Publié le 25 septembre 2025
Simon Paccard, L’avenir du trail français est entre de bonnes mains...
Crédit photo : © Adrien Colleur
Interview

Simon Paccard, L’avenir du trail français est entre de bonnes mains...

Génération 1.5
TRAIL RUNNING
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Trail, Interview

Texte de Baptiste Chassagne

Simon Paccard est un jeune du cru. Originaire des Bauges, il puise son énergie débordante dans ses racines profondes, celles qui le rattachent à sa famille et à sa terre natale. Gendre idéal et talent hors-norme, celui qui a grandi au pied du Semnoz, à mi-chemin entre la campagne et la montagne, incarne l’avenir du trail français. Un horizon qu’il esquisse proche des enjeux actuels mais fidèle aux valeurs transmises par les anciens. Entre innovation et tradition, entre passé et futur, Simon Paccard est un trait d’union. Un passeur de témoin entre la classe d’avant, et celle d’après. Rencontre avec le plus bel ambassadeur d’une espèce à part : la génération 1.5.

BUCHERON, JUS DE CERISE & TRANSMISSION

Simon, peux-tu te raconter en trois temps : d’où tu viens, où tu es ; et où tu vas ? 

Je viens du ventre d’une femme incroyable... (Sourire) Non, plus sérieusement, je suis originaire de Gruffy, un petit village niché en terre baugeoise, au pied du Semnoz, entre les lacs d’Annecy et du Bourget. J’ai grandi entre campagne et montagne, au plus proche de la nature. Mes oncles sont agriculteurs et mon grand-père, bûcheron. Enfant, j’ai d’abord tapé dans un ballon, sur les terrains de foot ; puis, j’ai découvert le trail par hasard, en 2015, grâce à mon voisin, qui m’a proposé une sortie jusqu’au sommet du Mont Trélod. Je suis tombé amoureux de la liberté et de la plénitude qui nous saisissent là-haut. Désormais, j’habite au Grand-Bornand, dans les Aravis, en colocation avec un ami. J’envisage de rester dans ce petit coin de paradis encore quelques années. Enfin, je me vois cultiver le plus longtemps possible cet équilibre qui m’épanouit actuellement : ma démarche d’athlète de haut niveau en trail ; mon métier de développeur produit dans le secteur de l’outdoor ; et ma vie perso, proche de ma famille, de ma copine et de mes amis. 

Crédit photo : © Mathis Decroux

J’aimerais montrer que faire les choses sérieusement, sans se prendre au sérieux, est un chemin vers la réussite

Tu défends une vision atypique du trail et du sport de haut-niveau, à mi-chemin entre le plaisir décomplexé et le professionnalisme méticuleux. Quel est le sens de ta démarche ? 

Ma devise s’est dessinée petit à petit, au fur et à mesure des années. Elle est désormais bien ancrée : faire les choses sérieusement, mais sans se prendre au sérieux. Par le passé, j’ai pu me montrer très carré, parfois trop, et ça n’a jamais fonctionné. Pour être heureux dans ma pratique, j’ai besoin de rester moi-même. Et pour performer, j’ai besoin de m’amuser. Je tâche donc d’être rigoureux, sans être rigide. Le relâchement me réussit. Si j’arrive décontracté et serein sur une ligne de départ, alors je me sais prêt à livrer le meilleur de moi-même. J’accorde également beaucoup d’importance au partage. Ma famille est la pièce maîtresse de mon bonheur. On habite quasiment tous dans un rayon de 500 m. L’énergie des autres me galvanise. J’ai à cœur de rendre l’amour que l’on me porte. Parfois, je prends plus de plaisir à rendre les gens heureux qu’à être heureux moi-même, quitte à m’oublier, un peu... 

Tu as récemment quitté le Team Sidas-Matryx, une pépinière destinée à faire éclore de jeunes talents, pour le mythique Team Salomon. Quelles principales différences as-tu observé ?  

