Publié le 15 décembre 2023
Juliette Willmann, interview intime de la jeune freerideuse
Crédit photo : © Clustr Films
Interview

Juliette Willmann, interview intime de la jeune freerideuse

De la neige à la montagne
SPORTS D'HIVER, IMAGES
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Ski, Interview, Freeride

Originaire des Alpes de Haute-Provence et fille de moniteurs de ski, Juliette Willmann a grandi skis aux pieds. Du ski-club au circuit FIS, de l’alpin au freeride, des compétitions au vertige de la haute montagne, sa passion du ski a changé de visage au fil des années, mais sans jamais faiblir. Son dernier film Rise aborde cette notion de transition d’une pratique à une autre, de la compétition et la haute altitude, de la neige et la montagne… Là-haut, aucune certitude, l’apprentissage guide chaque pas et le dépassement de soi se manifeste aussi dans le renoncement.

Crédit photo : © Clustr Films

Commençons par une plongée dans le passé… Quel est ton premier souvenir de ski ? Où et comment tout a commencé ?

J’ai grandi à Barcelonnette. Je viens d’une famille de skieurs, j’ai commencé à skier apparemment très jeune, vers deux ans peut-être. Mais mes premiers souvenirs de ski, ceux qui me restent en mémoire, c’est au club de ski à Praloup. Ce sont ces premières journées avec les copains ! Ces journées à jouer dans la poudreuse des bords de piste, à faire la course, à tomber, tomber très souvent, et se relever toujours avec le sourire !

S'en sont suivies des années au ski-club, puis en ski-études jusqu’au circuit FIS et des premiers résultats, et pourtant, tu décides d'arrêter la compétition, pourquoi ?

La raison était d’abord financière. Je me suis rendu compte que cela coûtait beaucoup d'argent à mes parents qui n'étaient pas très aisés. Cette situation n'était pas en accord avec la personne que je voulais être. Je voulais me réaliser par moi-même et je refusais que mes parents fassent des sacrifices. J’étais déjà monitrice à l’époque ; cet argent, je pouvais le gagner en faisant du ski pour faire du ski ! J’ai continué à faire quelques compétitions en alpin en parallèle des cours à l’ESF. Mais cette même année… Un ami m’a proposé d’ouvrir une compétition de freeride au Sauze… Et comme une enfant qui découvre un nouveau métier, je me suis dit : « je veux faire comme eux, je veux devenir freerideuse professionnelle. » J’ai commencé les Qualifiers dès l’année suivante !

Quelles étaient les nouvelles sensations sur les skis ? Quelles étaient tes nouvelles motivations ?

Après toutes ces années en alpin, ne plus avoir de barrières, ne plus avoir de portes à passer, pouvoir choisir ma ligne et skier sans le poids du chrono, c’était libérateur… Je me rappelle être à Sainte-Foy-Tarentaise, la neige n’était pas très bonne, mais j’avais un objectif : sauter une cascade de glace au milieu de la face. Je me souviens de ce sentiment unique après ce saut, au moment où les skis replaquent sur la neige… Ce n'était pas seulement la satisfaction d’avoir réussi techniquement, mais celle d’avoir réussi à faire ce que je voulais faire ! J’aimais ce sentiment de liberté et d’accomplissement qu’offre le freeride. Et au-delà du ski, ce qui m’a plus dès le début, c’était aussi la « vibe » avec les copains ; voyager avec eux et partager toutes ces émotions. Ça n’avait rien à voir avec l’ambiance de l’alpin.

Ce n'était pas juste la satisfaction d’avoir réussi techniquement, mais celle d’avoir réussi à faire ce que je voulais faire !

Et de là, tout est allé très vite, tu remportes le Qualifier en 2018 et décroches ta place sur le Freeride World Tour l’hiver suivant, après seulement deux années de freeride, comment as-tu vécu ce passage dans l’élite de la discipline ?

C’était hyper rapide ! Je me suis retrouvée au milieu de mes idoles. J’ai mis un pas dans le monde des grands presque trop rapidement, peut-être… Tout était encore nouveau pour moi. Ce premier hiver sur le World Tour a été difficile. J’avais l’impression de ne pas être à ma place, je me mettais beaucoup de pression, et résultat… Je me suis blessée très rapidement. J’ai pu revenir l’hiver suivant grâce à une wild card. Je me suis reblessée… Il aura fallu attendre ma troisième saison sur le FWT pour les premiers résultats et podiums, mais sans grande satisfaction : l’envie d’autre chose me rattrapait…

Tu saurais expliquer pourquoi tu n’avais plus envie de courir sur le circuit freeride ?

