Il y a des projets qui, à première vue, paraissent fous. Celui de Fleury et Corentin Roux semble appartenir à cette famille. Traverser la Norvège du sud au nord à pied, 3 000km, 3 mois et un rêve dans les bagages. Comme si cela ne paraissait pas assez immense, Fleury et Corentin ont décidé de le faire en orientation, cartes et boussole à la main. Comme une ode à la discipline qui les a fait arpenter les sentiers pour la première fois : la course d’orientation. Une odyssée unique en son genre, encore jamais réalisée.
Une histoire qui prend tout son sens à l’écoute de leur récit et lorsque l’on creuse la relation qui les unit. Corentin, le grand frère, a fait des cartes son métier, il est cartographe. Fleury lui, s’épanouit en tant qu’accompagnateur en montagne, formant aussi bien les néo-traileurs que les néo-orienteurs à la pratique de la montagne. Récit, entre frères, d’une aventure hors norme.
Genèse : soif d'aventure et amour de la CO
Depuis leur plus jeune âge, Corentin le cadet et Fleury le benjamin, baigne dans la passion du sport et notamment celle de la course d’orientation. Pour comprendre pourquoi, il faut approfondir la vision commune et la relation qu’ils entretiennent avec elle, chaque jour.
La limite est fine entre faire bien et ne pas trop en faire
Fleury : “Le sport est ma passion. J’aime pratiquer tous les types de sports que ce soit en compétition en se confrontant aux autres, mais aussi en le pratiquant de mon côté, face à moi-même et à mes capacités.
Toujours dans le but de me dépasser et relever les défis qui me font envie. J’aime la liberté qu’il m’apporte et surtout ma liberté. Construire par moi-même, définir mes propres objectifs, j’aime être libre par rapport à ça.
J’aime me fixer des objectifs au quotidien et partir à la découverte de plein de domaines, un peu touche à tout et curieux, je ne fais jamais les choses à moitié. Je m’épanouis dans le fait de me challenger en permanence. Je suis aussi très perfectionniste pour me donner tous les moyens de réussir. La limite est donc fine entre faire bien et ne pas trop en faire.”
Corentin : “Le sport représente une très grande partie de ma vie, depuis tout petit. J’adore la liberté de pouvoir partir à la découverte de l’environnement qui m’entoure. Cela me permet de me dépenser physiquement, mais aussi de relâcher tout le stress que je peux accumuler.
Cela m’aide aussi dans mes relations perso et professionnelles. J’ose dire que ça m’est indispensable. Je suis très attentif aux autres, mais aussi à l’environnement autour de moi, c’est là que je puise mon énergie. Je suis assez méthodique quand je me fixe des objectifs pour aller toujours chercher l’optimisation.
C’est quelque chose qui nous rapproche énormément avec mon frère et qui nous permet d’entretenir une relation très singulière.”
L’idée de réaliser un projet ensemble leur trottait vaguement dans la tête, mais l’occasion ne s’était pas encore présentée. C’est alors que Corentin, guidé par son amour pour la Scandinavie, se met à rêver.
“Depuis quelques années maintenant, je voulais réaliser un projet en solitaire. Au départ j’étais plutôt parti sur une traversée de la Finlande, car c’est un pays qui est entièrement cartographié.
Or entre-temps, la même chose a été réalisée pour la Norvège. Ne connaissant pas du tout le territoire, mon choix s’est finalement tourné vers ce pays. J’en ai très rapidement parlé à Fleury, car je savais que ce serait un projet qui pourrait grandement l’intéresser. Et au fond, au vu de l’ampleur du projet, il semblait plus judicieux de le faire en binôme.”
F : “Lorsque Corentin m’a proposé le projet, on s’est assez vite rendu compte à ce moment-là qu'on n'avait pas forcément les mêmes attentes. Corentin voulait faire quelque chose de plus long où la part belle est donnée au temps alors que moi je voulais y intégrer la notion de défi et donc de performance.
