Publié le 6 janvier 2022
Pierre Rollet
Crédit photo : ©Greg Rabejac

Pierre Rollet

Surfer en harmonie, vivre en équilibre
SPORTS NAUTIQUES
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Interview, Surf

Texte Nathan Vitu

Pierre Rollet, du haut de ses 27 ans, a gagné le respect de toute une génération de surfeurs basques et mondiaux. S’il surfe pour la première fois la mythique Belharra en 2013, c’est en 2020 que Pierre s’octroie les clés de l’antre basque en y ridant la plus belle vague jamais surfée dans l’histoire du spot. Pourtant, derrière ces chiffres et les mythes de guerrier que l’on porte à ceux qui « rentrent dans l’arène », Pierre dévoile une personnalité complexe, passionnée et humble qui ne s’articule pas qu’autour de cet océan si attirant. Comme les meilleurs marins, cet athlète d’exception revient toujours à son port d’attache, dans les Landes, où il a choisi de poser son surf, ses leashs et ses dérives et ainsi faire de sa passion son métier grâce à une école dédiée à ce sport. Rencontre avec un virtuose à taille humaine, qui dompte des géants démesurés.

Du coup, entre la Toussaint et Pâques, je surf les plus grosses vagues partout dans le monde.

SURF, FAMILLE, TRAVAIL

Salut Pierre, merci de nous accorder un peu de temps durant la sortie de ton film « Le Cercle ». On va passer par les présentations officielles, mais à ta manière :
Qu’est ce qui te définit selon toi ? Comment décrirais-tu ta personnalité et que disent les gens de toi ?    
Je m’appelle Pierre Rollet, 27 ans, je suis originaire de Bayonne dans le Pays Basque. Aujourd’hui, je travaille et j’habite dans les Landes, ce qui veut dire que je suis ouvert à d’autres choses (rires) et pas restreint au Pays Basque. Les gens disent que je suis quelqu’un de discret et humble. Un peu comme Monsieur Tout-le-monde en soi. J’ai la chance d’avoir une chérie et un petit garçon de 2 ans. Aujourd’hui, ma vie s’articule autour de ma famille et une école de surf dans le camping Naturéo à Seignosse. C’est mon job principal et j’y passe la moitié de l’année, durant toute la saison touristique ! L’École de surf, c’est mon quotidien, et j’ai l’immense chance que ça se marie super bien avec ma passion du surf, du surf de gros. Puisque ces vagues immenses arrivent entre la Toussaint et Pâques, période durant laquelle mon école est fermée. Du coup, entre 2 saisons d’été, je surfe les plus grosses vagues partout dans le monde...

 

J’ai besoin de cet équilibre-là. Surf, famille, travail.

Ta saison pour t’exprimer sur ta planche, c’est donc l’hiver. Comment vous trouvez un équilibre avec ta petite famille ?
Ah, le fameux « équilibre » … Il est très compliqué à trouver puis à maintenir. Le deal avec ma femme, quand je rentre à la maison, c’est d’être là à 100%, et c’est tout ! Quand je pars surfer les grosses vagues, je tâche d’être clair, le but c’est d’être précis dans le timing, les jours d’absences etc… Le surf de grosses vagues, ça s’amorce toujours à la dernière minute, en fonction des conditions, donc il faut aussi être souple. Pour découvrir, on peut amener le petit à Nazaré une fois, mais au quotidien, en famille, ce n’est pas le plus simple ni le plus stimulant car en soi la ville de Nazaré n’a rien de très esthétique. Ce n’est pas un sport conçu pour être partagé au quotidien avec ses proches. Récemment, par le contexte, mon idée était de laisser de côté les projets les plus lointains pour se focaliser sur ceux localisés en Europe. C’est parfait pour la planète et ça nous permet de vivre l’instant T au maximum.

Je rebondis sur cela : l’instant T. Pour toi, qu’est-ce que ça représente ?
C’est très clair pour moi : l’instant T, c’est croquer la vie à pleine dent ! Quand il y a des vagues on en profite, et quand il n’y en a pas j’ai la chance d’avoir ma famille près de moi, et puis le travail. Je suis à 200% sur le moment qui se présente à moi. J’ai besoin de cet équilibre-là. Surf, famille, travail. Sinon, je ne prendrais pas autant de plaisir à faire ce que je fais. Je suis donc à 200% surf quand je surfe, à 200% avec ma famille quand il le faut, et pareil au travail.

