Richard Permin n’est pas un simple être humain. Non, le free-skieur français est mieux que cela. C’est un hybride, un mutant, un oxymore, qui se nourrit des contrastes pour mieux se démarquer. Gueule d’ange au talent diabolique. Montagnard né à la ville. Athlète esthète et compétiteur hédoniste. Des souffrances d’une blessure grave au plaisir simple de flotter à nouveau en poudreuse.
Ni vraiment freestyle, ni vraiment freeride, mais 100% backcountry. À la fois sportif de haut niveau et cinéaste émérite. Pour l’hiver 2019, Rich’ revient avec un projet qui lui ressemble et qui ne ressemble à aucun autre, pensé comme un trait d’union entre ses deux passions : l’image et le ski. Entretien avec celui qui ne ride jamais dans la tendance, mais toujours dans la bonne direction.
On nous murmure dans l’oreillette que tu nous prépares un gros (gros) projet pour l’hiver …
Celui qui te communique les informations dans l’oreillette est plutôt bien renseigné (sourires)… C’est un projet sur lequel nous travaillons depuis longtemps, le même sur lequel je me suis brisé les deux talons lors d’un premier tournage, à Avoriaz, il y a 3 ans. Cette blessure, suivie d’une très longue année de convalescence pour ne serait-ce que pouvoir à nouveau enfiler des chaussures de ski, a nécessairement retardé sa réalisation, mais au final, cela m’a permis de prendre du recul par rapport au plan initial, d’enrichir ma démarche créative et surtout de renforcer ma détermination. Ce projet me tenait vraiment à coeur et je suis très fier de la résilience dont nous avons su faire preuve avec toute mon équipe.
Peux-tu nous donner quelques détails sur ce projet sans forcément tout dévoiler ?
La date officielle de sortie est prévue pour décembre 2018, à l’heure où les premiers flocons commencent à tomber et où les gens sont impatients à l’idée d’aller skier. Donc même si on est loin du film policier, on va tacher d’être le plus habile possible dans la gestion du suspens. Sans trop en dévoiler, je peux dire que la grande majorité du tournage s’est déroulée à Avoriaz, pendant 6 semaines complètes, 3 en janvier puis la même chose au mois d’avril. La station offre un cadre assez atypique, où tu vis pour et sur tes skis, puisqu’elle est tout en bois, au bord d’une falaise... J’ai donc ridé quelques toits. Après, sans évoquer le contenu, je peux préciser la genèse de ce projet qui était de produire un film autour d’un concept unique et d’une trame narrative assez fun. En fait, notre volonté est de donner envie aux gens de skier. Basta (rires) !
La nature est un tableau et chaque skieur a la possibilité de signer une oeuvre qui lui ressemble, les spatules en guise de pinceau.
C’est cela que tu recherches à travers tes films : donner à ton public le sourire et l’envie de skier ? C’est presque une démarche « grand public » ?
Sur ce film en particulier, oui. L’idée est de faire quelque chose de commun, mais de manière peu commune. De réaliser quelque chose de simple, qui parle à tout le monde, et pas nécessairement qu’à une communauté très initiée, mais à notre manière. Avant ma blessure, nous étions plus sur l’axe de la performance, alors que finalement, après réflexion, nous avons voulu généré une émotion différente chez le spectateur : plus « Wahou, c’est gros, c’est impressionnant ce qu’il saute ! » mais plutôt « Wahou ! C’est trop cool ! ». En ce sens, on peut évoquer une volonté de démocratiser le ski, d’universaliser notre pratique et d’avoir une résonnance un peu plus large qu’à l’accoutumée.
Les réseaux sociaux ont-ils justement fait évoluer cette démarche ?
Oui, très clairement. Les réseaux sociaux ont complètement bouleversé la manière dont nous consommons l’image. Ils donnent vie à l’image et au partage. Les réseaux sociaux ouvrent d’immenses possibilités et de grandes opportunités pour peu que tu saches te démarquer. Tu peux créer ta propre vitrine sur le monde, montrer ce dont tu es capable. Cependant, pour réussir il faut savoir se différencier, en scénarisant, en se montrant original. Copier ce qui fonctionne déjà ne marche pas. C’est un milieu hyper concurrentiel ou il faut sans cesse se réinventer tout en restant fidèle à soi-même. Pour ma part, je reste sur une ligne de communication très sportive, parfois lifestyle, pour ne pas dire rarement. Je partage ce que je fais skis aux pieds, point.
Tu parles du fond, mais dans la forme, notamment dans la vidéo de ski, la nécessité de s’adapter aux réseaux sociaux est-elle aussi prégnante ?
