Mi-avril, sur le port de Concarneau, en Bretagne. Il était moins une pour la joindre… Justine Mettraux s’apprête en effet à mettre les voiles pour la fameuse Transat AG2R La Mondiale.
L’objectif ? Rejoindre en seulement deux petites semaines les rivages de Saint-Barthélémy, le célèbre paradis caribéen, sur un bateau dont elle partagera la barre avec Isabelle Joschke, au sein du seul équipage féminin de la course. Avant de larguer les amarres, la Suissesse d’origine mais bretonne d’adoption, considérée à 32 ans comme l’une des navigatrices les plus talentueuses du circuit, prend tout de même le temps de nous offrir une traversée sans escale de son sport.
Peux-tu nous raconter ton parcours ? Ta rencontre avec la voile et le haut niveau ?
La voile, c’est une histoire de famille. Je suis genevoise, donc dès toute petite, mon père, féru de bateau, m’a emmené naviguer sur le Lac Léman. Pour le plaisir d’abord. Puis, à l’adolescence, je suis entré au CER (Centre d’Entrainement à la Régate) et c’est là que j’ai véritablement débuté la compétition. J’y ai pris goût, les résultats ont suivi, et à partir de 2013, suite à la rencontre avec mon sponsor, TeamWork, j’ai pu donner un virage professionnel à ma carrière. Je suis diplômée de la Haute Ecole Pédagogique de Lausanne, les remplacements me permettaient de boucler mes budgets, mais depuis sept ans, je peux me consacrer pleinement à la pratique de mon sport, en vivre, et c’est absolument génial.
C’est la raison pour laquelle tu as quitté la Suisse pour la Bretagne ?
C’est effectivement la volonté d’atteindre le plus haut niveau possible qui a dicté mon choix de m’installer ici, à Lorient. C’était indispensable pour naviguer au large, en mer, et ainsi passer un cap. J’y ai trouvé un entraineur et des conditions d’entrainement qui te poussent à la performance. Il y a aussi la culture maritime bretonne, une émulation que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. Ici, les gens pratiquent, ils savent de quoi ils parlent, ils te soutiennent et t’encouragent dans tes projets. Pour résumer, quand on est jeune, passionnée de voile et que l’on débarque ici, c’est comme ouvrir les portes du paradis.
J'aime naviguer pour le plaisir, sans penser au chrono. C'est plus confortable et reposant.
Qu’est ce qui fait pour toi la beauté de la voile ?
C’est un tout. J’aime tout autant l’adrénaline de la compétition que les émotions que te procure la beauté des paysages au large. J’adore cet aspect de la course qui te pousse à aller le plus vite possible, à être extrêmement exigeant avec toi-même, mais ça n’aurait pas la même saveur si je n’étais pas au contact de la nature et de ses éléments, parfois hostiles d’ailleurs. Un autre point important c’est la dimension perfectible du navigateur. Tu n’as jamais fini de t’instruire et de progresser. Le bateau est une machine très complexe sur laquelle les ajustements sont infinis. Tu peux aussi varier les supports, les tailles de bateau, et surtout les coéquipiers. Lors de la Transat AG2R, je sais que je vais beaucoup apprendre d’Isabelle, de son sens de la mer, de sa gestion de la nutrition et de l’alimentation…
Quelles sont les différences entre une pratique libre de la voile et une autre, en compétition ?
Pour moi, la voile ce n’est pas qu’un sport, c’est avant tout une passion. J’aime naviguer pour le plaisir, sans penser au chrono. C’est plus confortable et reposant. On peut prendre le temps de contempler et de profiter pleinement des paysages privilégiés auxquels nous avons accès. Mais cette quête de la trajectoire parfaite que tu retrouves en course, cette lecture du vent, ce jeu constant avec les éléments… c’est grisant, c’est une sensation exceptionnelle. En fait, les deux sont complémentaires pour nourrir une passion : une pratique hédoniste et une approche plus « compétitrice ». Et parfois, les deux s’entremêlent. Comme cette fois où j’ai rejoint un ami en Argentine pour l’aider à descendre son petit bateau sans moteur jusqu’à Port Williams, à l’extrême Sud de la Patagonie. C’était beau mais surtout super engagé.
