycliste professionnel. Par contre, j’ai eu cette chance de choisir le moment précis de ma fin de carrière, de ne pas partir sur une blessure. J’avais cette date en tête pour me retirer et j’ai donc pris quelques contacts en amont. Cependant, même ainsi, le changement de vie demeure assez radical. Mon quotidien est totalement différent. J’essaye plein de choses, j’explore.
J’ai eu cette chance de choisir le moment précis de ma fin de carrière, de ne pas partir sur une blessure
La peur du vide et l’envie de découvrir
Cette soif d’apprendre, est-ce une boulimie de projets pour combler un manque sportif ou simplement la volonté de découvrir ce qui se refusait à vous en tant qu’athlète ?
Les deux ! À la fois la peur du vide mais également le souhait de s’essayer à toutes ces choses qui avaient pu aiguiser ma curiosité auparavant mais qui demeuraient inaccessibles car incompatibles avec mes ambitions sportives. Après une vie aussi palpitante que celle de cycliste professionnel, on se voit mal s’ennuyer et tourner en rond à la maison… Pendant ma carrière, nombre de projets me plaisaient. Je ne manquais pas d’envie, seulement de temps ! Désormais, j’en ai et j’en profite.
Le fait d’être ambassadeur de certaines marques et d’avoir une course à votre nom répond-il à une volonté de transmettre ?
Oui ! Chose que je ne faisais pas forcément beaucoup en tant que coureur. Après le Tour par exemple, j’étais tellement vidé d’un point de vue physique et mental que je préférais recharger les batteries en famille plutôt que de m’aligner sur des Critériums. Pour la même raison, j’évitais les épreuves de masse, ouvertes au grand public. Désormais, j’ai énormément de plaisir à prendre part à l’organisation de cette cyclo-sportive, même si je demeure plus consultant que cheville ouvrière sur la logistique, puisqu’Avoriaz et les Portes du Soleil gèrent parfaitement cet aspect-là. Je n’ai qu’une seule exigence concernant ces partenariats, qu’ils soient crédibles, qu’ils aient un sens. Enfin, pour être tout à fait honnête et parce que je n’ai pas pour habitude de manier la langue de bois, il y a derrière ces partenariats une dimension financière dont je suis fier de pouvoir profiter, pour peu que les deux partis soient gagnants.
Votre rôle de consultant répond-t-il à cette même logique de démocratisation du cyclisme ?
En quelque sorte… Après, je reste à ma place. Ce n’était que ma première année. Mon objectif est assez simple : expliquer de manière simple toutes les subtilités du vélo qui peuvent paraître compliqués voire même invisibles aux yeux d’un public pas forcément très initié. Car on peut avoir l’impression que le Tour de France est parfois monotone, alors qu’en réalité, il se passe toujours quelque chose dans un peloton. Sauf que c’est souvent très technique, très pointu, très subtil…
« Tu me manques toi non plus ! »
Qu’est-ce qui vous manque le plus dans cette seconde carrière ?
(Sans l’ombre d’une hésitation) L’adrénaline de la compétition ! Je n’ai pas encore digéré ce manque. L’autre jour, je regardais le Giro (Tour d’Italie) à la télévision. Ils étaient trois en tête, à quelques hectomètres de la ligne, avec deux poursuivants sur le point de les rattraper. Ils s’observaient. La tension était palpable, le suspens à son comble. À cet instant, j’aurais aimé y être. Puis, la seconde d’après je reprenais conscience des sacrifices que cela induisait et me confortais dans l’idée que j’étais bien mieux de ce côté-ci de l’écran. Aujourd’hui, je reprends plaisir à monter sur un vélo, ou à courir, en trail notamment, mais ce n’est absolument pas dans une démarche de performance. J’ai juste envie de me faire plaisir, de me faire un peu mal physiquement, d’atteindre de petits objectifs personnels qui n’impliquent que moi.
Aujourd’hui, j’explore et je découvre en menant différentes missions !
Et a contrario, qu’est-ce qui vous manque le moins ?
(Avec la même vigueur dans la réponse) Les sacrifices familiaux en termes d’absence. Être loin de chez soi, de ses proches. Les sacrifices à l’entrainement et sur l’hygiène de vie ne me manquent pas non plus, loin de là. Car, être cycliste professionnel, c’est un métier à plein temps, une activité de chaque instant, 365 jours par an. Tu as des jours de repos, des bouffées d’oxygène, mais même à ce moment-là, tu as une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Tu sais que si tu relâches trop la pression, tu vas le payer après… C’est une vie d’ascète !
Vous semblez très épanoui dans cette seconde partie de votre vie, avec un regard très lucide sur cette dernière. Quel conseil donneriez-vous à tous ces sportifs qui ont été des icônes et qui entament leur reconversion ?
Un conseil à appliquer pendant la carrière, alors que l’on court encore, c’est assez simple : profiter un maximum et avoir conscience que l’on est privilégié ! C’est une chance fabuleuse que de vivre de sa passion. Par contre, je n’ai pas le recul nécessaire pour recommander quoi que ce soit ensuite… C’est trop récent pour que je sois légitime à cet égard. Je sais simplement que j’explore nombre de pistes qui me plaisent et me découvre des affinités pour certaines. J’explore, j’affine.
Profiter un maximum et avoir conscience que l’on est privilégié !
LE PODIUM DE MES SOUVENIRS
- Le premier, d’un point de vue personnel, c’est mon deuxième titre de Champion de France, en 2010. Ce n’est pas celui qui a le plus fait parler mais c’est celui dont je suis le plus fier. Je gagne chez moi, en Vendée, devant des milliers de spectateurs dont ma petite famille. J’étais très attendu, annoncé grand favori. Il a une certaine saveur, d’autant plus que quatre ans avant, sur le même circuit, j’avais terminé deuxième alors que j’avais largement la victoire dans les jambes.
- Je situe au même niveau les deux périodes où j’ai porté le Maillot Jaune du Tour de France pendant 10 jours, en 2004 puis en 2011. Le seul point commun entre ces deux parenthèses enchantées, c’est leur durée puisque d’un point de vue sportif, je n’étais absolument pas au même stade de ma carrière. En 2004, c’est une surprise, vraiment inattendue. En 2011, je me sens vraiment fort, en mesure de répondre aux attaques aux meilleurs coureurs de la planète, voire même les contrer. C’est un souvenir magnifique que de se sentir capable de rivaliser avec cette élite très restreinte.
- Mes quatre victoires sur le Tour. Mais la première, à Perpignan, en 2009, je l’ai cherché pendant tellement d’années que ce fût un soulagement inimaginable.
Texte : Basptiste Chassagne