Paris, 9 décembre 2017. 11h. Le temps semble arrêté. La foule, massée sur le pont entre la Tour Eiffel et le Trocadéro, scrute le ciel et retient son souffle. Effrayés ou émerveillés, les passants sont suspendus à la performance d’un funambule des temps modernes, lui-même suspendu au-dessus du vide. Le magicien des airs qui entreprend cette incroyable traversée, c’est Nathan Paulin.
Un grand gaillard de 24 ans, recordman du monde de highline, ce sport qui consiste à défier, sur un fil, les lois de la gravité. Entretien sans vertige avec l’un des meilleurs highliners du moment.
Nathan, peux-tu nous donner ta définitionde la highline ?
Pour être très factuel d’abord, la highline consiste à aller d’un point A à un point B en marchant sur une sangle tendue au dessus du vide, souvent sur de grandes distances. C’est un nouveau genre de funambulisme qui peut s’exercer aussi bien en milieu naturel qu’urbain. Mais derrière la performance, c’est également une nouvelle manière d’appréhender la montagne, avec un autre point de vue. En fait, la highline est un prolongement, une amplification de la slackline, un sport plus accessible devenu très populaire ces derniers temps. Maintenant, quand tu te balades l’été dans les parcs, impossible de ne pas voir des jeunes qui tendent une ligne entre deux arbres et tentent de tenir dessus. C’est d’ailleurs comme cela que j’ai commencé…
Comment t’es-tu découvert un talent et une passion pour ce sport ?
Dans un premier temps, un ami de mon frère qui fait beaucoup d’escalade m’a proposé d’essayer la slackline. J’ai trouvé ça sympa, mais sans que cela devienne instantanément une passion. Puis, à l’été 2011, pour tuer l’ennui, j’ai tendu une sangle dans mon garage. Je me suis entrainé pendant toutes les vacances. Au début, je tenais à peine en équilibre, mais rapidement j’ai progressé. Petit bout par petit bout… et très vite jusqu’à des distances de 30 ou 40 mètres. Ca ne me faisait pas spécialement rêver de marcher sur un fil, mais j’adorais cet état de concentration maximale.
Comment un débutant devient l’un des meilleurs du monde en moins de 2 ans ?
J’ai couplé mes études, au lycée, puis en DUT Génie mécanique, avec une pratique assez intensive. Je m’entraînais pendant des heures. J’ai investi dans du matériel, j’ai épluché les sites spécialisés pour me renseigner, je me suis rapproché d’autres passionnés… En 2013, nous étions seulement 2 dans le monde à parcourir près de 100m. À mes 21 ans, une fois diplômé, j’ai donc décidé de prendre une année sabbatique pour vivre l’aventure à fond. J’ai été invité à un premier festival de highline en Iran, puis en Pologne, aux Etats-Unis, en France... J’ai alors lancé mon activité d’auto-entrepreneur, les sponsors sont arrivés et c’est ce qui me permet aujourd’hui de vivre de ma passion, par du spectacle mais également du coaching, des initiations…
Qu’est ce que tu ressens en équilibre
au dessus du vide ?
Perché là-haut, j’ai une impression d’apaisement total, un ancrage complet dans l’instant présent. C’est un mélange d’intensité et de légèreté. On ressent tout plus fort, les sensations sont décuplées. Je suis alerte, à la fois à l’écoute de mon corps mais également très sensible aux éléments naturels autour. Et puis, disons que la highline a le pouvoir de sublimer des paysages en te donnant une vision singulière et exclusive d’un endroit. Enfin, c’est une question de partage. Certes, tu es seul avec toi-même une fois sur la sangle, mais c’est un sport individuel avec une véritable dimension collective. Impossible de tendre une ligne sans être en équipe. D’ailleurs, ce record du monde n’est pas « mon » record du monde, c’est « notre » record du monde. Pour résumer, la highline, ça se ressent, ça se voit et ça se partage, surtout.
Perché là-haut, j'ai une impression d'apaisement total, un ancrage complet dans l'instant présent.
En parlant de ce record du monde, peux-tu nous le raconter ?
Tout est parti des gens du coin qui voulaient faire connaître le Cirque de Navacelles, dans l’Hérault, en réalisant quelque chose d’exceptionnel. C’est donc un record dont nous ne sommes pas forcément à l’initiative et qui a mis plus d’un an à se concrétiser. Il a d’abord fallu obtenir les autorisations, notamment de la part des aviations civiles et militaires puisque des Mirage empruntent souvent ces Gorges. 8 mois de tractations ! Ensuite, nous avons effectué le repérage, les ancrages et enfin l’installation à l’aide de drones. Nous étions 14 et cela nous a pris 2 jours. Une fois la slackline validée par le Bureau de contrôle, nous avons attendu le créneau idéal, assez frais et sans vent, pour s’élancer. J’étais le deuxième partant. À la première tentative, je tombe au bout de seulement 200 mètres, mais je retente ma chance et 1h10 d’effort plus tard, j’avais parcouru les 1600 mètres.
Quelles sont les qualités physiques et mentales nécessaires pour réussir un tel exploit ?
De base, il faut un niveau physique assez solide, surtout au niveau des jambes. Le bas du corps doit être puissant, gainé et précis. Je ne m’entraîne donc pas quotidiennement sur une sangle, il m’arrive même de ne pas la sortir de l’hiver, mais je m’entretiens en m’éclatant en ski de randonnée ou en parapente. Mentalement, il faut être capable de maintenir un très haut niveau de concentration pendant longtemps. L’endurance n’est pas que physique. Sur une traversée de plus d’une heure comme lors du record du monde par exemple, il faut savoir gérer son effort. Et la dernière chose, c’est la hargne. Il faut être guerrier. Tu vas au bout coûte que coûte. Tu restes debout quoi qu’il arrive.
Quels sont tes projets et quel avenir vois-tu pour la highline ?
J’avoue que je laisse les projets venir à moi. Il y a beaucoup de demande, notamment depuis l’étranger. Au Brésil, l’engouement populaire est incroyable, tout comme en Chine, où ils sont friands de ce genre d’images sensationnelles. Car même s’il n’y a pas vraiment de notion de danger puisque nous sommes attachés, la highline ne laisse pas indifférent. C’est à la fois beau et effrayant. Pourtant, je ne considère pas que je pratique un art du spectacle. Je pratique avant tout pour moi, pas pour être vu. Et j’aimerais vraiment que notre sport conserve cette recherche d’esthétisme plus que de show, cette essence faite de liberté et d’authenticité. C’est ça les valeurs de la montagne… (Après un silence d’hésitation, il revient) Ah si ! J’ai un rêve en fait : tendre une ligne entre deux Aiguilles, à Chamonix, avec mon frère, futur guide de haute montagne.
EN CHIFFRES
• 1 662m comme la distance parcourue au-dessus du cirque de Navacelles pour son record du monde
• 300m comme le vide sous la sangle
pendant ce record du monde
• 670m comme la distance parcourue entre la Tour Eiffel et le Trocadéro pour le Téléthon,
à 70m du sol
• 20 comme le nombre de lignes
que Nathan tend par an
• 1m97 comme la taille de Nathan, loin des standards du funambulisme classique
Interview : Baptiste Chassagne
Photos : Damien Deschamps / Leo-Paul Darse / Fred Marie