Publié le 15 mars 2021
Loana Lecomte

Loana Lecomte

Une jeune vététiste annécienne
VTT CYCLISME
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VTT, Interview

Un conte enchanté. C’est ainsi que l’on pourrait décrire l’année 2020 de Loana Lecomte, celle qui vole d’une insouciante légèreté et rayonne d’une personnalité solaire. À seulement 21 ans, la jeune vététiste annécienne, qui admet un attachement viscéral pour ce lac et ces montagnes qui l’ont vue grandir, a connu une saison fabuleuse. Loin de ces histoires à dormir debout. Proche de ces rêves qui se vivent éveillés. Une victoire en Coupe du Monde dès sa toute première « chez les grandes » et deux titres de championne du monde, Espoirs et par équipe. Un conte de fées dont il s’agira d’écrire un nouveau chapitre en 2021, avec pour principale péripétie les Jeux Olympiques de Tokyo. 

Papi, Parmelan et engagement

Peux-tu nous raconter ta découverte du VTT et tes premiers coups de pédale ? Comment sont nées ta vocation et ta passion pour ce sport ? 

Comme la majorité des enfants qui grandissent en station – aux Carroz d’Arâches me concernant - j’ai commencé par le ski alpin. Néanmoins, mes parents souhaitaient que je trouve un complément estival au ski, et à ce moment-là, mon papi, dont je suis très proche, ancien cycliste de bon niveau, a proposé de m’initier au vélo ! Je me souviens de nos premiers rides ensemble. J’avais une dizaine d’années. On roulait sur la piste cyclable au bord du Lac, à faire des aller-retours le long de la voie ferrée du petit train. Il me répétait sans cesse : « Mouline Loana ! Mouline ! ». (Elle esquisse un sourire) De super images me reviennent... 

À quelle période as-tu découvert que tu avais des prédispositions pour cette discipline ? Comment s’est déroulée la transition vers la démarche de haut-niveau ? 

J’ai disputé mes premières compétitions nationales à l’âge de 14 ans, via le Trophée de France des Jeunes Vététistes. À cette époque, je n’avais pas un super vélo, plutôt lourd et sans suspension. Je finissais assez régulièrement au pied du podium. Puis, mes parents, constatant mon investissement, m’ont offert une monture plus performante ! À partir de ce moment-là, j’ai commencé à gagner. J’ai toujours aimé la compétition et la confrontation, mais je ne me suis jamais projetée sur un plan de carrière. J’ai toujours avancé ainsi, sans me prendre la tête, de

résultat en résultat, en abordant les objectifs les uns après les autres. 

Le VTT est une discipline olympique, régulièrement pourvoyeuse de médailles pour la France. Peux-tu, en quelques mots, décrire cette épreuve à ceux qui ignorent de quoi il s’agit ?

Je vais tâcher d’être succincte. (Un temps de réflexion) En gros, c’est une course de VTT qui se déroule sur un circuit de 4 à 6 km, dont on effectue plusieurs fois la boucle. Nous évoluons sur des sentiers techniques, généralement parsemés de racines, de sauts ou de cailloux, en montagne ou en forêt. Nos départs se font de façon groupée et la première arrivée à gagner.  Les types de terrain sont très variés et changent d’une course à l’autre. Mais en règle générale, le parcours oscille toujours entre 5 ou 6 boucles à effectuer, soit environ 30 km et 1000 m de dénivelé positif, pour 1h30 d’effort en moyenne. 

L'engagement , c'est la faculté à débrancher le cerveau, mais pas trop ! Réfléchir, mais pas trop !

Quelles sont les qualités qui fondent une grande pilote de VTT ? 

