Stéphane Tourreau fait partie de ces bipèdes philosophes à forte tendance aquatique qui trouvent sous l’eau de quoi mieux vivre sur terre. Détenteur de quelques records, l’annécien enseigne l’apnée et, surtout, en a fait un mode de vie. Un freediver des profondeurs que l’exploration excite autant que les records.
Comment définis-tu l’apnée ?
C’est plonger, sans respirer, dans un univers différent tout en étant à la fois en introspection et en observation… et en totale liberté. Il y a beaucoup de similitudes avec l’escalade, dans cette nécessité d’être en introspection pour gérer l’effort.
Originaire de Haute-Savoie, comment es-tu arrivé à l’apnée ?
Je suis né à Thonon et j’habite Annecy depuis sept ans. C’est en Corse, en vacances, avec mon palmes-masque- tuba que j’ai plongé dans la mer, à l’âge de 10 ans. C’était une vraie découverte et j’avais la sensation de me libérer. Le peu de temps que je restais en bas, je me détachais du stress extérieur, de la surface. Malheureusement, je ne pouvais pas poursuivre chez moi, il n’existait pas de clubs, donc je pratiquais de mon côté, dans le lac Léman, avec les copains. A 19 ans, on m’a proposé de créer une section apnée à Thonon puis à Annecy. et puis la pratique a explosé au plan national ! Je me suis construit en sens inverse, d’abord à encadrer des potes (car on ne plonge jamais seul) pour m’entrainer puis me former à la pédagogie, ensuite j’en suis venu au métier d’instructeur, aux réseaux sociaux et à la communication, à l’entraînement pour les compétitions, j’ai rencontré un préparateur mental en 2011 pour participer à mes premiers championnats du monde, un rêve de gosse… Lors de ma première compétition, j’étais tétanisé de stress, j’avais un gros problème de confiance en moi et de capacité à gérer mes émotions. L’apnée est une bonne thérapie d’ailleurs, beaucoup s’y mettent, de façon inconsciente, pour se développer. Il y a une forme d’autisme dans le freediving ! Ce n’est pas un sport d’adrénaline ! En revanche, c’est excellent pour la gestion émotionnelle et mentale. Pour progresser, je me suis intéressé à la puissance de l’attention, à la physique quantique pour comprendre comment nos pensées fonctionnent avec notre corps, et cela fait le lien avec la méditation et la capacité de concentration. L’apnée m’a énormément apportée. Je suis d’ailleurs très orienté sur le mental pour progresser, ce qui n’est pas le cas de tous les apnéistes. Ce n’est pas un sport d’adrénaline. On plonge vers l’obscurité pour trouver la lumière.
C’est un sport médiatiquement discret ?
On doit être moins de 4 ou 5 apnéistes dans le monde à vivre à 100% de leur sport. La plupart ont un autre métier : une école, de la vente de matériel… Moi, je fonctionne avec un team complète : préparateur mental, entraîneur, cameraman…
A quoi ressemblent tes semaines d’entraînement ?
J’ai entre 10 et 25 heures par semaine de préparation (assouplissement, méditation, entraînement dans l’eau, renforcement musculaire). Aujourd’hui, par exemple, c’est mon jour de repos, mais hier soir j’avais un entraînement dynamique en piscine, où je parcours de la distance à la palme avec des périodes de récupération plus ou moins longues. Pour être bon, il faut tout travailler, il faut être polyvalent, même si mon axe de travail, cette année, est l’hypoxie, c’est à dire la capacité de résistance à l’envie de respirer. Ce qui compte est la gestion de la combustion de l’oxygène, travailler la disponibilité énergétique pour aller plus loin, plus profond. Il ne s’agit pas seulement d’avoir un gros coeur, il faut s’adapter à la vaso-constriction et à la quinzaine de phénomènes physiologiques qui entrent en jeu.
Ce n'est pas un sport d'adrénaline, on plonge vers l'obscurité pour trouver la lumière.
Quels sont tes conseils pour ceux qui veulent s’y mettre ?
Même débutant, on peut rapidement aller profond, sur 15 à 20 mètres dans les premières sessions. Je vous recommande d’aller vers une structure d’encadrement, il ne faut pas commencer l’apnée sans prendre de cours pour savoir respirer, préparer une apnée, connaitre les dangers. Ensuite, je conseille de ne pas aller chercher la compétition dès le départ, et de pratiquer toujours encadré. On peut s’initier dans le lac d’Annecy ou dans le Léman, en période estivale l’eau est bonne, la thermocline (profondeur où la température chute brutalement, ndlr) est à 10 mètres, le froid n’est pas un problème. L’apnée est un sport accessible, facile, mais il est important d’être encadré pour prendre du plaisir et des bons réflexes.
Qu’est-ce qui te fascine dans ce sport ?
J’ai commencé l’apnée pour explorer les profondeurs, sans matériel en étant libre, comme un mammifère marin. J’adore aussi la performance, la compétition, pour partager l’aventure avec les autres, j’ai toujours été sportif, toujours cherché à me dépasser… mais je prends un vrai plaisir d’explorer à 70 m en sachant que personne n’est jamais allé là avant moi !
La compétition d’apnée à une caractéristique particulière : tu dois annoncer ta profondeur la veille.
Oui, pour les records ou les championnats du monde, on définit une profondeur la veille et on doit atteindre cette profondeur. Même en entraînement, il faut le faire pour que la sécurité s’organise, car il y a tout un protocole d’évacuation et de sécurité. Je ne considère pas l’apnée comme un sport dangereux (il y a eu un seul décès en compétition depuis 25 ans). L’apnée est risquée quand il n’y a pas de sécurité ou en exploration poussée…
Pourrais-tu nous raconter ta meilleure plongée ?
103 mètres au Vertical Blue (aux Bahamas). Avant de plonger, je me suis focalisé sur des ondes positives, en remontant j’ai pensé à mon père en train de me regarder, j’ai pensé à lui en train de sourire, je voulais lui montrer une belle plongée, ça m’a dégagé quelque chose de fort, car c’est grâce à lui que j’ai découvert la mer et l’apnée… j’ai fait une super plongée, j’ai vraiment savouré… pendant environ 2min30… en pensant à lui ! On plonge vers l’obscurité pour trouver la lumière !
Interview : Guillaume Desmurs
Photos : Mathias Lopez / Dan Verhoeven