Personnellement je n’avais pas envie de “juste” faire un long voyage de plusieurs mois en orientation. Nos discussions nous ont menés à s’orienter vers quelque chose de plus sportif avec comme idée de base de respecter le fait de se déplacer uniquement par le biais de cartes de course d’orientation. Nous y avons ajouté le côté performance en tentant de rallier le point le plus au sud de la Norvège au point le plus au Nord, environ 3000km, en une centaine de jours.”
Projet affiné, il était désormais temps de se plonger dans la préparation. Une clé de voûte pour transformer ce rêve en réalité. Cette folie en projet.
Préparer une ultra randonnée en Norvège : combiner physique, mental et logistique
F : “En tout et pour tout, cela a pris 1 an et demi du moment où Corentin m’a parlé du projet et le moment où on s’est lancé. Côté préparation, sur la partie physique, nous n’avons pas fait de prépa spécifique, car nous nous entraînons déjà toute l’année. L’important était surtout de ne pas se blesser et de garder un rythme d’entraînement régulier. Malgré tout, nous avons réalisé deux tests sur le terrain. Un premier test, sept mois avant, avec une traversée du Jura uniquement avec des cartes d’orientation.
Cela nous a permis de mettre en place de premières routines au niveau de l’orientation et surtout de nous rendre compte de ce qu’on aurait besoin en termes de matériel. Puis, deux mois avant, nous avons réalisé une traversée des volcans d’Auvergne. Cette fois-ci, sans la partie orientation, car l’objectif était de tester notre matériel ainsi que nos protocoles alimentaires. Ces deux tests grandeur nature ont duré 4 jours chacun.”
C : “L’analyse du terrain en amont a aussi été quelque chose de très important. Pour avoir une idée de la distance que l’on aurait à parcourir, j’ai effectué un tracé au plus direct en essayant de repérer quelques refuges et quels types de terrain nous retrouverions à tel endroit.
Cela est indispensable pour éviter que l’on se retrouve dans des situations impossibles comme se retrouver face à une falaise, où à devoir faire de grands détours. Au final, près de 3000 km et un sacré paquet de mètres de dénivelé à parcourir.
Ce qui nous a pris véritablement du temps et de l’énergie c’est toute la préparation logistique, notamment la recherche de partenaires pour nous aider à financer le projet et la préparation des portions d’alimentation.”
F : “L’idée du projet à la base était de construire l’itinéraire le plus direct et le plus fiable possible pour avoir un estimatif de distance. Par rapport à cet itinéraire-là, il fallait tracer différents postes qui nous servaient de points de repère pour la direction à suivre. Ensuite nous avons effacé cet itinéraire en conservant les points de repère pour qu’une fois sur le terrain nous puissions nous orienter librement, de point de repère en point de repère et surtout nous adapter en fonction des conditions météos, du dénivelé, du type de terrain rencontré, etc.”
C : “Toute cette organisation s’est faite de manière très progressive où chacun avait sa mission à un moment donné. Dès qu’on estimait qu’on avait un besoin sur tel aspect, nous étudiions plusieurs possibilités, puis mettions en place ce qu’il fallait pour subvenir à ce besoin.
À titre d’exemple, sur la nourriture, on s’est rendu compte qu’on pourrait en préparer une grosse partie depuis chez nous en déshydratant des fruits et des légumes. Alors on a acheté un déshydrateur et pendant deux ou trois week-ends entiers, on a fait notre petit atelier déshydratation.”
Nous avions aussi anticipé une chose qui s’est révélée fondamentale : le mental
F : “Nous avions aussi anticipé une chose qui s’est révélée fondamentale : le mental. Nous avons effectué quelques séances avec un préparateur mental notamment pour qu’il nous aide sur le plan humain et relationnel, pour mettre en place des petites routines dans le but de vivre au mieux l’aventure ensemble, mais aussi que chacun puisse la vivre comme il en a envie.”