Crédit photo : ©Greg Rabejac

LE CERCLE, PAYS BASQUE & RESPECT DES ANCIENS

Si on regarde ton « actualité chaude », tu viens de sortir un film avec Oxbow, « Le Cercle ». Il est à ton image, simple et engagé. Comment s’est faite ton entrée dans ce fameux « cercle » ?  
Pour Le Cercle, l’idée était de montrer toutes les facettes de la vie, toutes mes facettes. Ça collait bien avec le cercle familial, qu’on étend à celui des amis, puis celui des surfeurs de grosses vagues au Pays Basque, à Belharra, et qui s’agrandit à celui des « big waves riders » à l’échelle internationale. Enfin, on atteint le cercle entier, celui qui nous englobe, la terre, avec cette dimension écoresponsable et ce message positif que l’on a voulu transmettre à travers le film.
Pour le cercle de Belharra, ça s’est fait en douceur, on s’est lié d’amitié petit à petit. Ça s’est fait naturellement et c’est ce qui m’a plu. Avant, pendant et après la session, on partage. J’aime ce monde-là, pas uniquement celui qu’on peut voir sur la planche. Ensuite, Nazaré a fini de me convaincre que ma passion était là : dans ces grandes vagues.

 

Une fois que je monte sur le jet, c’est comme dans les vestiaires avant le match de rugby : avec cette envie d’aller en découdre.

Crédit photo : ©Oxbow / Thomas Lodin

Un peu comme dans le monde du rap, de l’art ou de la politique il faut parfois être adoubé par les anciens si je comprends bien… Comment ça se passe concrètement au Pays Basque pour intégrer ce cercle de surfeurs de gros ?  
Certains le font en solo et tentent d’avancer comme cela, mais j’ai préféré être entouré, prendre de l’expérience et m’inspirer de mes pères, de mes paires, qui ont pu se frotter à ces grosses vagues, notamment à Belharra. On avance ainsi beaucoup plus vite.

En parlant du Pays Basque justement, qu’est ce qui te vient directement en tête lorsqu’on en parle,  et comment ressens-tu cet attachement au quotidien ?
Je suis très attaché au pays, sans pourtant en parler la langue. Je suis toujours impressionné par cette culture, cet ancrage très fort qu’il faut absolument conserver malgré les tensions actuelles. Je pense que cet esprit de groupe est primordial puisque « tout seul on n’est rien ». Ici au pays, c’est une façon de vivre. Le rugby m’a apporté cet esprit d’équipe.

C’est clair que le sport collectif apporte beaucoup de valeurs, Penses-tu que le rugby t’a apporté également cet aspect de « combat et préparation » nécessaire au surf de gros ?
Oui, c’est certain. J’ai 2 approches avant les sessions de grosses vagues. Une première, comme un combat, où je me prépare mentalement, mais aussi et surtout l’autre côté, celle du respect pour l’océan.

Le surf, c’est un cheminement personnel mais tu as besoin du groupe pour y arriver. Sans ce « nous », je ne suis rien du tout

Crédit photo : ©Oxbow / Thomas Lodin

J’apprécie ce côté respectueux, fait de douceur et d’acceptation, loin de la dialectique guerrière. Je cherche quelque chose avec l’Océan. J’aime étudier les cartes, prendre le temps. Faire les choses bien, et lentement. Puis une fois que je monte sur le jet, c’est comme dans les vestiaires avant le match de rugby : avec cette envie d’aller en découdre. 

Justement, concernant cette partie « vestiaire » :  dans ton film tu parles de préparation, tu avais à cœur de montrer l’envers du décor c’est ça ?
Le problème, avec les films de surf, c’est qu’on ne voit que ça : l’entrainement et le risque. Quand on regarde les images, c’est très clair, il n’y a pas forcément besoin de le dire : le danger transpire. Donc oui, je fais de la préparation à sec, j’ai une salle de sport à la maison, je m’entraine comme un fou. Mais, le côté qu'on a voulu transposer, c’est plutôt cette dimension nature : profiter du « dehors » tout en se préparant. Je suis très attaché à cet outdoor, synonyme de liberté. Je découvre et m’entraîne en trail, je partage à vélo. C’est ce qu’on voulait mettre en avant dans le film. D’ailleurs, cet été avec les copains de Belharra on est parti dans un délire assez fou : la traversée des Pyrénées à vélo. C’était quelque chose d’assez magique de le faire à plusieurs, et ça représente bien les valeurs qu’on porte dans le film.

 

BELHARRA, RECORD & PHILOSOPHIE

Nazaré, c’est tous les hivers. Belharra, il faut y être au bon moment, lorsque les conditions sont réunies !

Crédit photo : ©Greg Rabejac

On est d’accord, le vélo apporte des choses magnifiques ! Pourtant, si on se penche sur ta planche, quelle est ta vision ? L’aspect collectif prend-il le dessus sur la solitude ressentie une fois dans l’eau ?   
Le surf, c’est un cheminement personnel mais tu as besoin du groupe pour y arriver. C’est NOUS qui arrivons à surfer ces vagues. Sans ce « nous », je ne suis rien du tout. Les partenaires, ceux qui aident, celui qui surfe avec moi, ceux qui font les images… Sans cet écosystème, tu n’es rien. Par exemple, pour le projet Cercle, sans Oxbow on ne serait pas allé bien loin donc merci à eux.

