Portrait d’un grimpeur forcené qui pour bleu de travail revêt le maillot de l’équipe de France.
Certains naissent champions, d’autres le deviennent. Romain Desgranges, grimpeur à la maturation tardive, appartient à la seconde catégorie. Celle qui a escaladé les échelons de la réussite à force de travail, de sueur et de magnésie. Beaucoup de magnésie. Portrait de ce Stakhanov en baudrier à l’aube de l’étape de Coupe du Monde organisée à Chamonix, du 11 au 13 juillet prochain. Une répétition générale avant que la discipline ne fasse son entrée
aux Jeux Olympiques, à Tokyo, en 2020.
J'ai vite compris que l'implication totale constituerait le prix à payer pour espérer un jour porter le maillot de l'équipe de France.
Il est étonnant de constater combien, parfois, la carrière d’un athlète peut devenir une parfaite allégorie de son sport. En escalade, certaines voies s’apparentent à des autoroutes tant il est facile d’en voir le bout. D’autres cependant sont beaucoup plus complexes et sinueuses. Il faut alors déployer une ténacité hors du commun pour espérer en atteindre le sommet. Ainsi va la vie de Romain Desgranges, véritable forçat qui a fait de la difficulté sa zone de confort. À proprement parler puisqu’il a remporté en 2017, la Coupe du Monde de la spécialité, celle qui consiste à grimper au plus haut d’une voie voulue la plus exigeante possible. Après la consécration, le voltigeur de 36 ans, installé à Chamonix depuis plus de vingt ans, se projette désormais avec ambition vers l’épreuve organisée « à la maison » par la station haut-savoyarde. Le Stakhanov de l’ascension verticale a hâte d’enfiler son bleu de travail. Le maillot de l’équipe de France. Pour porter haut, tout en haut du mur, les couleurs tricolores. En attendant peut-être de réitérer sa tentative aux Jeux Olympiques, à Tokyo, l’été prochain.
Chaque fois que j'enfile le baudrier, j'ai l'ambition de devenir meilleur que la veille.
Le hasard fait bien les choses
La trajectoire de Romain Desgranges est atypique. Elle est loin d’épouser celle, fulgurante, de ces footballeurs qui naissent avec un ballon dans les pieds ou celle de ces tennismen qui voient le jour avec une raquette dans les mains. En effet, la rencontre du grimpeur avec son futur terrain de jeu favori est tardive, presque fortuite : « Mon père souhaitait que je fasse du sport en entrant au collège. J’avais le choix entre le volley, le badminton et l’escalade. Au hasard, il a opté pour cette dernière. J’ai vite accroché. Dès la deuxième séance, j’y allais avec le sourire ! » La suite se révèle plus tortueuse pour le petit gars de Saint-Etienne qui, pour poursuivre ses rêves, décide d’intégrer au lycée le Pôle Espoirs de Chamonix : « J’ai pris une grosse claque. À Sainté, j’étais souverain, la star de l’équipe. Mais ici, j’étais de loin le plus mauvais. Je ne passais même pas du 6b (= système de cotation pour classifier la difficulté des voies). Pour rattraper mon retard, j’ai dû bosser comme un forcené et m’entrainer deux fois plus. J’ai vite compris que l’implication totale constituerait le prix à payer pour espérer un jour porter le maillot de l’équipe de France. »
Au gymnase comme au bureau
L’escalade ne déroge pas à la règle. Comme dans tous les sports, il existe des prodiges, à l’image d’Adam Ondra, le virtuose tchèque couronné dès l’âge de 16 ans ; et des modèles de persévérance. Ces athlètes réputés plus laborieux que talentueux, qui ont forgé leur réussite dans une admirable pugnacité. Romain Desgranges est de ceux- là : « Chaque fois que j’enfile le baudrier, j’ai l’ambition de devenir meilleur que la veille. J’essaye d’optimiser chaque séance ! » Une volonté féroce qui se retranscrit dans un emploi du temps confondant de rigueur et d’investissement, où l’hédonisme n’a pas de créneau-horaire : « Je m’entraine tous les jours, sauf le mercredi, que je réserve afin de donner des cours aux enfants inscrits au Club des Sports de Chamonix. Je vais au gymnase comme certains vont au bureau. Une première session matinale de 9h à 13h suivie d’une autre, l’après-midi, de 14h à 18h. Ensuite, je rentre chez moi m’occuper de ma famille et notamment de ma petite fille de 3 ans. »
L'escalade attire désormais plus de médias, plus de sponsors, plus de pratiquants... cela nous tire vers le haut !