Si je devais dessiner le portrait-robot de la pilote idéale, elle aurait trois qualités principales. D’abord, une grande capacité d’engagement. L’engagement, c’est la faculté à débrancher le cerveau, mais pas trop ! Réfléchir, mais pas trop ! Ensuite, il faut savoir se faire mal physiquement car on doit être à fond pendant 1h30. Notre effort exige d’être à la fois puissante, explosive et endurante… Enfin, il y a une dimension tactique, stratégique, couplée à une certaine lecture du terrain. En gros, c’est mieux d’éviter de se mettre dans le rouge pour conserver un minimum de lucidité dans les descentes techniques. Ça fait pas mal de facteurs à gérer pour atteindre le plus haut-niveau ! 

Te concernant, quels sont les points forts qui te démarquent de la concurrence ? Et les points faibles que tu dois encore travailler ? 

(Sans hésitation) Mon point fort, c’est le pilotage ! Je sais lire les trajectoires et j’ai rarement peur. Je n’hésite pas à m’engager. C’est certainement l’héritage de mon passé de skieuse alpin. À l’opposée, mon levier de progression, c’est l’endurance. Je cours en catégorie Elites, avec des athlètes plus âgées que moi, qui disposent d’une plus grosse caisse, mais ce qui est aussi dû au fait qu’avec l’expérience, elles sont en mesure d’accumuler plus d’heures à vélo que moi à l’entraînement. 

Tu es née et tu résides à Annecy. Le bassin annécien est à la fois ta terre natale et ton terrain de jeu. Entretiens-tu une relation particulière avec cette région ? Quels sont tes spots d’entraînement favoris ? 

J’ai un attachement presque viscéral à la région d’Annecy… À chaque fois que je pars en stage ou en compétition, je n’ai qu’une seule hâte : retrouver mes montagnes ! C’est difficile à expliquer mais je m’y sens bien, épanouie et donc efficace à l’entraînement. Cette terre, c’est ma zone de confort ! Pour le VTT, c’est juste royal, notamment le Semnoz qui se révèle être une véritable fourmilière à sentiers. Et si vous voulez me croiser à l’entrainement, mes spots favoris sont le Parmelan et L’Anglette, juste à côté de la maison !

Tokyo, feu d artifice et sac podium

Le 29 septembre 2020, à Nove Mesto, en République Tchèque, tu participes à ta première manche de Coupe du Monde de VTT, sur le circuit Elites, alors même que tu es encore Espoirs. À cette occasion, tu concrétises en seulement une course un rêve que certaines athlètes mettent parfois toute une carrière à réaliser : pour ton baptême inaugural, tu remportes cette étape de Coupe du monde ! Qu’est-ce que tu ressens au moment de lever les bras en vainqueur ? Es-tu la première surprise de ta performance ? 

On m’a déjà posé cette question, mais je n’ai jamais su répondre ! J’ai du mal à décrire précisément ce que j’ai ressenti, un peu comme un feu d’artifice de différentes émotions. J’ai surtout pensé à tous ceux qui me suivent depuis le début : mon entraineur, mes proches, mon Team… Je les imaginais heureux devant leur écran, et moi, j’étais juste heureuse de les rendre heureuse ! Après, ce n’était absolument pas programmé ! Le contrait aurait été rempli avec un top 15 et secrètement, je rêvais d’un top 10 ! Mais de là, à monter sur le podium ou même gagner… jamais cela ne m’a traversé l’esprit ! 

Une anecdote en dit long sur cette insouciance. Vous n’aviez pas ce sac rempli d’affaires de rechange que les athlètes préparent généralement « au cas où » ils feraient un podium… 

Non ! Je pensais rentrer directement à l’hôtel après la course ! À la limite, m’arrêter au contrôle anti-dopage si j’étais sélectionnée. Du coup, je suis montée sur le podium toute sale, encore pleine de boue, et en ayant froid. Mais ça va, c’était une « bonne galère » ! Je re-signerais volontiers.  

Surfant sur cette confiance et sur ta forme physique, tu remportes quelques jours plus tard le titre de championne du monde Espoirs, à Leogang, en Autriche, concluant de la plus belle des manières ta formidable année 2020. Qu’est ce qui a changé depuis ? Comment as-tu vécu cette notoriété nouvelle ? 

