Du 29 mars au 15 juin 2024
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Lexique non exhaustif du ‘parler deux roues’ pour tout comprendre des expressions utilisées à la télévision, tous les après-midis de juillet, à l’heure de la sieste, un peu, et du Tour de France, surtout.
METTRE UN SACCOCHE : Non, il ne s’agit pas d’accrocher une besace sous sa selle en vue de laisser libre cours à ses envies d’aventure et velléités de bike-packing, mais bien d’appuyer fortement sur les pédales, quitte à les tordre, afin de dire au revoir à ses compagnons de bambée, ou mieux d’échappée. On n’accroche pas une sacoche, on la met. Comme on pose une attaque. Comme on appose un point final à une sortie jusqu’alors douce et paisible qui verse alors dans l’effort et la sueur.
EN AVOIR SOUS LA PÉDALE : Se dit de quelqu’un qui dissimule sa forme et qui garde au chaud, bien à l’abri des regards indiscrets, sous ses pédales, toute sa force. D’ailleurs, pour en avoir sous la pédale, il faut, en amont, en garder sous la pédale. C’est-à-dire être intelligent dans sa gestion de l’effort et parcimonieux dans l’utilisation de sa jauge d’énergie. En d’autres termes, il est conseillé de compter ses coups de pédale tel un fin stratège afin de pouvoir porter une estocade furtive et imparable au moment opportun.
PÉDALER DANS LA SEMOULE : Rien à voir avec une technique ancestrale pour préparer le couscous de l’autre côté de la Méditerranée, sur les flancs abrupts de l’Atlas. Il est bien question de grain, certes, mais d’un grain de sable qui vient faire dérayer tout votre mécanisme interne. Le coup de pédale du cycliste – harassé, extenué, fatigué – devient alors aussi inefficace que s’il roulait sur un monocycle dans un tajine. Un comble lorsque l’on sait que, bien souvent, si l’on pédale dans la semoule, c’est que l’on est victime d’une hypoglycémie…
FUMER LA PIPE : Pas celle que dessinait Magritte, ni celle que vapotaient Jacques Brel ou Serge Gainsbourg. Plutôt le calumet que vous avez l’outrecuidance de dégainer lorsque vous roulez paisiblement alors que vos camarades tirent la langue. Loin d’être une publicité de promotion pour le tabac, cette expression fait référence à l’insolente impression de facilité que l’on vous souhaite un matin, lors de ces fameuses grandes journées, de rencontrer.
SUCER LA ROUE : Attitude anti-sportive qui pourrait clairement s’ériger comme l’antonyme du fair-play. Elle consiste à rouler abrité par les coureurs qui vous précédent, à l’abri du vent, dans l’aspiration, sans prendre le moindre relais… Le « suceur de roue » est très mal vu dans le peloton, car au-delà d’être peu collaboratif, il a également la réputation d’un opportuniste qui fomente son coup depuis l’arrière et n’hésitera pas à mettre une sacoche (encore) à ceux qui l’emmènent sur leur porte-bagages depuis plusieurs dizaines de kilomètres. Mais bon, à la fin, n’est-ce pas celui qui gagne qui a raison ?
AVOIR LA PANCARTE : Dans le monde du vélo, on peut avoir la pancarte et battre le pavé (celui de Paris-Roubaix notamment) sans rien posséder du manifestant ou de l’esprit soixante-huitard. En effet, ce petit écriteau, de prime abord anodin, peut se révéler extrêmement lourd à porter puisqu’il désigne généralement le grandissime favori d’une course. Il implique que son possesseur sera soumis à une surveillance accrue de la part de ses adversaires, qui essayeront naturellement de le neutraliser. Vous l’avez compris : gagner avec la pancarte, c’est encore plus fort !
UN COUP DE BORDURE : Entre le coup de pédale et la bordure que l’on prend en pleine face, dans l’impossibilité de l’escalader. En bref, lorsque les premiers cyclistes du peloton se suivent, forment un éventail et profitent de conditions venteuses pour appuyer fort sur les pédales, dans l’idée de créer une cassure et dresser un mur entre vous et eux, grâce aux bourrasques. Lorsque vous prenez un coup de bordure, on peut clairement affirmer que vous êtes mis dans le vent, que vous avez pris un courant d’air, que vous vous êtes fait enrhumer, tout ça quoi…
LA GROSSE PLAQUE : Ici, aucune notion de tectonique ou réminiscence de votre cours de géologie, au lycée. Mais bien un séisme pour vos jambes. La grosse plaque désigne le gros plateau. Celui qui comporte le plus de dents, celui qui exige de tordre les pédales, en tournant les jambes à basse fréquence, comme si chaque tour de manivelle s’avançait comme étant le dernier. Pour passer la grosse plaque, il faut mettre tout à droite, or là, on ne vous parle ni d’idéaux politiques, ni d’un bulletin à glisser dans l’urne.
PÉDALER AVEC LES OREILLES : Body-langage extrêmement caractéristique et très expressif du cycliste entrain de souffrir. Celui dont le style est heurté et manque de fluidité. Celui dont les jambes tournent, non plus rond, mais carré. Il se dodeline, la tête passant de droite à gauche, comme s’il appuyait sur les pédales avec tout ce dont le corps l’avait muni à la naissance, dont les oreilles.
ROULER EN CHASSE PATATES : Pied de nez du ‘parler deux roues’, rouler en chasse patates ne présage en rien d’avoir la frite ! Bien au contraire ! Le chasseur de patates balade sa bicyclette entre deux groupes, sans réussir à revenir sur le premier. Il fournit donc un nombre conséquent d’efforts en solitaire qui le mène avec une certaine fatalité vers une issue implacable : le pop-corn, ou l’explosion en vol.
Reportage par Baptiste Chassagne