Publié le 12 juillet 2022
Rencontre avec Audrey Cordon-Ragot

Rencontre avec Audrey Cordon-Ragot

Rencontre avec l’une des leaders du peloton, au départ du premier Tour de France féminin
VTT CYCLISME
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Interview

Le Tour de France cycliste masculin est plus que centenaire. Le Tour de France cycliste féminin balbutie. Six éditions, entre 1984 et 1989 et puis des ersatz, ensuite, éditions souvent disputées dans l’anonymat : La Grande Boucle féminine internationale (entre 1992 et 2009) puis la Route de France féminine (entre 2006 et 2016). Le « vrai » Tour de France féminin, c’est pour cette année : départ le jour où les hommes arrivent sur les Champs Elysées, comme un passage de témoin, le 24 juillet ; éclatante arrivée prévue une semaine plus tard, le 31 juillet prochain, au sommet de la Super Planche des Belles Filles. Audrey Cordon-Ragot en sera.

La Bretonne de 32 ans, quintuple championne de France du contre-la-montre (et une fois en ligne, en 2020) a traversé les époques du vélo féminin. Elle raconte comment d’une passion, depuis ses débuts à l’aube des années 2000, il est devenu un vrai métier, ces dernières années, à son plus grand bonheur.

Un rêve d’enfant

Crédit photo : DR

Que représente le Tour de France, pour vous ?

Je suis issue d’une famille cycliste. Je baigne dans le vélo depuis que je suis née. Le Tour de France est la plus belle course à étapes du monde. J’accompagnais mes grands-parents sur le bord des routes même si, enfant, vous êtes plus intéressé par la caravane que par la course. Le Tour, c’est un rêve de gamine.

Vous aviez imaginé pouvoir le disputer au cours de votre carrière ?

Pas du tout ! Il y a dix ans, la Route de France faisait office de Tour. Mais ce n’était ni la même médiatisation, ni le même esprit.

Nous vivons les premisses d'un nouvel âge d’or du cyclisme feminin

Connaissez-vous les pionnières du vélo féminin, telles Alfonsina Strada ou Beryl Burton ?

Non, elles ne me parlent pas tant que cela. J’ai en revanche l’occasion d’échanger presque quotidiennement avec Marion Clignet et Elisabeth Chevanne-Brachet, qui ont vécu la fin de l’âge d’or cyclisme féminin. Depuis leur fin de carrière, le cyclisme féminin est dans l’abysse. Je suis persuadée que nous vivons, aujourd'hui, les prémisses d'un nouvel âge d'or. 

De la précarité au professionnalisme

Crédit photo : DR

Votre carrière se situe au carrefour des époques ?

Tout à fait. J’ai débuté par l’école de vélo, en 2000. Puis j’ai commencé à côtoyer le haut niveau en 2008, au moment de rentrer dans l’équipe Vienne Futuroscope, aujourd’hui FDJ-Nouvelle-Aquitaine-Futuroscope. J’ai connu la précarité totale, voire l’amateurisme, et aujourd’hui le début du professionnalisme. Je pense être une porte-parole légitime du cyclisme féminin. Les stages d’entraînement ont beaucoup évolué, par exemple. Les destinations ont varié. Chez Vienne Futuroscope, c’était plutôt Poitiers (sourire). Puis chez Hitec, ma première équipe étrangère (en 2014), s’entraîner à Benidorm en janvier était plus sympa. Nous n’avons pas de stages d’équipes pré-Giro ou pré-Tour, comme chez les garçons, mais il y a plus de stages personnels sur une saison, par rapport aux années précédentes.

Quelles sont, selon vous, les étapes qui ont jalonné le retour au premier plan du vélo féminin ?

La création de « La Course by le Tour », en 2014, a été le premier pas. Un long processus a suivi : nous avons dû prouver, par A plus B, que l’on était capables de montrer un spectacle international. Puis la création du World Tour féminin, en 2016, a marqué le début de la professionnalisation. Enfin, le premier Paris-Roubaix de l’histoire, en 2021, a permis l’ouverture vers le grand public, qui ne connaissait pas le cyclisme féminin.