Oui, encore plus. Le monde de l’image est extrêmement concurrentiel. Il faut que tu sois impactant en un minimum de temps pour capter l’attention et ensuite assez mordant pour ne pas essouffler ton audience. C’est la raison pour laquelle nous essayons d’être un maximum fluides, épurés et compréhensibles. Les réseaux sociaux offrent une caisse de résonnance si importante aux petites vidéos très « punchy » que les réels long-métrages de ski en souffrent un peu. Du moins si l’on se positionne dans cette démarche fun et ludique que l’on adopte sur le projet à venir.
Aujourd’hui, le ski est l’un des sports où l’on peut vraiment vivre de l’image. Comment l’expliques-tu ?
Tu ne peux pas vivre de l’image dans le ski en général, seulement dans le free-ski. Car ce qui est génial dans cet univers, c’est la créativité que tu peux y apporter. Certes le cadre dans lequel nous évoluons est magnifique, mais c’est surtout un terrain de jeu qui permet à chacun de retranscrire sa singularité et sa personnalité. Exprimer un style, une signature. Pour schématiser, la nature est un tableau et chaque skieur a la possibilité de signer une oeuvre qui lui ressemble, les spatules en guise de pinceau. Si ta signature est suffisamment reconnaissable et originale, alors les réseaux sociaux offrent désormais la visibilité suffisante pour en vivre. C’est mon explication.
Toi, aujourd’hui, au-delà de la simple image, tu es même dans une démarche cinématographie. Pourquoi le 7ème art et le ski se marient si bien ?
La beauté du cadre dans lequel nous pratiquons offre au ski une dimension esthétique presque inégalable. Le panorama a tendance à sublimer chaque image et à rendre impressionnante chaque action. De fait, le ski en devient émouvant et captivant, même pour quelqu’un assez peu familier avec ce sport. Au contraire du skate par exemple, discipline qui souffre de toute cette connaissance technique préalable nécessaire pour apprécier une prouesse à sa juste valeur. Visuellement, nous sommes gâtés par la nature. Aussi, le ski nous permet de laisser la part belle à la ligne narrative. J’entends par-là qu’il y a vraiment la possibilité de raconter une histoire, de suivre un fil conducteur, d’assumer un parti pris artistique, ce qui n’est pas forcément le cas dans tous les sports.
Quelle est la recette d’un bon film de ski ?
Premièrement, je pense que l’expérience est primordiale. En multipliant les tournages, en travaillant avec différentes personnes, tu t’enrichis et tu apprends à « faire une belle image » en fonction du lieu, de la lumière... Ensuite, il faut une équipe. Un film, même si tu en es le personnage principal, c’est une aventure collective et non une réalisation individuelle. Je l’ai particulièrement ressenti sur ce tournage, car malgré la complexité de certaines scènes, je me suis senti entouré de gens de confiance, pour qui j’avais envie de me dépasser, de me relever malgré les chutes, de donner le meilleur de moi. Troisième point, l’état d’esprit. La motivation et la détermination à aller au bout des choses sont indispensables. D’autant plus que les conditions météorologiques sont instables et font que jamais rien ne se passe réellement comme prévu. Une seule scène mérite parfois une vingtaine de prises, voire même plusieurs jours. C’est ce qui fait la beauté du ski, nous ne tournons pas en studio. Enfin, et j’y reviens encore une fois, il faut un concept, une signature. Porter un message. Ton film doit raconter une histoire et ton personnage avoir une identité.
J'ai toujours préféré et préférerai toujours une belle image à un titre de champion du monde.
Préfères-tu le ski pour l’image ou le ski pour la performance ?
Les deux ne sont pas incompatibles, je dirais même qu’ils sont complémentaires. Pour shooter une belle image, tu dois forcément réaliser une performance sportive. Après, ce qui est différent, c’est que tu sors du cadre de la compétition. J’ai écumé le circuit mondial pendant près de 10 ans et pourtant l’adrénaline du dossard ne me manque absolument pas.
Qu’est ce que tu retrouves sur un tournage que tu ne peux avoir en compétition ?
Je suis un passionné d’image. J’aime autant l’image que le ski. Pour être honnête, j’ai toujours préféré et préférerai toujours une belle image à un titre de champion du monde. Enfin, tu as une émulation collective sur un tournage qu’il est impossible de ressentir lorsque tu es seul en compétition. C’est un mélange unique de force et de pression. Sur un run, si tu échoues, tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même. Alors que sur un tournage, si tu traverses une mauvaise journée, que tu as du mal à passer une scène, c’est toute l’équipe qui se retrouve au chômage technique. C’est cela que j’aime vraiment et qui m’inspire, cette osmose, cet aspect collaboratif. Certes, je vais produire un film, mais je pars surtout plusieurs semaines complètes avec mes potes, faire ce que j’aime le plus : skier.
Interview : Baptiste Chassagne
Photos : Dom Daher