S’en aller rider dans un paradis blanc, là où les lignes glacées abruptes s’élèvent de l’océan, c’est la promesse de cette expédition en Antarctique. Aux confins du monde, Xavier, Mila et Victor De Le Rue explorent une terre reculée et bien au-delà. Plus qu’une expédition de ride, c’est une histoire touchante d’une famille (presque) comme les autres, dont le cœur bat au rythme de l'adrénaline de la glisse.
UNE FAMILLE EN OR
Incarnant l'essence et l'excellence de la glisse, le nom De Le Rue a marqué l'histoire du snowboard. Tout commence sur les pentes de Saint-Lary-Soulan, dans le massif des Pyrénées. Quatre frères et une sœur qui évolueront jusqu’à atteindre les sommets de leur sport, raflant titres de champions de France, champions du monde, et même l’or olympique. Face à ce palmarès impressionnant, on s'est demandé quel était leur secret. Tombés dans la potion pendant leur enfance ? Non, Xavier nous a simplement répondu : “C’est le saucisson !” (rires). En fin de compte, ce dont on est certains, c’est que le succès des uns a toujours inspiré le parcours des autres, de génération en génération, encore aujourd’hui.
LES PROTAGONISTES
“Je m’appelle Mila, j’ai 18 ans, je fais du ski freeride et je commence, on va dire, ma carrière” (sourire). Mila sort des sentiers battus et choisit de tracer ses lignes en ski cette fois-ci : “J’ai décidé de faire du ski, désolée…” (rires). Encore rookie dans le milieu du freeride et évoluant sur les Challengers et les FWQ, elle démontre qu’elle est une skieuse qui en a sous les spatules et qui envoie du lourd.
“Moi, c’est le papa et le frère : Xavier. J’ai 45 ans… ouais, je sais, ça fait rêver” (rires). Quatre fois champion du monde de snowboard cross, trois fois champion du monde de snowboard freeride, et trois fois vainqueur des X Games en snowboard cross, Xavier est une figure emblématique dans le milieu.
“Je suis Victor, 35 ans, je suis son oncle et le frère de Xavier. Snowboardeur professionnel.” Avec une dose de freestyle et une désinvolture déconcertante dans sa ride, le plus jeune de la fratrie n'est pas en reste. Champion du monde de freeride en 2019, 2021 et 2024, et fort d'une impressionnante collection de podiums, Victor s'est affirmé comme l'un des snowboardeurs les plus créatifs et uniques de sa génération.
le succès des uns a toujours inspiré le parcours des autres, de génération en génération, encore aujourd’hui
ALLER RIDER EN ANTARCTIQUE
C’est en 2010 que Xavier pose sa board pour la première fois sur les pentes de ce continent méridional. Un endroit si marquant qu'il sait qu'il y retournera un jour : “J’ai toujours rêvé d’y retourner avec mon frère Victor et de partager cette aventure avec lui.” Au fur et à mesure de la préparation du trip, sa fille Mila a commencé à devenir de plus en plus aguerrie, à faire des compétitions et est devenue vice-championne du monde de freeride. La décision était devenue claire : “Cette histoire de famille pouvait être encore plus folle si on l’emmenait, ça serait un privilège de dingue d’aller tous les trois là-bas !” Après une préparation minutieuse de cinq ans, la famille prend la direction de l'Amérique du Sud, avec Ushuaïa comme point de départ. De là, ils embarquent à bord d'un voilier de quinze mètres pour traverser le redoutable passage de Drake. Cette traversée, réputée pour être l'une des plus difficiles, a duré cinq jours, durant lesquels ils ont affronté les eaux tumultueuses de l'une des mers les plus dangereuses du globe. À l'issue de ce périple, ils arrivent en péninsule, au milieu des fjords, pour rider pendant plusieurs semaines dans les étendues glacées du continent blanc.
Rares sont les lieux qui stimulent autant l'imaginaire des aventuriers que l'Antarctique, mais le freeride dans l’endroit le moins exploré de la planète transforme les rêveries en horizons atteignables : “Ce qui était super, c’était qu’on était en bateau, du coup, on pouvait amarrer un peu où on le voulait. On partait de zéro d’altitude et ce qui était cool aussi, c’est qu’on pouvait faire des ascensions plus grandes en étant moins fatigués que si c’était à 4000 m. La spécificité est que la plupart des pentes se finissaient dans l’eau, sans transition, sans plat,” explique Victor.
