Publié le 18 mars 2024
Interview du touche-à-tout Noa Barrau, entre création d’images et haute-montagne
Interview

Interview du touche-à-tout Noa Barrau, entre création d’images et haute-montagne

La relève est assurée
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Pour commencer, une petite devinette : selon vous, que fait Noa Barrau, 20 ans, le soir du Nouvel An ? La fête, comme tous les jeunes de son âge ? Non, il embrigade ses potes en montagne, crapahute et shoote, encore et encore. Il y a certes un peu d’ivresse, mais pas celle des bulles de champagne : plutôt celle des sommets. 

En effet, celui qui a arrêté le biathlon à haut-niveau consacre désormais chaque seconde de sa vie, avec une intensité admirable, à ses deux passions : la création d’images et la haute-montagne. Ultra-polyvalent, il dessine sa singularité en conciliant deux pratiques à haut-niveau dans un seul et même projet : le sport – vous le croiserez tantôt accroché à ses piolets sur une cascade de glace ou à faire des loopings avec son parapente – et la photographie-vidéo, dont il a fait son métier. Sa maturité est déconcertante, son recul inspirant et son objectif précis : devenir guide de haute-montagne, puis documenter ses propres expéditions. 

Rencontre à travers 5 questions et 8 photos avec celui dont le parcours mettrait plus d’une conseillère d’orientation en position latérale de sécurité. 

J’ai découvert le sport via la gymnastique, puis le biathlon, que j’ai pratiqué à haut-niveau, mais sans être suffisamment bon pour envisager une carrière professionnelle.

RENCONTRE

à seulement 20 ans, tu as un parcours déjà riche. Peux-tu nous le présenter ?

« Je suis né il y a 20 ans, à Passy – où j’habite toujours – dans la vallée de Chamonix, au pied du Mont-Blanc. Je me définis aujourd’hui comme photographe et vidéaste de haute-montagne. Un chemin emprunté à l’issue d’un concours de circonstance heureux et d’un parcours autodidacte jalonné de rencontres-clés. J’ai découvert le sport via la gymnastique, puis le biathlon, que j’ai pratiqué à haut-niveau jusqu’à mes 18 ans, mais sans être suffisamment bon pour envisager une carrière professionnelle. Ce printemps-là, j’ai rencontré Seb Montaz, l’un des pontes de l’image outdoor, notamment rendu célèbre pour ses projets avec Kilian Jornet, qui a proposé de m’amener en montagne en échange d’une initiation au ski-roues. Je n’avais jamais utilisé de Go Pro et mon compte Instagram végétait à 50 abonnés, dont quelques-uns de ma famille, bienveillante (sourire). Nous sommes allés nous balader dans les échelles qui surplombent la Mer de Glace. J’en suis revenu avec deux convictions : d’abord, faire de la photo et de la vidéo mon métier ; puis, me laisser 5 ans pour passer le concours probatoire de guide de haute-montagne. »

Mon objectif, c’est d’offrir l’opportunité à ceux qui restent en bas de prendre conscience de ce qu’il se passe là-haut.

Ce que j’aime, c’est aller au cœur de l’action

Qu’est-ce qui t’anime et te fascine dans la photographie et la vidéo de montagne ? comment tu conçois ton métier ? 

« Ce que j’aime, c’est aller au cœur de l’action. Grâce aux nouvelles technologies, notamment les drones, je pourrais me contenter de piloter d’en bas. Pourtant, rien ne me procure cette sensation de vivre l’expédition et sa difficulté de l’intérieur. En étant aussi proche de l’athlète et de son exploit, j’ai l’impression d’être en mesure de donner encore plus de puissance, d’émotion et d’esthétisme à mes images. J’ai la conviction que cela me permet de tirer des choses qui ne m’auraient même pas effleuré l’esprit si j’étais resté loin. Pour cela, j’ai moi-même besoin de réaliser une performance physique et nerveuse conséquente. J’ai besoin de grimper, d’être dans l’effort, de m’éprouver physiquement et nerveusement. En couplant les deux, je me sens épanoui et je construis ma propre définition du haut-niveau : je n’ai pas le niveau athlétique pour être celui qui ouvre les voies ; en revanche, j’ai un combo ‘création d’image et capacités en montagne’ qui me permet d’être celui qui en sort les premières photos ou vidéos. »

