Publié le 20 septembre 2021
Gary Hunt
Crédit photo : © Alex Voyer

Gary Hunt

Rencontre avec le champion du monde de plongeon
EXTRÊME, SPORTS NAUTIQUES
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Natation, Interview

Gary Hunt est pilote de l’air. Pas de ceux qui portent le treillis ou conduisent des avions de chasse. Non, de ceux qui manœuvrent l’apesanteur comme personne. Huit fois Champion du Monde de haut-vol, le plongeur de 37 ans maitrise sa peur et domine sa discipline. Ou l’inverse. C’est pareil. Si bien qu’il a développé une relation passionnelle qui n’a rien de platonique pour ce sport spectaculaire qu’il pratique comme un art.

L’art du plongeon. Un art pour lequel il se livre corps et âme, quitte à changer de nationalité. Entretien avec un anglais devenu français, un roastbeef ayant muté frog qui n’aime rien d’autre que s’envoyer en l’air.

Théâtre des rêves, Londres et exhibitions

Crédit photo : © Romina Amato

Comment en arrive-t-on à s’élancer d’une plateforme perchée à 27 mètres au-dessus de l’eau, dans les endroits les plus rocambolesques du planisphère ? Est-ce une vocation ou le fruit d’un improbable concours de circonstances ? 

C’est le résultat d’un concours de circonstances, mais plus favorable qu’improbable, au sens où mon parcours suit une certaine logique. Je pratique le plongeon depuis l’enfance et suis habité par une passion pour la discipline depuis l’instant où j’ai fait sa rencontre… 

Crédit photo : © Ricardo Nascimento

Justement, peux-tu nous raconter cette trajectoire qui a mené le petit londonien que tu étais vers les 8 titres de Champion du Monde qui garnissent aujourd’hui ton palmarès ? 

Mon père, fan absolu de natation, souhaitait que l’on pratique ce sport. Sauf que je n’étais que modérément doué et que je passais plus de temps à observer les plongeurs qui s’éclataient dans la piscine d’à-côté qu’à être assidu sur mes longueurs. À 9 ans, j’ai demandé à mes parents de changer de bassin pour pouvoir les rejoindre. Instantanément, ça m’a plu. J’avais au préalable fait un peu de danse et de gymnastique, ce qui m’offrait une certaine aisance dans la gestuelle et la maitrise de mon corps en mouvement. Jusqu’à 20 ans, je me suis lancé à corps perdu dans la compétition, avec pour objectif une qualification olympique sur le plongeon à 10 mètres. 

Quel est l’élément déclencheur qui te fait tripler la hauteur de la plateforme ? Quand et comment passes-tu du plongeon olympique à 10 mètres, en bassin, au plongeon de haut-vol, 27 mètres au-dessus du vide, en nature ? 

À l’été 2006, mon coach reçoit l’appel d’un plongeur italien qui, alerté par ma réputation de voltigeur assez audacieux, me sollicite dans sa recherche d’un acolyte pour des spectacles d’exhibition qu’il réalisait durant toute la saison estivale. J’avais terminé les compétitions et c’était l’occasion rêvée de mettre un pied dans cet univers qui m’attirait déjà énormément. 

La nature t’offre un théâtre de rêve dont tu deviens l’acteur principal 3 secondes durant

Crédit photo : © Dean Treml

Qu’est-ce que tu as trouvé dans le plongeon de haut-vol que tu n’avais pas ailleurs ?

Pendant ces deux mois d’initiation, j’ai goûté à la liberté totale qui te saisit en haut-vol. Tu t’affranchis du cadre rigoureux du plongeon olympique, tu sors de cette routine particulièrement usante « piscine - hôtel - piscine » … Tu laisses un libre-cours total à ton imagination. La créativité et l’audace sont plus qu’encouragées. Ton rôle est clair : innover dans l’air. Moi, dont les plongeons étaient considérés comme « bizarres » en bassin, je trouvais là un magnifique terrain d’expression. L’autre aspect qui m’a séduit, c’est le cadre. Tu plonges dans un décor fantastique, en pleine nature, au contact direct des éléments. La nature t’offre un théâtre de rêve dont tu deviens l’acteur principal 3 secondes durant… 

Coup de matraque, 100 km/h et gestion des émotions

On y arrive ! Les chiffres sont impressionnants et témoignent de la dimension extrême de ce sport : 27 m de hauteur, 3 secondes de vol… Quelle est votre vitesse à l’instant de pénétrer dans l’eau ? 

Entre 90 et 100 km/h… Et l’on passe de 100 à 0 km/h en moins d’une seconde. Clairement, ça secoue ! À cette vitesse, l’eau devient du béton et le moindre degré vertical parasite a l’effet d’un coup de matraque. Même lorsque tu réussis parfaitement ton plongeon, tu sais que ça va être violent. Tu as juste un peu moins mal ! 