C : “Et puis le gros plus dont nous avons eu la chance de profiter c’est l’assistance de notre sœur Léontine et de son copain Pacot. Ils nous ont rejoints dans l’aventure, car ils voulaient effectuer un road trip en Norvège. L’occasion était toute trouvée de s’organiser entre nous pour qu’ils puissent nous aider sur la partie logistique tout en profitant de leur voyage. L’idée était simple : on se rejoignait tous les 4-5 jours en fonction de notre avancée dans des lieux que nous avions définis à l’avance pour qu’ils puissent nous ravitailler en nourriture et nous donner les cartes. C’était un bon mix entre autonomies complètes et des petits moments très agréables d’assistance.”
La traversée : conditions dantesques, gestion des émotions et joyaux norvégiens
Le 1er juin 2022 a sonné le grand départ : 3 000km à travers les landes, les fjords et les forêts norvégiennes. 100 jours maximum. Et une montagne de rebondissements. Départ donné à Lindesnes Fyr, l’extrémité sud du pays.
F : “Les premiers jours sont assez difficiles. Le temps de se mettre dedans, de trouver son rythme et d’assimiler mentalement et physiquement ce qui nous attendait. Pas faute de se l’être imaginé de nombreux mois à l’avance, mais se retrouver sur place c’est autre chose. Surtout qu’il y avait un truc que l’on n’avait pas anticipé ou plutôt que l’on n’espérait pas : les conditions météo désastreuses. Du 5ème au 30ème jour, on a dû faire face à beaucoup de neige, des torrents à traverser et des litres de pluie.
Malgré des conditions pas faciles, nous étions encore au début de l’aventure alors il n’était pas question de baisser la garde mentalement. Lors de notre 30ème jour de traversée, nous sommes arrivés à Trondheim. Cela marquait une grosse étape, car c’était la première grande ville que nous traversions. Le moment de faire un premier petit bilan. Nous étions en avance sur nos prévisions.”
C : “Trondheim fut un grand moment pour moi puisque c’est là que j’ai réalisé que nous n’avions fait qu’un tiers du périple alors que nous avions déjà vécu et surmonté tellement de choses.
C’est là qu’il a fallu débrancher le cerveau d’une certaine manière pour se persuader de continuer d’avancer et de rester dans sa routine. Mentalement, les conditions météo ont vraiment été la chose la plus difficile à gérer, car en plus de complexifier notre avancée, cela jouait beaucoup sur notre moral et notre entente à tous les deux.
On a beaucoup échangé pour que ça se passe au mieux. C’est là où la préparation mentale effectuée en amont nous a beaucoup aidés pour mettre en place les bonnes stratégies au bon moment.”
L’unique objectif était alors d’arriver le plus vite possible
F : “Du 30ème au 40ème jour, c’est la partie où notre corps a fini son adaptation et à intégré véritablement le fait de se lever tous les jours pour partir marcher entre 30 et 40km. Le souci c’est que nous avons continué à recevoir énormément de pluie, ce qui a mis nos organismes à rude épreuve. Après le 40ème jour, ce qui a été dur, c’est qu’on avait déjà tout vu et tout vécu de ce qu’on attendait du projet sauf que nous n’avions même pas encore effectué la moitié. Mais c’est aussi à partir de ce moment-là que je n’avais plus aucun doute sur le fait que nous irions au bout. L’unique objectif était alors d’arriver le plus vite possible.”
C : “Comme Fleury, même si j’avais aussi envie que ça se finisse, j’ai réussi à vraiment profiter des 20 derniers jours. C’est aussi pendant cette période que j’ai vécu l’un des moments les plus durs. Entre le 70ème et le 80ème jour, il y avait énormément de vent et de pluie, on plantait la tente tous les soirs dans un champ de cailloux en ayant la crainte que la tente s’envole. Et en plus il faisait froid. Paradoxalement, avec le recul, je me rends compte que c’est l’une des parties de l’aventure que j’ai le plus appréciée.”