« Pour moi, la montagne représente un endroit de défi. Certainement que ce rapport prend sa source dans le lieu où j’ai grandi, à Passy, sous le massif des Fiz. J’ai découvert la nature en partant de chez moi, en crapahutant, via un mix peu académique de trail et d’alpinisme, avec l’idée d’aller voir toujours plus loin que la fois précédente. Arrivé là-haut, je sortais les jumelles et observais comment ouvrir mon champ des possibles pour la fois suivante. Aujourd’hui, c’est toujours cette même volonté qui m’anime : tester mes limites. Avec prudence, curiosité et humilité. J’y ai maintenant ajouté une dimension plus contemplative, liée à mon bien-être. J’adore passer du temps et dormir en altitude, me couper du reste. En bas, je suis toujours dans le jus, à fond, très connecté à mon portable, aux réseaux sociaux, à ma boite mail. Là-haut, je reviens à des envies beaucoup plus simples, moins sophistiquées : j’apprécie me retrouver seul dans mon duvet avec mon appareil photo, mon briquet et mon vieux réchaud. »

Qu’est-ce qui fait selon toi une belle photo outdoor ? Comment définirais-tu ton style, ta direction artistique ? 

« Mon objectif, c’est d’offrir l’opportunité à ceux qui restent en bas de prendre conscience de ce qu’il se passe là-haut. Leur permettre de se rendre compte de la verticalité, de la technicité et de l’esthétisme de la haute-montagne. Illustrer l’ampleur de l’exploit réalisé et de l’engagement investi par les athlètes qui s’y aventurent. C’est la raison pour laquelle j’ai tendance à ‘shooter’ très large. Pour donner une vue d’ensemble et mettre en avant tout ce que la nature propose autour de l’être humain qui, lui, est au cœur de l’action. Cela nous rend tout petit, très vulnérable, face à l’immensité et à l’hostilité de tous ces sommets. Ça incite, je trouve, à une humilité pleine de dignité. Ça nous invite à plus de simplicité. J’aime cette sensation. Elle m’apaise. » 

à 20 ans, tu fais preuve d’une maturité et d’une détermination impressionnantes. As-tu un plan de carrière ? 

« Il y a encore quelques mois, je trouvais difficile d’assumer ce plan de carrière. Car pour moi, le communiquer, c’était m’obliger à le suivre et à le réussir. J’avais du mal à vivre avec cette pression. Puis j’ai compris que c’était le propre du haut-niveau. Désormais, j’en parle avec plus d’aisance, plus de bienveillance envers moi-même. Mon focus principal, c’est la préparation du concours de guide de haute-montagne, auquel j’aimerais postuler en 2025. Pour cela, je dois devenir le meilleur possible en escalade, en ski et en alpinisme, et effectuer une liste de courses qui attestent de mon niveau et de ma motivation. Je dirais qu’actuellement cette préparation occupe 60% de mon temps, et que les 40% autres sont dédiés à mon métier de photographe-vidéaste. Je me mets des œillères sur le reste, quitte à me frustrer parfois, pour réaliser ce rêve de devenir guide au plus vite. Ensuite, j’ai la volonté de m’ouvrir, de voyager, d’aller plus loin que notre vallée chamoniarde, créer mes propres expéditions et pourquoi pas devenir athlète-reporter... »

En étant aussi proche de l’athlète et de son exploit, j’ai l’impression d’être en mesure de donner encore plus de puissance à mes images

Mon focus principal, c’est la préparation du concours de guide de haute-montagne

PORTFOLIO

1. Cascade de glace

« Les photos de montagne sont nombreuses, les photos ‘dans’ la montagne un peu moins. »