Ça faisait 6 ans que je faisais partie de ce milieu, j’avais perdu ce sentiment de liberté que j’avais au début avec le freeride. Peut-être parce que je ne suis pas assez compétitrice pour aller chercher la performance, surpasser les autres et me surpasser moi-même pour aller chercher la victoire. Je n’avais plus envie d’aller toujours aux mêmes endroits, sur les mêmes faces et être jugée sur mon ski. Je n’arrivais plus à me faire plaisir sur les skis. Je me suis aussi épanouie sur un autre terrain : le VTT. J’ai trouvé un équilibre entre des étés sur le vélo et des hivers sur les skis. Je pense que le fait d’être stable dans ma vie a fait que j’avais moins envie de me surpasser ! J’avais moins besoin de prouver les choses. C’était une décision très facile à prendre.

Qu’est-ce que tu garderas de ces années sur le FWT ?

Humainement, ça m’a apporté une famille. Ça m’a fait rencontrer des personnes incroyables. Ça m’a ouvert des portes, ça m’a permis de voyager et de découvrir d’autres cultures, d’autres paysages… Sportivement, ça m’a fait progresser, j’ai essayé d’être la meilleure, je me suis entraînée et j’ai skié pour ça. Et ça m’a permis d’apercevoir une nouvelle image de la montagne, au-delà des piquets et entre les lignes.

pouvoir skier sans le poids du chrono,
c'était libérateur...

Après l’alpin, après le freeride, aujourd’hui tu t’attaques à de nouveaux horizons en allant chercher de nouveaux sommets, plus hauts, plus sauvages, en haute montagne, quelles sont les nouvelles sensations et aspirations qui s’invitent à ce nouveau décor ?

C’est une toute nouvelle vision et une nouvelle approche des montagnes. C’est toujours ce même milieu qui me fait rêver depuis toujours et dans lequel j’ai eu la chance d’évoluer, mais je suis en haut maintenant. Je regarde la vie et le monde depuis là-haut ! Je regarde ces sommets et aiguilles d’en bas depuis des années, l’hiver dernier, pour la première fois, j’étais là-haut et je regardais vers le bas ; au-dessus de moi, il n’y avait que le ciel. C'est ce qui m’a marqué dans ce monde des hauteurs. J’ai retrouvé aussi ce sentiment de liberté ; c’étaient mes choix, d’aller faire telle ou telle face avec telle ou telle personne. J’ai eu peur, j’ai été stressée, j’ai eu les jambes coupées, je me suis demandé plein de fois pourquoi j’étais là, j’ai découvert des facettes cachées de la montagne, j’ai redécouvert une partie de moi. J’ai compris que c'était ce que je voulais faire : vivre la montagne pleinement de A à Z. Quand je suis allée à la Verte l’hiver dernier, en rentrant chez moi le soir, j’étais comblée, pas seulement parce que j’avais pu faire ma ligne, j’étais comblée de cette journée et de la réussite de toute l’organisation mise en place. Ce sont ces aspirations qu’apportent la haute montagne : un projet plus qu’un objectif.

Dans ton film "Rise", tu dis avoir connu la neige, puis la montagne, un décor somptueux et hostile à la fois, où rien n’est jamais acquis. Comment, après des années à haut niveau, arrive-t-on à apprendre à réapprendre ?

C’est assez agréable, ça remet les pieds sur terre ! En montagne, on est tellement vulnérable. Tu as beau tout prévoir, il peut toujours se passer quelque chose que tu n’avais pas prévu. Il faut savoir s’écouter. On n'a rien à prouver. La peur ne doit pas être dépassée, elle te maintient en vie. Là-haut, si tu n’as pas peur, c’est qu’il y a un problème. J’avais une base de connaissances mais pas suffisante. Je sais que j’ai encore énormément de choses à apprendre, mais ça remet aussi des objectifs. Quand tu n'as pas de compétitions, tu n’as plus d’échéance, ces nouvelles aspirations de hauteur obligent à se perfectionner ; se perfectionner avec une corde, se perfectionner sur une arête, sur un glacier, en virage sauté… C’est une nouvelle forme d’objectifs concrets pour un projet plus vaste. 

Comment on arrive à trouver ce juste équilibre entre l’engagement, la technique et l’écoute de soi ? Et comment intégrer aussi parfois le renoncement et le demi-tour ?

Avant, quand les compétitions étaient annulées à cause des conditions, c’était toujours très frustrant. On ne comprenait pas toujours ces décisions, on se disait que ça aurait pu passer. On avait tellement l’habitude que la montagne soit aseptisée, on ne se rendait plus compte des dangers. En haute montagne, quand toutes les conditions ne sont pas réunies, ne pas faire demi-tour, c’est un appel à la mort. Tu n’as pas le choix de dire non. Vivian Bruchez m’a dit un jour : « sur un hiver en haute montagne, il y a 40% du temps où tu fais demi-tour. » Il faut l’accepter, réussir à s’écouter et oublier l’esprit sportif qui veut aller toujours un peu plus loin. Il faut écouter tous les signes. S’il y a le moindre doute, il faut prendre le temps de se poser les bonnes questions avant de continuer ou non.