L'appétit des jeunes loups, l'expérience des vieux singes
Un adage dit que le travail paye toujours. Parfois très tardivement. L’unique solution est alors de s’armer de patience. La carrière de Romain Desgranges est édifiante à cet égard puisqu’il décroche sa première grande victoire en 2013, à 30 ans : « C’est un souvenir magique ! J’ai remporté le titre de Champion d’Europe de difficulté, ici, à Chamonix, devant tous mes proches. Un moment magnifique qui a concrétisé tous les efforts effectués en amont. Cela m’a conforté dans l’idée que cela en valait la peine. » Un baptême et un déclic qui prouve à l’athlète qu’il sait gagner. « À partir de là, avec mon coach, on a replongé avec encore plus de motivation dans l’entrainement. J’ai continué à progresser de façon très douce et linéaire, sans effet miracle, en gravissant les échelons petit à petit. Une victoire en Coupe du Monde, puis deux... » Et enfin, la consécration : le classement général en 2017. Un triomphe certes, mais pas une finalité. L’heure de la retraite est loin d’avoir sonné. Le grimpeur, fort des 125 compétitions internationales dans 25 pays différents, parait plus déterminé que jamais. L’appétit des jeunes loups, l’expérience des vieux singes.
Du Mont-Blanc au Mont-Fuji
Dans son viseur, deux objectifs. Le premier, symbolique : « Le grand rendez-vous de la saison, c’est l’étape de Coupe du Monde à Chamonix, en juillet. D’abord parce qu’au pied du mur, il y aura ma famille et mes amis, mais aussi car l’atmosphère y est incroyable. Ici, on est dans « La Mecque » de l’escalade et ça se ressent pendant la compétition. Il y a ce côté « show ». Tu grimpes devant près de 10 000 personnes alors que sur les autres épreuves, s’il y a 500 spectateurs, c’est un record ! Tout est décuplé, millimétré. L’organisation est extrêmement professionnelle. Tu comprends que l’escalade est inscrite dans l’ADN de la ville. Rares sont les chamoniards qui n’ont pas un baudrier qui traine chez eux ! »
La deuxième ambition, inscrite dans le plus long terme, elle, n’est pas couvée par le regard bienveillant du Mont- Blanc mais plutôt par celui du Mont-Fuji : « Forcément, j’aimerais participer aux Jeux Olympiques. C’est le Graal de tous les sportifs de haut-niveau. Cependant, je n’en fais pas une obsession. » Une ambition, seulement. Raisonnable et mesurée. Il s’explique, lucide : « C’est une belle reconnaissance pour notre sport et cela enclenche un cercle vertueux, c’est indéniable. L’escalade attire désormais plus de médias, plus de sponsors, plus de pratiquants... Cela nous tire tous vers le haut ! »
Gravir le Mont-Olympe ?
Pourquoi alors cette petite réticence à s’engager pleinement dans l’aventure ? Le Mont-Olympe serait-elle la seule falaise aux parois capables de résister à la résilience de Romain Desgranges ? : « Je vais donner le maximum bien-sûr. Simplement, c’est le format « Combiné » qui a été retenu. Ce qui n’est pas forcément à mon avantage. » En effet, à Tokyo, le titre olympique consacrera le grimpeur le plus complet, jugé sur trois spécialités : le bloc, la vitesse et la difficulté. Le chamoniard a ainsi prévu de se concentrer sur son point fort « en limitant la casse sur les autres disciplines, où je suis moins à l’aise, classé entre le 60 et le 90ème rang mondial ». Pour le moment. Car en vingt ans de carrière, Stakhanov n’a jamais lâché prise. Ce n’est pas maintenant qu’il va commencer !
Forcément, j'aimerais participer aux jeux olympiques. Cependant, je n'en fait pas une obsession.
COUPE DU MONDE D’ESCALADE
CHAMONIX • DU 11 AU 13 JUILLET 2019
• C’est la 13ème fois que Chamonix accueille une étape de Coupe du Monde
• Cette étape comprend deux épreuves : la vitesse et la difficulté
• 20 000 spectateurs sont attendus pour cette grande fête de la grimpe
• Le mur, une structure artificielle de 18 mètres, sera installé sur la Place du Mont-Blanc, en plein centre de Chamonix
L'escalade est inscrite dans l'ADN de Chamonix.
Texte : Baptiste Chassagne