Ceux qui t’aident te permettent de te surpasser j’imagine, alors je ne peux pas continuer cet entretien sans évoquer cette peur, ce danger omniprésent de la vague terrifiante, comment appréhendes-tu cela ?
C’est une question qui revient souvent. Je calcule beaucoup les choses. Avant d’aller dans l’eau, je consacre beaucoup de temps à la préparation, énormément de temps. J’ai tellement d’heures de training derrière moi que, lorsque je rentre dans l’eau, je me sens prêt. Sur le moment je n’ai pas peur. En amont néanmoins, c’est évident qu’elle est présente. En fait la peur est une bonne chose, car elle permet d’être lucide. C’est une énergie qui se transforme ensuite en adrénaline pure. Si je trouve que c’est trop dangereux en rentrant dans l’eau, j’ai une limite et j’arrête avant qu’il ne soit trop tard. En montagne, je pense que les riders rencontrent sensiblement la même chose, en haut d’une face, quand ils reculent car ils ne le sentent pas. Il faut avoir du respect face à la nature et rester humble. Il faut savoir rentrer à la maison parfois.

 

Pour moi, le surf, en particulier le surf de gros, ressemble énormément au freeride en haute montagne.

Crédit photo : ©Rafa Riancho

En effet, c’est souvent une bonne chose ! On rencontre la même chose en montagne. Savoir identifier ce moment où il faut dire stop est important. Penses-tu que ta paternité joue un rôle là-dedans ?
Alors pour le coup, absolument pas. Comme je te l’ai dit plus haut, je suis présent à l’instant T, à 100%, quand je surfe ou dans la vie. D’ailleurs, depuis que j’ai eu mon enfant, ma carrière s’ouvre, et j’ai des projets de folie, des films, une web série... Je ne pense pas qu’être père est négatif pour la suite, c’est même un sacré pouvoir d’avoir ma famille derrière moi. Je ressens plus de soutien que de pression venant d’elle.

Les chiffres te donnent raison : tu as réalisé ton plus grand record et ta plus belle vague, à Belharra, en étant père ! On ne peut d’ailleurs continuer sans évoquer ce mythe : Belharra. Comment décrirais -tu ton rapport à cette vague ?
Belharra, c’est la vie ! Elle est très mystérieuse : parfois là et pas là juste après. C’est comme une grande danseuse que l’on attend toujours. C’est ce qui fait son charme et provoque un attachement aussi fort. Nazaré, c’est tous les hivers. Belharra, il faut y être au bon moment, lorsque les conditions sont réunies. Évidemment, en plus de tout ça, c’est chez nous. À la maison. Il faut savoir la respecter. Belharra n’a pas forcément de limite, en puissance ou en taille et c’est ce qui la rend si mystique. En pleine mer, aux vues de comment elle se place, on peut tout avoir, alors qui sait ce qu’elle nous réserve pour la suite.

Crédit photo : ©Greg Rabejac

L’an dernier, tu apprivoises cette vague, la plus grosse jamais surfée depuis 2002, dès ta première tentative. Ce record t’a t-il changé ?
Non, honnêtement, je ne pense pas ! Je ferai toujours les choses de la même façon, avec les mêmes gars. Des petits repas après la vague, des aventures communes, des belles images. Le record n’a rien changé, il m’a juste donné envie d’aller encore plus loin et de découvrir encore plus de choses. Par exemple je sors une web série pour parler de tout ça. Un vrai « inside life » au jour le jour. Ce qu’on souhaite, c’est vivre le moment de A à Z et montrer les coulisses, la façon dont on aborde la vie au quotidien. Le message derrière pour nous est fort : montrer la vie, les bons moments comme les mauvais, lorsqu’il n’y a pas de vague. Être transparents.

Que dirais tu pour terminer aux lecteurs de MK qui peuvent méconnaitre ce milieu, quand ils sont plutôt skieurs que surfeurs (quoique) ?
Pour moi, le surf, en particulier le surf de gros, ressemble énormément au freeride en haute montagne. Tu cherches le graal en montant en haut d’une face, tu as de l’engagement, une notion de danger, un grand respect pour ton environnement. C’est en cela que nos disciplines se ressemblent tant.

 

Pierre Rollet fait bien partie d’une famille spéciale, celle de ces surfeurs de vagues immenses qui défient les limites et les repoussent sans cesse. Pourtant, aussi engagé dans son sport qu’avec sa famille, le surfeur d’exception, avec son mental d’argent, sait dissocier le mieux du bien, ce petit trop qui peut parfois faire perdre pied, là où mêmes les géants seraient engloutis par ces monstres que seul l’océan sait produire. On ne peut donc que conseiller d’aller voir son film « Le Cercle », disponible sur Youtube. Le documentaire de 40 min a été écrit et réalisé par Julie et Vincent Kardasik. Il dresse un véritable portrait d’un homme aussi simple et généreux dans la vie que doué pour les grandes vagues.

Crédit photo : ©Eric Chauché

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