Quelles sont les qualités qui font un bon navigateur ?
En course au large, le bon navigateur est surtout endurant. C’est-à-dire qu’il arrive à maintenir un haut niveau de concentration sur le long terme. Il faut également qu’il soit dur au mal, résilient, car en mer, il y aura nécessairement des moments difficiles. Notamment les débuts de course qui sont généralement compliqués puisqu’il s’agit de quitter les eaux agitées de Bretagne pour d’autres plus calmes. Dans ces conditions, tu dois savoir faire le dos rond. Enfin, le bon navigateur doit parfaitement se connaitre lui et son bateau. Et c’est pour cela que la voile requiert beaucoup de préparation en amont.
Justement, en quoi consiste cette préparation ? Peux-tu nous décrire ton quotidien ?
Lorsque je ne suis pas en compétition, je passe trois jours par semaine sur l’eau, à naviguer, à effectuer des manœuvres, pour essayer d’acquérir une connaissance parfaite de mon bateau. En ce qui concerne son entretien et ses réglages nous sommes d’ailleurs accompagnés. Les autres jours sont réservées à la logistique, à l’administratif et à l’entrainement purement physique : la course à pied, la natation, le vélo, le yoga… J’ai une pratique très variée, à raison de deux ou trois fois par semaine.
La gestion du sommeil et de l’alimentation sont également des facteurs-clés de performance ?
Clairement, c’est un point majeur. Nous avons des formations à ce sujet, mais rien ne vaut le terrain. Cette gestion vient avec l’expérience. Concrètement, concernant le sommeil, il s’agit de définir des cycles avant la course. Par exemple, pour la Transat AG2R, censée durer 22 jours, nous avons planifié des siestes de 30 minutes toutes les 4 ou 6 heures dans un premier temps, puis des repos d’1h30 ensuite, une fois que l’on aura pris notre rythme de croisière. Pour l’alimentation, on tâche de respecter les 3 repas par jour et leurs horaires, tout en compensant la débauche d’énergie et le manque de sommeil par des collations.
Quels sont tes points forts sur l’eau ?
C’est une question à laquelle il est difficile de répondre soi-même. Les nombreuses coéquipières avec qui j’ai navigué seraient mieux placées… (On relance) Peut-être que j’ai un bon feeling sur le bateau. Je sais aller vite quand les conditions le permettent et cela passe par de bons réglages de voile et un certain toucher de barre.
La voile est un sport mixte, chose assez rare au haut niveau. Comment appréhendes-tu cela ?
C’est un sport assez masculin, c’est indéniable. Il y a plus de navigateurs que de navigatrices. Mais aujourd’hui, je ressens un véritable mouvement de fond pour amener les femmes au plus haut niveau. Cela prend du temps, mais les choses bougent. En témoigne la Volvo Ocean Race, le tour du monde en équipage avec escales, où il est désormais obligatoire d’avoir des équipes mixtes… Indépendamment de la question du genre, tout le monde a envie et doit faire ses preuves. En réalité, mon engagement porterait plutôt sur l’écologie et le respect de la nature. Quand on passe beaucoup de temps sur l’eau, on se rend réellement compte de l’impact de l’homme sur l’environnement. Désormais, il est très (très) rare que je fasse une sortie au large des côtes bretonnes sans voir des déchets voguer et constater la pollution de manière palpable… On fait un super sport et si on peut en faire un moyen pour défendre une cause et valoriser des projets, c’est génial.
PALMARES
2017 : 4ème de la Transat Jacques Vabre en Class 40 / 7ème de la Solitaire Urgo – Le Figaro
2015 : 6ème de la Volvo Ocean Race
avec le Team SCA
2013 : 2ème de la Mini-Transat