En skate, il existe deux écoles. L’ancienne, celle des « surfeurs d’asphalte », rebelle et underground, qui puise sa source dans les années 60, à une époque où la planche à roulette est inventée par des californiens frustrés de ne pouvoir glisser sur l’eau par mauvais temps. La nouvelle, plus consensuelle et universelle, comme une grande famille unie autour d’une même passion, par la magie des réseaux sociaux. Nabil Slimani, skateur annécien de 29 ans, est un élève assidu de ces 2 écoles.
Des sommets d’une carrière internationale à la désillusion, des « vidéos à l’ancienne » aux comptes Instagram, il est un témoin privilégié de l’évolution de son sport. Ni de l’ancienne, ni de la nouvelle, Nabil fait la jonction entre les deux : il est de l’éternelle école. Celle de toujours. Où il s’agit seulement de « monter sur sa board et kiffer »
Nabil, peux-tu nous compter tes premiers pas sur une planche à roulette ?
Alors, je préfère être honnête, je n’étais absolument pas prédestiné au skateboard (Il sourit). Disons qu’il est venu me chercher plutôt que je ne suis venu à lui. En fait, je suis originaire de Thônes, et à l’époque, il y avait une vraie émulation autour de cette pratique dans ma ville, bien que cette communauté très dynamique demeure assez anonyme. J’allais souvent à la piscine et le skatepark se trouvait juste devant. Je m’arrêtais régulièrement pour regarder et des gars plus grands m’ont convaincu d’essayer. J’avais 12 ans. Rapidement, ils m’ont fait prendre conscience de mes facilités, ils m’ont encouragé, ils m’ont prêté du matériel… Puis, ils m’ont poussé à m’inscrire sur des compétitions régionales. J’ai adoré cette possibilité de se confronter aux autres. La plupart du temps je gagnais et c’est à ce moment que j’ai compris que j’avais du potentiel. J’étais lancé.
Ta trajectoire au haut niveau est assez fulgurante non ?
A vrai dire je ne sais pas. Disons qu’à 15 ou 16 ans, je gagnais beaucoup de compétitions autour de chez moi. J’étais considéré comme “l’étoile montante”. Etre sponsorisé par ABS constitue le tournant qui m’a poussé à m’investir encore plus dans ma passion. J’ai ainsi obtenu quelques bons résultats sur de gros contest français mais également aux Europe, à Bâle, en 2008, où je termine 7ème je crois. Ça a fait le buzz. Le petit gars qui sort tout juste de son village et qui remporte le trophée de meilleur trick (figure) de l’évènement… Olivier Saint-Jour, team manager chez Eastpack et Fallen, m’a alors ouvert la porte du monde des grands. J’avais un contrat, j’enchainais les compétitions, j’étais sollicité sur une multitude de projets… La belle vie quoi !
C’est le sommet de ta carrière. Par la suite, ce fût plus compliqué ?
Clairement ! En 2008, Jamie Thomas, mon idole absolue, qui est au skate ce que Roger Federer est au tennis, vient présenter son nouveau film à Biarritz. Je suis alors envoyé là-bas afin de rider avec eux. Le feeling est super bon. Jamie me propose même de le rejoindre quelques mois plus tard à San Diego. Je décolle donc pour les États-Unis, à San Francisco exactement, où je reste quelques mois, pour filmer et faire des photos avant de les rejoindre. Mais à ce moment-là, je me blesse. Fracture du talon. Je rate le coche. Ne me sentant pas assez mature, je ne force pas le destin et je rentre en France. Dans le même temps, beaucoup de changements avaient opéré en interne parmi mes sponsors. Le courant passe mal. Je décide de tout arrêter. Ce monde m’avait clairement dégoûté. L’ascension fût si rapide que la chute était d’autant plus brutale. Je n’avais plus qu’une seule envie : faire du skate pour moi avec mes potes.
Justement, tu es un peu sorti de ce monde-là aujourd’hui ?
Je n’en suis pas complètement sorti, mais j’ai pris beaucoup de recul. Je fonctionne uniquement avec des sponsors (Vans, Blaze, Obey clothing, The Roster, Abs) avec qui la relation est très sérieuse mais également saine, voire même amicale. La compétition ne m’attire absolument plus. Je me consacre donc à des projets de voyage, pour des films ou des photos. Deux m’ont particulièrement marqué : en Oregon, car de Portland en passant par Seattle nous avons ridé uniquement des spots mythiques ; à Séoul, ensuite, pour le gigantisme et le choc culturel, car le skate n’étant pas très implanté en Corée, il était intéressant de se confronter au regard ébahi des locaux. Mais j’ai désormais 29 ans, et puisqu’en France il demeure compliqué de vivre uniquement du skateboard, j’ai entamé un projet de reconversion en passant un BPJEPS APT afin de pouvoir enseigner ma passion. Je prépare également un nouveau projet vidéo qui, je l’espère, verra le jour en septembre.