C’est sûr que ça a généré quelques changements. Pas personnellement, pas dans mon comportement, mais plutôt dans la manière dont les autres me perçoivent. J’ai reçu plus de propositions de partenaires qui souhaitaient m’aider dans mon aventure, je suis plus sollicitée médiatiquement et celles que je considérais avant comme des idoles sont désormais des adversaires… Heureusement, je suis extrêmement bien entourée, que ce soit par mes proches, en équipe de France ou dans mon Team (Massi). Athlète de haut-niveau c’est un métier, et j’apprends à l’exercer au mieux tous les jours ! 

On dit souvent que la saison de la confirmation est toujours plus difficile que celle de la révélation ? Es-tu sereine à cet égard ? 

Oui, totalement ! Je me dis que je n’ai rien à prouver à personne ! Je prends les objectifs comme ils viennent, les uns après les autres, en me donnant à fond sur chaque course. Mon but, c’est simplement de ne pas avoir de regret en franchissant la ligne d’arrivée. J’ai la chance d’évoluer dans un environnement ultra-bienveillant. Ils me soutiennent beaucoup, sans pour autant faire peser une pression sur mes résultats. Quand je réussis, c’est grâce à eux. Et quand je me rate, c’est à cause de moi !  

Celles que je considérais avant comme des idoles sont désormais des adversaires…

Une telle saison doit quand même ouvrir l’appétit et nourrir des ambitions… Te projettes-tu sur les JO de Tokyo 2021 ? Comment vis-tu l’incertitude qui les entoure ? 

Pour les JO, il va déjà falloir se qualifier en étant performante sur les deux premières manches de Coupe du Monde qui se dérouleront début mai ! Je devrai faire partie des deux meilleures françaises pour espérer voir Tokyo. Et concernant l’incertitude, je la vis plutôt bien ! Chaque jour, à l’entraînement, je travaille pour progresser et construire des performances sur le long terme. Les JO de Tokyo ne sont qu’une étape, certes exceptionnelle. Cette sérénité émane certainement du fait que je suis jeune et que j’ai tout le temps devant moi… 

Peux-tu nous décrire ton quotidien en cette année olympique ? Qu’est-ce que l’on fait de ses journées lorsque l’on a 21 ans, que l’on est sportive de haut-niveau et que l’on prépare les JO ? 

C’est un mode de vie assez classique, rien de bien extraordinaire ! Je m’entraine 5 à 6 jours par semaine, pour un volume hebdomadaire variant entre 12 et 15 heures. Celui-ci se décompose en une sortie longue d’endurance durant entre 3 et 4h, deux sessions de musculation et 3 ou 4 séances plus spécifiques de VTT, axées sur le physique ou la technique. Aujourd’hui, j’ai cette sensation agréable de me sentir épanouie, comme si j’avais trouvé mon équilibre. Je ne me prive de rien mais je n’abuse de rien non plus. Avec le recul, je pense que j’aurais exactement la même hygiène de vie si je n’étais pas sportive de haut-niveau.

Grotte, paritÉ et médiatisation

Depuis quelques années, le sport est animé par une démarche paritaire, qui s’intensifie et se densifie chaque jour, en direction d’une véritable égalité des sexes. Quel regard portez-vous sur ce combat ? 

Je trouve ça totalement normal et je soutiens toutes les actions qui vont dans ce sens. Néanmoins, je remercie surtout ces athlètes pionnières qui ont amorcé le combat. Car pour ma part, j’ai la chance de ne jamais vraiment avoir ressenti cette inégalité. Je suis arrivée dans le VTT à une époque, récente, où la parité devenait la norme. 

Est-ce que vous vous sentez suffisamment légitime pour offrir, via votre talent et votre aura, une caisse de résonance à ce message ? 

Pour l’instant, je ne me sentirais pas capable d’élever la voix. Par contre, j’admire celles qui se font les porte-paroles de cette cause. Moi, j’œuvre à ma petite échelle, dans mon cercle proche. Après, il ne s’agit pas non plus de se montrer trop véhémente et d’inverser les rôles ou le rapport de force, en affirmant que les femmes sont supérieures aux hommes… Non ! Juste trouver un pied d’égalité ! 