Sincèrement, il y a très peu de différence sinon la dimension. Ce que met en place le Team Sidas-Matryx, Salomon le déploie à plus grande échelle. Pour résumer, les deux structures s’inspirent de ce qui se fait de mieux, aujourd’hui, en termes d’optimisation de la performance – c’est-à-dire les équipes cyclistes – et tentent de le décliner dans le trail. Salomon le fait avec plus de ressources et donc plus de verticalité, plus de profondeur : on va chercher encore plus loin les pourcentages ou dixièmes de pourcentage de progression. C’est un détail parmi d’autres mais par exemple, sur les stages, on nous propose un jus de cerise ou un shaker protéiné à l’issue de chaque entraînement, afin de favoriser la récupération. Intégrer cette équipe, c’est aussi se confronter à l’internationalisation de notre discipline, car on côtoie les meilleurs athlètes de chaque pays. Cela permet d’ouvrir son champ de vision, de s’enrichir culturellement et de pratiquer son anglais. Enfin, au sein du Team Salomon, on a la chance de cohabiter avec certaines des plus grandes légendes du trail : François D’Haene, Courtney Dauwalter, Rémi Bonnet... Faire des sorties avec eux, c’est un rêve de gosse et bénéficier de leurs conseils, un privilège rare. 

Mes oncles sont agriculteurs et mon grand-père, bucheron

Crédit photo : © Justin Galant

Le trail devient un phénomène de société. En tant que jeune athlète professionnel, quel regard portes-tu sur cette expansion ? Quel est ton rôle dans ce développement ? 

C’est vrai qu’en deux ou trois ans, notre sport a pris un virage assez inouï... De mon côté, je perçois cette trajectoire exponentielle et cet engouement comme très positifs. Le nombre d’athlètes professionnels qui peuvent vivre de leur pratique augmente. Le niveau, la compétitivité et la densité également ! Cela nous pousse vers le haut et nous incite à ne pas nous éparpiller, à travailler, à s’impliquer, sans cesse... J’ai donc la sensation d’expérimenter une période très privilégiée, comme si j’étais monté dans le bon train, au bon moment. Notre rôle – en tant que jeune coureur – est d’accompagner ce développement tout en assurant la pérennité des valeurs transmises par les anciens. On a eu de formidables porte-drapeaux. Il nous faut reprendre le flambeau et nous montrer dignes de cet héritage. J’aimerais que la compétition reste saine, que la bienveillance entre les adversaires demeure et que le trail continue d’être un sport propre, pour la planète, mais aussi du point de vue du dopage. 

Qu’est-ce que tu rêves d’accomplir sportivement d’ici la fin de ta carrière ? Et qu’est-ce que tu voudrais que l’on retienne de toi ? 

Je veux marquer l’Histoire du trail, mais pas uniquement par mes résultats. Je veux aussi laisser une trace par ma façon de procéder. On y revient mais j’aimerais montrer que faire les choses sérieusement, sans se prendre au sérieux, est l’un des chemins vers la réussite. Certains athlètes de haut niveau évoquent une vie de sacrifice ; moi, au contraire, je me sens extrêmement chanceux d’avoir fait de ma passion un métier... (Un temps de réflexion) Je serais satisfait et apaisé si à la fin de ce chapitre, j’ai inspiré, un peu, cette vision heureuse et positive de la performance. 

Cet été, j’ai dépensé quasiment autant d’énergie dans la préparation de la traversée que dans l’organisation du repas qui a suivi...

Disons que ce record, c’est la cerise sur le gâteau, mais pas la motivation première ! 

ARAVIS, RECORD & SOIRÉE D’ANNIVERSAIRE

Revenons sur l’un des plus beaux projets de ta carrière jusqu’à présent : le record de la traversée des Aravis. Un FKT (Fastest Known Time) de 50 km et 6138 m de dénivelé positif, que tu as établi le 25 juillet dernier, avec le chrono de 8h59. Raconte-nous la genèse de cette aventure... 

Depuis quelques années, j’ai pris l’habitude de me fixer des défis – souvent difficiles, parfois débiles – pour mon anniversaire. Ces challenges sont avant tout un prétexte pour passer une magnifique journée en montagne, dans le partage, avec mes proches. D’ailleurs, cet été, j’ai dépensé quasiment autant d’énergie dans la préparation de la traversée que dans l’organisation du repas qui a suivi... Pour en revenir à ta question, l’idée a germé dès lors que je me suis installé au Grand-Bornand. Depuis notre balcon, on peut observer une bonne partie de cette chaîne montagneuse très esthétique et absolument fascinante. En me documentant sur le sujet, j’ai constaté que le record avait été établi par Anne-Lise Rousset, un 25 juillet, en 2020. Je me suis dit qu’il s’agissait d’un signe et que je me devais de remettre cette traversée en lumière, cinq ans plus tard ! 