Le skate est plus qu’un sport, c’est une culture. Considères-tu que celle-ci a évolué ?
C’est indéniable. Le skate que j’ai connu à mes débuts n’a rien à voir avec celui d’aujourd’hui. Attention, je ne dis pas que je suis nostalgique. Le skate, ce n’était pas forcément mieux avant, c’était simplement différent. Avant, on faisait du skate pour le fun mais aussi pour le challenge. Ce qui nous motivait tous les jours, c’était apprendre, progresser et réussir de nouvelles figures. La dimension perfectible rendait nos perspectives infinies. Il fallait être original pour sortir du lot. Aujourd’hui, on recherche clairement plus l’esthétisme que la difficulté. La notion de « style » est devenue prépondérante : il existe des canons du « beau » auxquels il faut te plier si tu veux percer.
Aujourd'hui, on recherche plus l'esthétisme que la difficulté. La notion de "style" est devenue prépondérante.
Penses-tu que les réseaux sociaux ont contribué à accélérer ce changement ?
Bien-sûr ! L’impact des réseaux sociaux sur l’évolution du skate a été énorme. Ils ont universalisé notre discipline, ouvert des frontières, créé des ponts. Ce fût un bond en avant formidable. Facebook et Instagram sont des sources d’inspiration incroyables. (Il s’enthousiasme) Tous les jours, tu découvres de petites perles dans des pays où tu ne savais même pas qu’il existait une scène skate ! Par contre, il faut rester attentif car les réseaux sociaux peuvent aussi être dangereux pour l’essence de « notre skate ».
C’est-à-dire ? Tu peux développer cette « dangerosité » des réseaux sociaux ?
Ce n’est pas un danger en soi. Mais il faut demeurer vigilant pour qu’ils ne dénaturent pas le skate. Avant eux, une impatience de dingue fomentait autour de gros projets qui prenaient des années à éclore. Je me souviens encore de l’émotion ressentie lorsque j’ai assisté en avant-première à la diffusion du film de Jamie Thomas, Ride the Sky. C’était fou ! Aujourd’hui, avec les smartphones, on est plus dans l’instantané, en mode : « Tiens je vais tenter un truc cool puis le poster ! ». Le risque est de ne plus faire du skate pour t’amuser mais pour te montrer. Tu ne skates plus comme tu en as envie, mais en fonction de ce que les gens ont envie de voir. Et du coup, certains génies, vraiment impressionnants sur une planche, restent dans l’ombre et n’obtiennent pas la reconnaissance qu’ils méritent car ils ne savent pas se « vendre sur les réseaux ». Tu dois désormais plaire aux autres, rentrer dans un moule et suivre la mode. C’est assez superficiel.
On sent que tu prends beaucoup de recul sur ta discipline. Quels seraient tes conseils pour des jeunes qui se lancent ?
C’est assez simple : ne pas oublier que le skate c’est avant tout une passion ! Qu’ils sont les héritiers d’une histoire et d’une culture, qu’il s’agit de respecter, mais qu’ils doivent désormais écrire. Aussi, il ne faut pas qu’ils envisagent Instagram comme un moyen de faire décoller leur carrière. D’abord, kiffe, roule, amuse-toi, et ensuite, si tu veux poster ta vie sur Instagram, fais-le. Mais n’attends rien en retour. Si tu es un génie et si ça doit venir, cela viendra naturellement. Il ne faut pas forcer les choses. Skankie, une référence pour moi, en est le meilleur exemple. C’est son skate qui a parlé, pas son Instagram. Un autre conseil, ce serait de faire attention à son hygiène de vie. C’est la clé pour rester performant sur le long terme. Enfin, je préconiserais de ne pas mettre « sa vie de côté ». De vivre uniquement pour et par le skate. Il y a plein d’autres trucs cool dans la vie. L’année dernière, je me suis blessé aux pieds. J’ai donc passé tout l’hiver en montagne et je ne me suis jamais senti aussi vivant. Ça m’a fait énormément de bien de voir autre chose… En fait, c’est tous ces petits détails, très importants au final, que l’on essaye de transmettre au sein de la structure d’enseignement que j’ai créé : Aloha Skate Club.
Interview : Baptiste Chassagne
Photos : Sébastiano Bartoloni