Avez-vous déjà été confrontée frontalement à ces inégalités ? 

Oui ! Mais seulement par de petits détails qui ont éveillé ma prise de conscience… Au niveau régional par exemple, les primes de course des femmes sont inférieures à celles des hommes. (Un temps de réflexion) En réalité, cela se retranscrit plus dans le regard parfois conservateur de certaines personnes ou des réflexions que l’on entend : « Ah mais je ne savais pas que les filles pouvaient faire du VTT ! » ou « C’est plus facile chez les filles car le niveau y est très faible ! » … Non mais il faut sortir de sa grotte (sourire) ! La première fille se donne autant de mal que le premier garçon ! 

Le VTT a l’image d’un sport relativement épargné par les inégalités, presque en avance sur son temps. Es-tu d’accord ? Le cas échéant, comment l’expliques-tu ? 

C’est vrai que notre discipline fait partie des bons élèves ! Il y a plusieurs raisons à cela : d’abord, nous faisons exactement le même parcours que les hommes par conséquent le niveau de difficulté est équivalent ; ensuite, les circuits mondiaux féminin et masculin cohabitent chaque week-end, tout se fait le même jour, au même endroit, avec les mêmes règles du jeu, ce qui contribue à créer un esprit de corps ; enfin, je pense que Pauline (Ferrand-Prévot) a offert beaucoup de visibilité à notre sport par ses résultats extraordinaires et que de fait, en France, le VTT féminin bénéficie d’une belle notoriété, en partie grâce à elle… 

Quels sont selon toi les progrès qui restent à réaliser, les axes de travail à approfondir, pour un sport plus paritaire ? 

Selon moi, le gros enjeu se situe au niveau de la médiatisation, notamment par les « grands médias » à la télévision. Un exemple frappant : après les Championnats du Monde de cyclisme, tout le monde s’enthousiasmait du titre de Julian Alaphilippe et beaucoup moins de celui de Pauline… Or la médiatisation, c’est le nerf de la guerre. Ce qui enclenche un cercle vertueux : si tu as plus de médiatisation, tu attires plus de partenaires, tu as plus de moyens, tu créés plus de spectacle et tu deviens alors plus attractif pour les médias ! 

La médiatisation c'est le nerf de la guerre ! (…) Si tu as plus de médiatisation, tu attires plus de partenaires, tu as plus de moyens, tu créés plus de spectacle et du deviens alors plus attractif !

QUESTIONNAIRE de la rose

La sportive que tu admires pour son engagement ? 

La judokate Clarisse Agbegnegnou. J’aime ce qu’elle dégage, son charisme. Elle donne envie de s’entraîner à fond, d’aller au bout de ses rêves. Elle incarne ces femmes fortes qui savent ce qu’elles veulent. 

La sportive qui te fait rêver depuis petite ? 

La VTTiste Julie Bresset. Ma coéquipière aujourd’hui au sein du Team Massi. J’ai pleuré lorsque je l’ai vue gagner l’or aux JO de Londres. Je me suis dit : « C’est ça que je veux faire ! » 

La sportive qui t’inspire ? 

La skieuse Tessa Worley. Je suis impressionnée par sa constance. Ça fait des années qu’elle se situe au sommet de sa discipline. 

La plus belle émotion générée par une sportive que tu es vécue en tant que spectatrice ?

La victoire de Pauline Ferrand-Prévot aux Championnats du Monde de VTT, au Canada, en 2019. J’étais fière de porter les mêmes couleurs qu’elle. 

Une proposition pour encore plus de parité dans le sport ? 

On en revient à la médiatisation par les grandes chaînes télévisées. L’autre fois, devant le Dakar, ça m’a choquée : ils n’ont donné que les résultats masculins. À croire qu’il n’y avait aucune concurrente féminine. 

Texte : Baptiste Chassagne

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