Lorsque l’on est athlète de haut niveau, et par définition, compétiteur, est-ce facile de se réaliser pleinement autrement que par une course avec un dossard ? Quelles sont les sources de motivation derrière un tel défi ? 

Je crois que c’est très personnel... Pour ma part, là où je me sens le plus performant, c’est lorsque je suis en compétition avec moi-même plutôt qu’avec les autres. Ces challenges sont pour moi une opportunité de découvrir jusqu’où mon corps peut m’emmener, questionner l’endroit où se situent mes limites. D’ailleurs, je préfère parler d’un voyage plutôt que d’un résultat lorsque j’évoque cette aventure. Un voyage intérieur. Une exploration plutôt qu’une bataille. Moi qui suis habitué aux trails plutôt courts, jusqu’à 50 km, je voulais voir la façon dont mon organisme réagissait au fur et à mesure des heures. Je l’envisageais avant tout comme une préparation optimale pour mon gros objectif sportif de l’année : la CCC (le format 100 km des finales UTMB Mont-Blanc). 

J’ai eu l’impression d’apprivoiser ce massif, de le respecter, de m’investir à la hauteur de l’ampleur de la tâche

Comment t’es-tu préparé spécifiquement pour cette traversée ? 

À partir de mi-juin, soit 5 ou 6 semaines avant le défi, j’ai effectué la majorité de mes sorties d’entraînement sur le parcours. J’ai reconnu certaines portions deux ou trois fois. Je connaissais l’itinéraire sur le bout des doigts, ce qui n’est pas un luxe au vu de sa technicité et de certains passages particulièrement engagés. J’ai eu l’impression d’apprivoiser ce massif, de le respecter, de m’investir à la hauteur de l’ampleur de la tâche. J’ai passé beaucoup de temps en montagne, sur les arêtes, avec le sourire. J’ai vécu une préparation heureuse et aboutie. J’en suis ressorti fort dans la tête, et fort dans les jambes. Mi-juin, je ne me disais pas : ‘Comment vais-je réussir ? Ça me parait si dur !’. Je me disais plutôt : ‘Comment vais-je patienter jusqu’au 25 juillet ? Ça me semble si loin !’... 

Quels sont les instants les plus marquants de cette aventure ? Y a-t-il un moment-clé où le FKT a basculé du bon côté ? 

Honnêtement, je n’arrive pas à extraire un moment en particulier car j’ai été dans le flow de A à Z. Dès le footing de déblocage, la veille, j’ai senti que j’allais au-devant d’une grande journée. Il y avait une pointe d’appréhension liée à une inconnue – comment réagit mon corps après 9 ou 10h d’effort à un rythme soutenu ? – mais je l’ai rapidement éludée en me focalisant sur mes sensations. Je retiens donc un kiff énorme et continu du matin au soir, avec une émotion particulière à chaque fois que je croisais mes proches. Ce qui restera gravé à jamais, c’est le partage ! C’est clairement l’une des plus belles journées que j’ai vécue au cours de mes 25 premières années... 

Que représente ce record ? Est-ce un accomplissement personnel, un message aspirationnel à destination d’une communauté... ? 

En tant que compétiteur, forcément, à un moment donné, j’ai pensé au record. En revanche, je ne me suis jamais focalisé dessus. Je n’étais pas dans cette quête absolue de battre une marque mais plutôt de donner le meilleur de moi-même et d’inciter d’autres coureurs à venir me challenger. Disons que ce chrono, c’est la cerise sur le gâteau, mais pas la motivation première. Même sans lui, j’aurais retenu un magnifique anniversaire, célébré par une belle journée en montagne, bien entouré, avec ma famille et mes amis. 

Crédit photo : © Matheu Decroux

Je me suis présenté sur la ligne de départ de la CCC dans les dispositions que j’affectionne : relâché, serein, détendu...

tout s’est super bien déroulé jusqu’au km 40...

CHAMPEX-LAC, QUADRICEPS & CONVICTION

Après ce FKT des Aravis, tu bascules vers l’une des courses les plus relevées du calendrier : la CCC, le format 100 km des finales UTMB, à Chamonix, fin août. Comment opères-tu la transition entre ces deux dates importantes ? 