« Les photos de montagne sont nombreuses, les photos ‘dans’ la montagne un peu moins. J’aime cette image car elle propose tout ce que je recherche dans mon travail : la verticalité d’une cavité, appelée ‘moulin’ et creusée directement par l’eau dans la Mer de Glace ; l’engagement et la performance de l’athlète, perché à 55 m au-dessus du vide ; et l’esthétisme, grâce à un angle de vue large et cette glace d’un bleu pétaradant. De mon point de vue, il s’agit d’une photo de haut-niveau car elle pousse tous les curseurs auxquels je suis sensible au maximum. »

Moulins de la Mer de Glace, Chamonix, Octobre 2023

2. Birthleft

« Une voie mythique de la Face Nord de l’Aiguille des Grands Charmoz, qui a construit sa légende autour de sa rareté : elle est en conditions tous les 5 ans. »

« ‘Birthleft’ est une voie mythique de la Face Nord de l’Aiguille des Grands Charmoz, qui a construit sa légende autour de sa rareté : elle est en conditions tous les 5 ans. Or la rareté fait la beauté... J’ai choisi le grand angle pour que l’on puisse prendre conscience de l’évidente fissure, là où se rencontrent les 2 parois et où l’eau coule en abondance avant de geler, permettant au grimpeur, Arthur Pointdefert, de se hisser à son sommet avec son piolet et ses crampons. Il y a une pointe de fierté derrière cette photo car j’ai dû réaliser une performance physique pour la rendre possible : dormir en refuge, se lever à 3h du matin, faire l’approche à ski pendant 2h30, recherché l’itinéraire puis grimper moi aussi là-haut. »

3. BIVOUAC

« Plus que son esthétisme, c’est l’histoire cachée derrière qui me fait sélectionner cette photo. »

« Plus que son esthétisme, c’est l’histoire cachée derrière qui me fait sélectionner cette photo. Initialement, ce bivouac m’enthousiasme moyennement. J’ai juste hâte d’être le lendemain matin pour me lancer dans la voie envisagée. Les conditions se révèlent plus rudes qu’annoncées, avec beaucoup de vent et de grosses chutes de neige. On ne voit pas à un mètre. Avec mon pote Jean, on commence à creuser un trou pour s’abriter. À 3h du matin, je n’ai toujours pas trouvé le sommeil. Je me retourne et là j’observe un ciel étoilé totalement dégagé, avec en toile de fond, les frontales des premières cordées qui partent pour le Mont-Blanc du Tacul. Je me dis que c’est irréel. Je sors de mon duvet ultra-excité, utilise mon piolet en guise de trépied car, avec cette luminosité, il s’agit de rester à minima 20 secondes sans bouger sous peine de voir sa photo devenir totalement floue. » 

Il y a une pointe de fierté derrière cette photo car j’ai dû réaliser une performance physique pour la rendre possible

4. CARTEL

« J’ai choisi cette image pour sa symbolique, car elle met en avant un projet zinzin réalisé par quelques amis de la vallée. »

« J’ai choisi cette image pour sa symbolique, car elle met en avant un projet zinzin réalisé par quelques amis de la vallée ; mais aussi pour la résilience dont j’ai dû faire preuve avant de l’obtenir. Nous sommes à Combloux, un petit village sur les balcons du Mont-Blanc, où un groupe d’amis s’est donné rendez-vous pour effectuer 10 000 m de dénivelé positif en ski de randonnée. J’ai moi-même effectué pas loin de 3000 m de D+ sur les skis jusqu’à trouver le bon spot sur l’itinéraire qu’ils parcouraient en aller-retour. Le jour s’apprête à se lever quand je m’installe enfin au bon endroit, impatient et soulagé. Malheureusement lorsqu’ils passent devant moi, ils me regardent interloqués et gâchent la photo avec leurs frontales. Il me faudra attendre leur passage suivant, 1h30 plus tard, assis sur mon siège de fortune, confectionné avec mes bâtons et la mousse de mon sac à dos, pour shooter cette image, avec le Mont-Blanc en arrière-plan. Ça me replonge dans cette nuit de malade, entre copains, et me rappelle que la patience est l’une des qualités indispensables en photographie de montagne... 