La peur ne doit pas être dépassée, elle te maintient en vie

J’entends qu’il y a des objectifs d’apprentissage, mais est-ce qu’il y a aussi peut-être des sommets ou des faces qui te font rêver et motivent cette évolution dans la pratique ?

J’en avais avant de commencer le projet et le tournage du film. L’hiver dernier m’a bien montré qu’en montagne, il faut avant tout s’adapter. S’adapter aux conditions, s’adapter aux disponibilités des uns et des autres, s'adapter à sa corps et à sa forme… Du coup, aujourd’hui, je me mets moins de barrières « objectifs » avec des faces à proprement parler, mais je veux pouvoir saisir la chance de pouvoir y aller si l’occasion se présente. Cette phase d’apprentissage, c’est aussi pour me permettre de me créer une marge et d’aller sur des sommets un peu plus éloignés et découvrir le monde avec mes skis. Je reste avant tout une skieuse. J’ai envie d’aller chercher des faces dans lesquelles je peux m’exprimer. Je ne veux pas faire que des virages sautés dans des pentes à 60° ! J’ai d’ailleurs aussi mes limites dans ce domaine ! On le voit bien dans le film ! À la Verte, dans le couloir Couturier, j’étais à la limite. Je ne pouvais pas aller beaucoup plus haut. Ça m’a demandé beaucoup d’énergie mentale. C’est là où le partage entre aussi en jeu dans cette aventure, là où la cordée fait son effet, là où on avance avec l’autre…

En parlant de "Rise", tu l’as dit, en montagne tout est une question d’adaptation, comment organise-t-on un tournage en haute montagne ?

Je n’avais pas une idée précise de scénario. Je voulais surtout montrer à travers ce film cette transition entre la compétition et un ski plus polyvalent. Ce passage entre la neige et la montagne. J’ai alors rencontré l’équipe de la boîte de production Clustr Films ; mon idée et leur idée ont matché. On a commencé à imaginer le scénario et les lignes ensemble. On a tourné les premières images en décembre avant un arrêt de presque 3 mois dans l’attente de bonnes conditions. Il a fallu aussi trouver l’équilibre entre le tournage et l’évolution en montagne, les images n’étaient pas toujours la priorité. Par exemple, pour ma première descente sur le couloir Whymper, j’ai préféré partir sans l’équipe de prod. Je n’avais pas la place dans ma tête pour penser à la caméra. 

Sans parler de l’engagement qui évidemment ne doit dépendre que de ta propre décision, tu skies différemment devant une caméra ?

Forcément, il y a une pression supplémentaire. On a envie de montrer du beau ski. En freeride, ce n’est pas comme dans un snowpark où l’on peut refaire le trick autant de fois que nécessaire. Là c’est un one-shot, c’est ultra stressant ! Quand tu arrives en haut d’une face vierge avec une super neige, tu te dis, il ne faut vraiment pas que je tombe ! J’ai senti une bienveillance de la part de toute l’équipe de prod qui m’a mis aussi en confiance, ils respectaient mes choix et ont su montrer qui j’étais sur les skis et dans la vie. 

En faisant le choix de laisser apparaître à l’écran aussi des moments de peurs, quel message avais-tu envie de transmettre ? 

Je voulais que les personnes qui viennent voir mon film, que ce soit, un banquier, une petite fille, une maman ou mes parents, je voulais les faire rêver à travers le projet. Je voulais montrer que quand on a des objectifs, si on met les choses en place, on peut y arriver !  Il y a des étapes à ne pas louper et aussi des moments de doutes et de peurs. Ça s’est passé comme ça, j’ai eu peur et en montagne, on ne peut pas se cacher. On aurait pu faire le choix de ne pas garder ces passages au montage, mais ça n’aurait pas montré la réalité. Mais c’est sûr que ça fait bizarre d’être dans une salle de cinéma et de se voir pleurer devant des inconnus !

Accepter, réussir à s’écouter et oublier l’esprit sportif qui veut toujours aller un peu plus loin

Le film a été projeté en avant-première au High Five avant d’enchaîner les festivals et est notamment à l’affiche de la tournée Montagne en Scène. Qu’est-ce que ça fait de se voir sur grand écran devant des milliers de personnes ?

Je pense que je vais avoir très peur au Grand Rex ! Mais à chaque fois que je me replonge dans les images, je me replonge dans cet hiver-là. Je suis fière du résultat. Je suis fière de ce que j’ai accompli, fière de l’équipe et fière du film. J’espère qu’il plaira et transportera le public avec moi dans cet univers ! 

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