F : “C’est sûr qu’a posteriori, il est souvent plus facile d’apprécier certains moments qui sur le coup étaient difficiles à vivre. Comme cette traversée de torrent, le 15ème jour que j’ai essayé de franchir à pied.
Je me suis retrouvé à devoir nager avec un courant monstrueux. J’avais de l’eau jusqu’au cou. J’étais gelé, j’avais toutes mes affaires trempées avec lesquelles j’ai dû faire toute la journée. Mais je me souviens aussi de notre arrivée au Trolltunga. Un sommet que nous avions en tête depuis le début de l’aventure.
On avait passé toute la journée sous le brouillard, mais plus on s’en approchait, plus l’horizon s’éclaircissait. Arrivé en haut, un spectacle grandiose sur l’un des plus beaux fjords de Norvège. Mémorable.”
83 jours, 2770 kilomètres, 71 700 mètres de dénivelé positif pour rallier le Grand Nord, à la force de jambes et de la tête. Surtout la tête. Le 22 août 2022, Fleury et Corentin sont arrivés au Cap Nord, au bout de leur aventure. Un exploit monumental.
L’après : retour sur terre, introspection et enseignements
F : “Je dois avouer que j’étais content quand ça s’est terminé, car c’était très éprouvant. J’avais envie de me poser et de me reposer pour arrêter de sentir cette fatigue quotidienne et cette charge mentale de me dire qu’il fallait repartir pour marcher toute la journée. Pour éviter d’avoir une nostalgie trop présente, j’ai eu besoin de me fixer de nouveaux objectifs sportifs et professionnels assez vite or mon corps m’a très vite fait comprendre qu’il fallait lui laisser le temps. Je retrouve de bonnes sensations à l’entraînement depuis décembre”.
C : “De mon côté, dès la fin du projet, j’ai eu envie de me remettre à courir, car j’avais déjà prévu des choses notamment au niveau professionnel et personnel. Même si la fatigue générale était présente, j’étais encore dans une routine où j’avais envie de repartir dehors faire du sport. Par “chance”, j’avais une blessure qui m’a contraint à m’arrêter sportivement quelques semaines, mais c’est aussi à ce moment-là que le coup de blues mental est survenu. J’ai seulement retrouvé une pleine fraîcheur mentale et physique en début d’année.”
Quelques mois plus tard est venu le temps d’assimiler, leçons et apprentissages.
F : “J’ai trouvé ce que j’étais venu chercher. Avant de partir, j’avais le doute de savoir si mon corps pourrait tenir à cette charge encore inconnue. Au fil des jours, je me suis surpris à avoir de super sensations. Même après 70 jours, je me sentais encore très bien et je pense que j’aurai pu tenir encore des centaines de kilomètres. Voir son corps s’adapter de cette manière-là est quelque chose d’incroyable et qui pourrait me donner quelques idées pour de futur projets. J’ai enfin confirmé que j’aimais les efforts longs qui demandent de faire appel à des ressources mentales importantes. Des efforts dans lesquels je prends énormément de plaisir.”
J’ai seulement retrouvé une pleine fraîcheur mentale et physique en début d’année.
F : “Avant le projet, je me questionnais pas mal sur moi-même, sur ma vie perso et professionnelle. Aujourd’hui, avec le recul, je peux dire que je suis rentré avec des réponses et des solutions à tout ça. Avec une confiance physique et mentale décuplée. Je sais désormais que je peux pousser mon corps et mon mental très loin. Une faculté que j’essaye d’appliquer dans ma vie de tous les jours.”
Et si l’aventure était le meilleur remède à tous nos maux et un formidable moyen d’apprendre sur soi et sur les autres. Fleury et Corentin ont désormais une partie de la réponse.
Un film documentaire retraçant l’aventure de Fleury et Corentin devrait voir le jour prochainement. Restez informés sur www.across-norway.fr