À cette vitesse, l’eau devient du béton et le moindre degré vertical parasite a l’effet d’un coup de matraque

Crédit photo : © Dean Treml

Comment prendre du plaisir dans un sport où l’on sait que la douleur à l’impact est inévitable ; lorsque l’on sait que, quoi qu’il arrive, quelques secondes plus tard, on va souffrir ? 

Déjà, on ne monte pas directement à 27 m. C’est l’aboutissement d’un long processus d’apprentissage. On s’habitude d’abord à l’impact sur des hauteurs inférieures et on développe des compétences pour appréhender et digérer l’impact. Ensuite, chaque saut est l’objet d’un vrai dialogue intérieur entre le cerveau, qui déconseille d’y aller, et le corps, qui se prépare à souffrir. Mais en réalité, ce qui nous pousse c’est l’anticipation de ces secondes de bonheur que l’on va connaître une fois dans l’air et ce sentiment incomparable de satisfaction qui va nous envahir lorsque l’on va remonter à la surface de l’eau… 

Le haut-vol est un sport extrême. Le meilleur plongeur est-il celui qui maitrise le mieux sa peur ?

D’autres facteurs comme la dimension créative et les capacités physiques entrent en jeu, mais la gestion des émotions apparait clairement comme l’un des points-clés… (Un temps) C’est marrant car, jeune, je me suis fait la promesse de ne jamais exercer un boulot qui pouvait générer du stress, à contrario de mon père que j’ai vu rongé par l’anxiété d’un poste à responsabilités. Aujourd’hui je réalise qu’en réalité, mon métier, c’est gérer la peur. 

Crédit photo : © Dean Treml

Chaque saut est l’objet d’un dialogue intérieur entre le cerveau, qui déconseille d’y aller, et le corps, qui se prépare à souffrir.

Crédit photo : © Ricardo Nascimento

Pouvez-vous nous confier la manière dont vous gérez cette peur ? À quoi pensez-vous lorsque vous vous retrouvez là-haut sur la plateforme, et que vous jetez un coup d’œil sur le vide sous vos pieds ?  

Chaque plongeur a sa méthode pour gérer la peur. C’est très personnel. Pour ma part, j’ai construit un socle de sérénité grâce à mon expérience sur le circuit.’ J'ai bâti un processus mental qui consiste à mentir à mon corps en quelque sorte. En anglais, il y a un proverbe qui résume bien cette attitude : Fake it until you make it. En gros, fais comme si tu étais convaincu de réussir jusqu’à ce que tu aies effectivement réussi. Jouer ce rôle d’acteur, feindre une grande confiance en moi, cela m’aide à m’élancer. Ensuite, une fois que je suis dans les airs, la peur me quitte instantanément. Je n’ai plus aucune appréhension. Je me concentre à 100% sur les figures que j’ai à réaliser et je prépare ma réception dans l’eau. 

Peut-on considérer que les plongeurs de haut-vol sont si souvent confrontés à la peur qu’ils en deviennent des philosophes ? C’est quoi la peur pour toi ? 

(Sourire) J’aimerais un jour écrire sur ce sujet, car je pense que, dans notre sport, nous déployons une perspective unique à cet égard. Pour moi, la peur c’est la sécurité, ce qui me force à rester extrêmement concentré. Si je n’avais pas peur, j’oserais tout, je prendrais tous les risques. C’est le sentiment qui me rend rationnel et raisonnable. Mais c’est aussi celui qui me pousse à m’entrainer comme un acharné chaque jour. La peur, si elle ne devient pas inhibante, se révèle un formidable vecteur de progression. Elle mute en ce moteur qui te pousse à surmonter les obstacles et explorer tes limites. 

Dis Gary, ça se déroule comment une compétition de Red Bull

« Chaque manche s’étend sur 2 journées consécutives, avec une totalité de 4 plongeons à réaliser. Le premier jour est réservé à 2 plongeons de difficulté raisonnable ou intermédiaire d’un point de vue technique afin de mettre en avant la grâce et la fluidité. Le deuxième jour propose 2 plongeons dits libres. Ces 4 sauts sont notés par 5 juges, de 0 à 10, avec une pondération de chaque marque en fonction du niveau de difficulté. Par souci de partialité, on enlève la note la plus haute ainsi que la plus basse pour calculer la moyenne des 3 restantes. » 

La carte postale du serial-globe plongeur

Crédit photo : © Ricardo Nascimento

Ton spot de plongeon préféré ? 

Le gouffre de Cenote Ik Kil, au Mexique. Une formation rocheuse naturelle de 60 m de large et 39 m de profondeur à laquelle on attribue des pouvoirs sacrés. On a vraiment l’impression de plonger dans un trou, entouré d’arbres exotiques. L’épreuve de La Rochelle fut également magique. Les conditions étaient dures - pluie, vent, froid - mais il y avait 70 000 personnes au sol pour nous encourager.

Le spot le plus singulier ? 