5. ARTIF

« Un mouvement de grand écart tout en souplesse afin que le côté ‘flex’ de l’athlète contraste avec la rigidité de cette paroi calcaire. »  

« ‘L’artif’, c’est la version ‘moins éthique’ de l’escalade qui, aujourd’hui, prône le purisme et le minimalisme. En ‘artif’, tu prends 10 kilos de matos, avec pour unique objectif de te hisser au sommet de la voie. C’est une discipline brute et abrupte qui met l’endurance et la résilience à rude épreuve puisque tu passes beaucoup de temps dans ton baudrier sans véritablement avancer. Ici, il s’agit donc de Jean, en plein ‘artif’, dans le ‘Toit des Monchus’, une voie observable depuis à peu près partout dans la vallée et que l’on regarde désormais avec le sentiment d’accomplissement. J’apprécie son esthétisme : j’utilise l’angle le plus large et attends que mon pote soit le plus loin possible pour montrer toute son étendue. Je lui demande d’effectuer un mouvement de grand écart tout en souplesse afin que le côté ‘flex’ de l’athlète contraste avec la rigidité de cette paroi calcaire. »  

Une tentative de revisiter un classique. Les Drus, c’est la montagne esthétique par excellence.

6. LES DRUS

« Une tentative de revisiter un classique. »

« Une tentative de revisiter un classique. Les Drus, c’est la montagne esthétique par excellence. Peu importe la saison, les conditions ou l’heure de la journée, elle t’offre de belles images. C’est la raison pour laquelle on observe de moins en moins de photos de ce sommet : comme cela fait 10 ans qu’elle apparait sous toutes ses coutures sur Instagram, on s’est un peu calmé. Pour me singulariser, je décide donc de shooter ce sommet depuis les airs, en parapente. Je décolle depuis Planpraz, à Chamonix, et là, à l’instant où je sors le boitier, les planètes s’alignent : les dernières lueurs du coucher de soleil viennent caresser la paroi minérale juste avant que l’énorme nuage ne l’engloutisse. »

7. LE GRAND SAUT

« J’aime cette photo pour son aspect graphique et géométrique, mais surtout pour ce qu’elle dit de nous : on est un peu autiste, mais on se donne les moyens de réussir. » 

« Une fin d’après-midi, un 31 décembre. Edgard, mon ami d’enfance, est biathlète de haut-niveau. De mon côté, je suis à fond dans mon double projet. Donc plutôt que de prévoir un réveillon festif, on se donne rendez-vous pour crapahuter et réaliser quelques images. J’aime donc cette photo, shootée juste à côté de chez nous, au pied du massif des Fiz, pour son aspect graphique et géométrique, mais surtout pour ce qu’elle dit de nous : on est un peu autiste, mais on se donne les moyens de réussir. Edgar, c’est mon meilleur pote depuis la maternelle : on se comprend, on s’inspire et on se soutient mutuellement. » 

8. BIATHLON

« Le tireur camouflé dans l’ombre met son œil dans le viseur de sa carabine comme je glisse le mien dans mon objectif. »

« Une photo que j’ai sélectionnée car elle me ramène là où mon amour pour le sport s’enracine : sur le pas de tir d’un stade de biathlon. Edgar s’apprête à partir pour les Championnats du Monde. C’est l’une de ses dernières séances de ‘réglage’. J’aime cette dimension très suggestive de l’image : avec des éléments très évidents, que l’on va repérer au premier coup d’œil, ici les cibles ; et d’autres plus dissimulés, qui méritent une deuxième lecture, ici l’athlète. Le tireur camouflé dans l’ombre met son œil dans le viseur de sa carabine comme je glisse le mien dans mon objectif. J’espère que les lecteurs ne vont pas se dire que je suis trop perché ou trop pompeux avec toutes mes histoires, mais je trouvais juste l’analogie super chouette (rires) ! » 

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