On ne donne pas la capacite à toutes de se consacrer au haut-niveau

Comment votre propre carrière s’est-elle inscrite dans cette évolution ?

Je ne vivais pas de mon sport jusqu’à mon premier contrat pro, signé avec Trek, en 2019. Les années précédentes, j’avais eu la chance de rencontrer les bonnes personnes qui m’avaient aidée à mener ma carrière cycliste en parallèle d’une carrière professionnelle. Mais je restais dans la précarité : j’étais agent sportif dans la communauté de commune de Loudéac (je faisais du vélo avec différents publics). Ma liberté n’était pas totale.

Avez-vous pensé, durant votre carrière, à arrêter le vélo en raison de cette précarité ?

La question s’est posée une fois, en 2010-2011. J’ai eu la possibilité d’être embauchée par l’entreprise dans laquelle j’avais fait mon alternance. J’aurais pu tout de suite très bien gagner ma vie dans cette agence immobilière. J’ai refusé. J’ai choisi le vélo, pour zéro euro, mais avec l’espoir que ça se décante pour en faire mon métier.

Crédit photo : Ross Bell Photo

Regrettez-vous le fait de ne pas avoir pu être professionnelle plus jeune ?

Si j’avais eu toutes les chances pour performer, que serais-je devenue ? Je me pose évidemment la question, mais je n’ai, honnêtement, aucun regret. Les jeunes ont très vite la pression, aujourd’hui : on leur demande d’être une adulte avant d’être une adulte. J’ai eu la chance de prendre mon temps, et ce temps est très précieux. J’ai aussi eu une vie de jeune fille à peu près normale, ce que les jeunes cyclistes n’auront plus la chance de vivre, ou plus tard.

J’essaie de canaliser un peu les jeunes filles de l’équipe (Trek). De leur dire : « tu as le temps, prends-le et n’en fais pas trop ». Je dis la même chose à certains garçons avec qui je roule. Ils passent pro très rapidement, ils ont tendance à se brûler les ailes. J’essaie de leur donner des conseils constructifs à travers mon expérience et de les guider vers les meilleurs choix (en sachant qu’il n’y a pas de choix parfait).

Passer professionnelle vous a-t-il permis de progresser plus vite ?

J’ai toujours « accompagné » la progression du peloton féminin. Mais le niveau est tel aujourd’hui qu’il me serait impossible de m’entraîner et de travailler comme je l’ai fait jusqu’en 2018. Les filles qui gagnaient des courses avaient avant beaucoup d’expérience. Cela change, aujourd’hui : de très jeunes gagnent, un peu comme dans le vélo masculin. Les vitesses moyennes sont faramineuses ; certaines filles grimpent aussi bien voire mieux que certains professionnels masculins, d’autres filles font un kilométrage annuel supérieur à celui de certains pros hommes. Le niveau est hyper élevé. Mais je n’ai pas envie pour autant d’arrêter. Je me « challenge » facilement : cela me donne envie de pousser un peu plus. On ne connaît pas ses propres limites. Il y a cependant encore trop de différences entre certaines filles : on ne donne pas la capacité à toutes de se consacrer au haut niveau.

Les vitesses moyennes sont faramineuses ; certaines filles grimpent aussi bien voire mieux  que certains professionnels masculins.

Crédit photo : DR

Leader, dans la vie et sur le vélo

Crédit photo : DR

Que peut-on vous souhaiter, sur le Tour ?

Prendre le départ à Paris avec le maillot tricolore sur les épaules et gagner une étape, ce serait le rêve, et un aboutissement.

Pensez-vous à votre après-carrière ?

Oui, bien sûr. Rester dans le vélo est une vraie volonté. A quel titre ? Je ne sais pas encore. Je m’éclate au micro sur Eurosport. Je souhaite aussi construire une vie de famille équilibrée.

Qu’avez-vous appris au cours de votre carrière ?

L’humilité, qui est la première qualité qu’un sportif devrait avoir. J’ai appris à souffrir, l’importance du travail, la solidarité, à prendre sur moi et à me remettre en question. J'ai aussi appris à perdre, ce qui n'est pas toujours facile. C'est l'école de la vie, encore plus le vélo qui est un sport difficile. 

 

Interview Quentin Guillon 

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