Rider sur la partie émergée d’un iceberg aux pentes raides, entouré par des kilomètres de faune locale, dont quelques pingouins curieux se dandinent pour observer ces humains qui entrent dans leur terrain de jeu. Splitboards et peaux de phoques en place, plongés dans le silence du bout du monde, la descente entre crevasses, séracs et sur une poudreuse immaculée devient presque irréelle. Xavier explique que “le fait d’être aussi loin est quelque chose de très spécial. Faire cinq jours de bateau, à se faire démonter complètement au fil de l’océan, à vomir, à ‘être au plus bas’ : le sentiment d’éloignement est encore plus palpable. Quand on se retrouve à rider ces pentes, on a l’impression d’être à des années-lumière, comme sur une autre planète.” Évoluer dans ces paysages inhabités est aussi synonyme d’une aventure pleine de risques, où se blesser n'est pas une option : “On garde une certaine marge d’erreur même si on ne l’a pas toujours (rires), mais c’est le principe normalement.”
“The Captain Face” ou la face suspendue au-dessus de la mer. Cette descente vertigineuse, entourée de glaciers et parsemée de séracs, présente des pentes pouvant atteindre entre 65° et 70°. Moment sensationnel du long métrage, sur 600 m, les frères De Le Rue semblent flotter dans un paysage presque irréel, tout droit sorti de nos rêves les plus fous de ride.
La spécificité est que la plupart des pentes se finissaient dans l’eau, sans transition, sans plat
EXPÉDITION INTERGÉNÉRATIONNELLE
Réunis par une passion commune, apprendre les uns des autres chaque jour, malgré les appréhensions, les a marqués pour le reste de leur vie : “Ce rapport père-fille tout d’un coup devenait différent. Maintenant, elle a même une photo de moi sur son mur… alors qu’avant, bof hein !” (rires). Entre sessions de snowkite et moments en famille, l’expédition est une parenthèse au rythme effréné de la vie quotidienne : “On ne ridait pas vraiment ensemble avant et le fait de partir en expédition pendant un mois et demi, ça nous a rapprochés ! Et avec Victor, aussi oui…” (silence, regards, clin d'œil), révélait Mila. Bien que la compétition les anime, les voyages leur permettent d’explorer toutes les possibilités que leur sport a à offrir : “C’est les différents côtés du snowboard. On est tous les trois assez compétitifs donc si on fait des compétitions, on a vraiment envie de le faire à fond. Après, je crois que ce que l’on aime vraiment au fond, c’est être en montagne et se dépasser aussi, arriver en haut des montagnes, rider des nouvelles lignes… Donc, pour moi, les compétitions, c’est un objectif, mais la vraie passion est plus dans un film comme celui-ci,” reconnaît Victor.
MILA, LA RELÈVE
Au-delà du voyage lointain, c'est une plongée dans les émotions et les réflexions des carnets d'expédition de Mila, tout juste 18 ans. Aller en Antarctique est le voyage d’une vie, l’école de la vie : “C’était incroyable et très dur aussi. J’ai eu la chance de faire ma première expédition là-bas, aussi jeune, sans avoir nécessairement le besoin de prouver ma place vis-à-vis de mon père et mon oncle. J’ai dû tout apprendre sur le terrain, et j’avais parfois peur, mais j’ai énormément appris. J’en suis reconnaissante.” Aux antipodes des films esthétiques de ski, “Of A Lifetime” montre ce que l’on ne voit pas dans les films : “Souvent, ce sont des gens qui sont habitués et vu que c’était ma première expédition, j’avais toute la peur et on peut clairement le ressentir.”
Le réalisateur, Jérôme Tanon, place la jeune femme au premier plan et lui donne la parole pour raconter son histoire, une histoire qui a du sens, profonde, et qui touche des valeurs qui vont bien au-delà de la ride, celles de la famille et du passage à l’âge adulte. La scène finale, que Xavier n’a découverte qu’à l’avant-première du High Five Festival, apparaît comme un épilogue illustrant l’évolution d’une jeune fille devenue une femme pleine de rêves, unie par un lien indéfectible avec son père (sacrée poussière dans l'œil). Ce voyage en Antarctique, à l'orée des paysages polaires, rappelle que chaque pas sur la neige peut ouvrir la voie à l’affirmation de soi.
Texte de Eloïse Picard