Val-Thorens, 27 juillet 2018. Julien Chorier, champion d’ultra-trail, au palmarès aussi long que les épreuves qu’il court, se lance un défi hors du commun : réaliser en courant le Grand Tour de la Tarentaise.
Val-Thorens
Départ / 00h00 de course / 8h, le 27 juillet 2018
8h. L’heure des randonneurs. Alors que certains partent frais et guillerets, d’un pas décidé, à l’assaut d’une belle promenade sur les crêtes, Julien, s’apprête à entamer son périple homérique. Une Odyssée dont les contours ont commencé à se dessiner en décembre 2017, lorsque Julien a ressenti « l’envie d’ajouter un projet unique au planning d’une saison déjà bien dense, une aventure qui me ferait vivre pleinement ma passion du trail, mais sans épingler de dossard. » Le Grand Tour de la Tarentaise s’impose alors : « pour le défi sportif d’abord, puisque je souhaitais courir sur une distance supérieure aux ultra-trails classiques, en passant notamment plusieurs nuits sur les sentiers. Pour la portée symbolique ensuite, car c’est un massif pour lequel j’ai une affection particulière et où sont implantés nombre de mes partenaires, sans qui rien n’aurait été possible. » Retour à Val-Thorens. La nuit a été paisible et, ce matin, le petit-déjeuner copieux. « Au moment de partir, je ne ressentais absolument aucune pression, juste une farouche volonté de réussir et d’ainsi rendre la confiance qui m’a été accordée. En fait, j’étais impatient. J’avais hâte de me faire plaisir. » C’est animé par cet état d’esprit que Julien s’avance vers la ligne de départ, celle qui se transformera en ligne d’arrivée, lorsqu’il aura bouclé la boucle, dans 295 km. Une dernière inspiration. C’est parti.
Descente depuis Bonneval
Km 78 / 12h30 course / 20h31, le 27 juillet 2018
Sa préparation physique, basée sur du « volume plutôt que de l’intensité », avec deux semaines à plus de 30h d’entrainement, lui permet de parcourir les 80 premiers kilomètres avec une relative facilité… ce « petit coup de chaud dans l’ascension du Col de la Madeleine, qui a nécessité un Coca frais et une baignade dans le ruisseau pour faire retomber la température » ou « cette heure et demie lâchée sur des sentiers à l’abandon, à se frayer un chemin parmi les ronces ». Au sortir de ces 78 km, après 12h30 d’effort, Julien arrive à Bonneval, où l’attend une vingtaine de jeunes coureurs du Club des Sports de Pussy. Le petit peloton amorce la descente suivante, uni comme un seul homme, conversant gaiement, sous le regard bienveillant du soleil couchant. « C’est un moment magique, immuable, qui restera gravé. À cet instant, mon aventure prend tout son sens, la notion de partage devient palpable. ça me met du baume au cœur. J’ai 80 km dans les jambes, mais je me sens hyper léger. » Tant mieux, car la route est encore longue.
Ravitaillement du Petit Saint-Bernard
Km 148 - 30h30 de course - 14h, le 28 juillet 2018
« Le ravitaillement au Col du Petit Saint-Bernard restera également un souvenir magnifique. Ma famille, mes amis, mes partenaires… tous m’attendaient autour d’un barbecue. Je me suis arrêté 11 minutes, un peu plus longtemps que prévu. Je voulais profiter, c’était tellement dur de repartir… » Car plus que le repas chaud sur l’estomac, ce sont les 148 km précédents qui pèsent sur les jambes. En effet, depuis la descente de Bonneval, Julien et ses deux accompagnateurs ont gravi le double kilomètre vertical du Cormet d’Arêches éclairés par l’éclipse lunaire, traversé le col enneigé du Grand Fond, dormi une petite heure au refuge des Chapieux et essuyé deux orages sur les crêtes séparant les cols de l’Ouillon et de la Fourclaz… « Tout cela dans l’effort, mais pas dans la souffrance ». Quand bien même, les pommes de terre et le steak cuisinés par ses proches sont les bienvenus.
Une aventure qui me ferait vivre pleinement ma passion du trail, mais sans épingler de dossard.