Je considérais véritablement ce FKT comme un point de passage, pas comme une finalité. Cet état d’esprit ainsi que la technicité du parcours – qui empêche de bourriner de trop en descente, et donc de s’esquinter musculairement – ont favorisé une récupération rapide. Dès le stage organisé par le Team Salomon, au début du mois d’août, je me suis senti particulièrement en forme. J’ai profité de cette préparation pour accompagner Camille Bruyas, sur son projet de FKT dans les Bauges, avec la fameuse ‘traversée des 14 2000’. Une nouvelle belle et grande journée. Je me suis ainsi présenté sur la ligne de départ de la CCC dans les dispositions que j’affectionne : relâché, serein, détendu... Bref, prêt à m’amuser et à performer. 

Quel était ton objectif, ou plutôt ton ambition,
sur cette course ? 

J’en ai beaucoup discuté avec mon coach, Simon Gosselin, et mes managers, Vincent Viet et Grégory Jacquet. La dynamique qui émanait dans nos échanges était simple : zéro pression ! Il s’agissait de mon premier ultra-trail. J’avais cette chance d’avancer caché, sans que personne ne m’attende : ni favori, ni outsider. J’étais là pour explorer et profiter. Forcément, j’avais cette petite boule au ventre qui apparait lorsque tu as envie de bien faire, cependant, au fond de moi, je ressentais ce détachement qui me réussit si bien ! 

Peux-tu nous retracer cette course, et les différents ups & downs qui caractérisent un ultra-trail ? 

La stratégie initiale – quasiment respectée – était de se montrer très conservateur dans l’effort jusqu’à Champex-Lac, à mi-course. Y arriver frais et capable de maintenir l’effort sur la seconde moitié. Tout s’est super bien déroulé jusqu’au km 40. J’avais des sensations de facilité assez folles. Je regardais les coureurs autour de moi, et leur faciès témoignait d’une toute autre intensité que la mienne. Dans la descente du Grand Col Ferret, j’ai donc lâché les chevaux un peu plus tôt que prévu, et au pied de celle-ci, lorsque j’ai vu ma famille, euphorique, j’ai à nouveau accéléré. À partir de là, j’ai commencé à subir des courbatures musculaires qui n’ont fait qu’empirer. J’étais fort en montée et sur le plat, en revanche, j’avais deux bouts de bois à la place des quadriceps dès que la pente s’affaissait. J’ai réussi à limiter la casse jusqu’à la Flégère mais dans cette ultime descente, j’ai mis 1h contre 35 minutes prévues. J’ai perdu de nombreuses places et vu mon rêve de top 10, si proche, pendant si longtemps, s’envoler... 

Crédit photo : © Justin Galant

Qu’est-ce que tu retiens, à froid, de cette première expérience sur ultra-trail ? 

À chaud, j’ai été assailli par la frustration. La frustration, pas la déception. Car aux deux tiers de course, je suis 6ème, à 3 min du podium. Malheureusement, musculairement ça ne suit pas... Tu vois les autres te doubler et tu dois, de ton côté, composer avec cette impuissance à rivaliser. C’est rageant ! Néanmoins, avec le recul, j’en tire énormément de positif. Je me suis confirmé que j’avais le potentiel pour me faire plaisir et performer sur ces distances. J’ai pris le départ de la CCC avec une intuition, j’en suis revenu avec une conviction. Il reste pas encore pas mal de boulot, mais je suis définitivement sur le bon chemin ! 

Comment vois-tu la suite à court et moyen termes ? Vas-tu remettre un dossard d’ici la fin de l’année ? Et dans quel sens travailler pour réussir pleinement ta CCC 2026 ?

La frustration de la CCC 2025 est encore présente, et c’est une bonne chose ! Je m’enthousiasme à la cultiver pour en faire une petite boule de rage qui se transformera en boule d’énergie, au moment opportun. Pour clôturer la saison 2025, je vais épingler un dossard sur le trail des Templiers, une course historique, toujours relevée, avec un parcours réservé aux puncheurs (80 km / 3500 D+) qui peut me convenir ! Ensuite, j’ai pour ambition de passer un bel hiver sur les skis de randonnée et construire un joli socle en vue de 2026. Une attention toute particulière sera portée sur les points qui m’ont manqué cette année : prendre de l’expérience sur des formats de course de 80 km en préparation de la CCC ; et perfectionner ma résistance musculaire, notamment via du travail excentrique ! Bref, il faut que je bosse mes quadriceps désormais ! (Clin d’œil) 

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