J’ai toujours trouvé que plonger dans les villes était très spectaculaire car on adjoint une dimension culturelle au spectacle. Sauter face au Kremlin de Kazan, au Parlement de Budapest ou au Musée Guggenheim de Bilbao, ça fait quelque chose.

Le Kitzbühel du plongeon :
le spot qui fait le plus peur ?

Le Serpent’s Lair, sur la côte atlantique irlandaise, est très déstabilisant. Les conditions capricieuses, sont typiquement britanniques. On plonge dans cette petite piscine naturelle creusée dans un rocher abrupt et abrasif. La veille de la compétition, les vagues sont généralement énormes… Il faut y être fort mentalement. 

Le spot avec lequel tu as un contentieux ? 

Pendant longtemps, ce fut Mostar en Bosnie-Herzégovine. J’avais du mal à gérer le fait que l’eau soit en mouvement, puisqu’on y plonge dans une rivière avec un fort courant. En 2019, les organisateurs m’ont souligné que je n’avais jamais gagné une compétition s’élançant depuis un pont : ça m’a piqué et j’ai réparé cette erreur ! 

Le plongeon dont tu es le plus fier ? 

Mon dernier plongeon aux Championnats du Monde en Corée du Sud, en 2019. Je n’étais pas en tête au classement. Je savais que je devais atteindre la perfection pour espérer décrocher le titre et j’ai réussi : un 10/10 de moyenne au moment où il le fallait. 

Tarzan, Jeux Olympiques et Brexit

Crédit photo : © Romina Amato

À quoi tu penses lorsque la peur te quitte et que tu te retrouves pendant 3 secondes suspendu dans les airs ? Au quotidien, mon cerveau est ouvert à différents types de pensées qui vont et viennent en toute liberté. En revanche, quand je plonge, je verrouille tout et j’enclenche le mode automatique pour que mon corps et mon esprit fonctionnent en parfaite symbiose. Ceci afin que le premier réagisse instantanément à ce que lui ordonne le second. Une pensée parasite risquerait de mettre de la friture sur la ligne, de créer une microseconde de latence entre les deux, et là, c’est le coup de matraque assuré au moment de pénétrer dans l’eau. Parfois, je vois des choses lors de ces 3 secondes -un paysage, un détail, un oiseau - mais ce n’est qu’après que j’assimile l’information et m’en souviens… 

Quel est ton moment préféré lors d’un plongeon ? 

L’instant où l’on saute - lorsque l’on prend son envol  est exceptionnel. On laisse sa peur et ses doutes derrière soi. On se drape automatiquement de certitudes, comme si une vague de confiance en soi et de liberté déferlait… La seconde que l’on passe sous l’eau, lorsque l’on perd toute notre vitesse pour finalement remonter avec les petites bulles à la surface, vaut elle aussi le détour. On est alors saisi d’un soulagement et d’une satisfaction proportionnels au stress ressenti… 

Est-ce cette sensation que tu ne retrouves nulle part ailleurs qui te permet de conserver une motivation intacte, à 37 ans, alors que tu as déjà tout gagné ? 

Ma motivation principale, c’est d’inventer de nouvelles choses, tenter des mouvements que jamais personne n’a réussi. Le plongeon, c’est mon art : l’endroit où je peux créer et m’exprimer ! Étant parmi les leaders de ma discipline, j’estime qu’il en va de mon devoir d’innover et de tirer mon sport vers le haut. (Un temps de réflexion) La perspective olympique constitue également un puissant leitmotiv. J’espérais que le haut-vol intègre les JO. Ce ne sera malheureusement pas le cas. Par conséquent, j’ai décidé de revenir à mon premier amour et tenter ma chance à 10 m. Le fait que les JO se tiennent à Paris en 2024 décuple ma détermination comme jamais. Ce fut un argument qui a pesé lourd dans mon choix d’opter pour la nationalité française. 

Aujourd’hui je me rends compte, qu’en réalité, mon métier, c’est gérer la peur

Crédit photo : © Romina Amato

C’était l’objet de notre dernière question : pourquoi as-tu décidé d’opter pour la nationalité française plutôt que britannique en 2019 ? 

Ce choix se situe au confluent d’une pluralité de raisons. Tout d’abord, ma femme - que j’ai rencontré dans un parc aquatique où l’on réalisait des exhibitions, elle dans le rôle de Jane et moi dans celui de Tarzan - est française. Je suis donc venu m’installer en région parisienne, où je vis et m’entraîne, à la piscine de Montreuil, il y a plus d’une décennie. Ensuite, j’appréhendais de plus en plus mal le fait de ne pouvoir partager les victoires comme les défaites avec mes partenaires d’entrainement dont je suis devenu très proche. Ne pas concourir pour le même maillot a créé un décalage que j’avais du mal à assimiler. Le Brexit et la complexité d’obtenir des visas sont venus s’ajouter à cela. Enfin, la possibilité de pouvoir concourir à la maison, sous bannière tricolore, aux JO de Paris 2024, a fini de me convaincre. 

De Baptiste Chassagne

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