Repos du guerrier au refuge de Val d’Isère
Km 195 - 41h30 de course - 1h23, le 29 juillet 2018
Julien entame une deuxième nuit à crapahuter dans la montagne, dépassant de fait le kilométrage atteint sur les ultra-trails qu’il a l’habitude de courir. « Au crépuscule de la seconde journée, mon aisance en descente s’est fortement détériorée. La fatigue est à la fois musculaire et cognitive, ce qui fait que je n’ai ni le dynamisme nécessaire pour sauter de pierre en pierre, ni la lucidité suffisante pour lire convenablement le terrain et anticiper les trajectoires. » À 1h du matin, il atteint pourtant en avance Val d’Isère alors que son assistance, composée d’une quinzaine de personnes, dort sur deux oreilles. Le coureur se pose et se repose. « J’avais réellement besoin de me régénérer. Je m’alimente, me change, puis tâche de dormir. » 1h15 d’un sommeil très lourd, seulement perturbé par des « douleurs surprenantes, qui me saisissaient seulement lorsque j’étais allongé. » Un signe du destin. Le mental qui commande le corps : il faut repartir.
Pique-nique dans le Cirque du Grand Marchet
Km 237 - 50h de course - 10h, le 29 juillet 2018
« Cette fougasse aux lardons et au fromage, j’en garde un souvenir ému ! Je commençais à somnoler en courant, j’étais réellement éreinté. Et c’est pourtant à cet endroit précis que nous avons traversé le Cirque du Grand Marchet, la plus belle partie du parcours, celle qui m’a le plus marqué d’un point de vue technique et esthétique. » Comprenez par là que le panorama est aussi grandiose que la route est sinueuse. « Un couple qui nous accompagnait depuis le bas de l’ascension nous a proposé de pique-niquer une fois au sommet, la Vanoise en toile de fond, le partage en guise de fil conducteur. Là, t’es juste le roi du monde ! » Casser la croûte pour casser la routine. « Dans la descente suivante, je me sentais pousser des ailes, j’étais euphorique. » Surtout que la fin approche.
Le Refuge du Saut
Km 265 - 59h de course - 19h, le 29 juillet 2018
Le Refuge du Saut. Un saut lointain dans le dépassement de soi. Un saut dans les confins des capacités physiques. « C’est assez paradoxal, car c’est à ce moment-là, à une dizaine de kilomètres de l’arrivée, alors que j’envisage enfin la réussite de mon périple, que je connais un vrai passage à vide. Une énorme sensation de lassitude m’envahit. » D’abord dans la montée vers le Col Rouge, où les deux accompagnateurs de Julien doivent assurer ses appuis pour qu’il puisse franchir le chemin rendu impraticable par un glissement de terrain, puis, dans le Mont du Vallon, « que l’on attaque super confiants, convaincus d’avoir presque terminé, jusqu’à ce que l’on tombe sur un panneau qui nous indique 4h30 de marche avant de basculer de l’autre côté. » Les nerfs sont en pelote. « Plus personne ne parle, on est harassé. Physiquement mais surtout mentalement. On a juste envie de terminer. » Courber l’échine certes, mais ne jamais rompre. Surtout pas aussi proche de l’objectif.
Val-Thorens
Arrivée - 66h de course - 2h, le 30 juillet 2018
Perchés sur la crête, les trois compères entrevoient enfin Val-Thorens en contre-bas. Mais plutôt que d’abréger leur supplice, ils décident de prolonger leur plaisir : « Une fois en haut, la solution la plus simple aurait été de descendre par la piste de ski, droit sur la station. J’ai cependant préféré emprunter un chemin que je connais par cœur, certes plus long, mais plus joli. » Une fois encore, la preuve que la motivation n’était pas le chrono mais bien la passion. Au bout de ce chemin, le point de départ qui est désormais une ligne d’arrivée. Il est difficile de mettre des mots sur des sensations jusqu’alors inconnues. : « je suis tellement fatigué que j’ai l’impression de rêver, comme si je perdais la notion du temps, comme si la réalité m’échappait… Mes filles, ma femme et mes amis m’attendent. Je suis pris par des frissons de plaisir, les sanglots ne sont pas loin. Je voudrais tous les remercier en même temps, car la réussite est collective, mais je n’en ai plus la force… je n’arrive plus à penser, je ressens juste. »
Julien a fait de son aventure un film documentaire de 26 min qui sera diffusé pour les 10 ans de Snowleader le 01 octobre (p.85) et sera diffusé ensuite sur des chaînes TV et lors de festivals de film outdoor.
En Chiffres :
Distance : 295 Km
Dénivelé : 20 000 m de dénivelé positif
Durée : 66 heures et 13 min d’effort
Sommets : 40 sommets gravis
Texte : Baptiste Chassagne
Photos : Remi Blomme