Publié le 15 décembre 2018
François Gabart

François Gabart

Petit prince des océans
SPORTS NAUTIQUES
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Voile, Interview

Le 12 novembre dernier, François Gabart, le prodige de la voile, celui qui n’avait jusqu’alors incorporé ni l’échec, ni la défaite à son champ lexical, s’est incliné. Le Petit Prince des Océans a terminé 2ème de la 10ème édition de la Route du Rhum derrière Francis Joyon. Pour seulement 8 minutes et 7 secondes. Une poussière de temps après plus de 5 000 kilomètres et 7 jours de course sur les eaux agitées séparant les Sables d’Olonne de la Guadeloupe. Entretien au large avec celui qui vient d’expérimenter la glorieuse incertitude du sport. Et qui en est ressorti grandi. François Gabart est une icône. À 35 ans, il est déjà de ces légendes vivantes qui avancent avec la certitude de laisser une trace indélébile dans l’histoire de leur sport. Il est ce navigateur talentueux et impétueux qui galvanise la passion de chaque matelot, le marsouin qui force l’admiration de chaque loup de mer, qu’il soit expérimenté ou en devenir. Or, la seule chose qui peut faire grandir, c’est d’être rappelé, l’espace d’un instant, à son humanité. Avec élégance et humilité. Car rien n’est plus inspirant que de voir un héros réintégrer un temps le commun des mortels, pour mieux s’en extirper à nouveau ensuite. Connaître la défaite pour mieux retrouver, bientôt, le goût délicieux de la victoire.

L’analyse de la course, à froid et avec du recul, après 2 semaines de vacances, est-elle la même que celle que vous faites à chaud, le 12 novembre dernier, en descendant du bateau après avoir franchi la ligne d’arrivée ?
Oui, l’analyse est quasiment la même. Rien n’a changé. Au sortir du bateau, j’étais satisfait et fier de ce que j’avais accompli seul mais également collectivement, avec mon équipe. Après, cette joie est forcément atténuée par la déception qui accompagne un résultat que je considère comme mitigé. Au final, aux vues des conditions dans lequels il est obtenu, on peut juger que le résultat est bon, mais ce serait mentir que de dire que j’étais venu chercher une deuxième place.

Avez-vous des regrets quant au déroulement de la course ?
Absolument aucun. J’ai donné le maximum, que ce soit en amont de la course, que dans ma préparation et celle du bateau, ou pendant. En plus de cela, j’ai une profonde admiration pour ce que Francis a réalisé. C’est un beau vainqueur, devant lequel je suis obligé de m’incliner.

Avez-vous pris du plaisir pendant cette Route du Rhum, et ce malgré des conditions particulièrement compliquées ?
Oui, mais c’est un plaisir qui a évolué au fur et à mesure de la course. D’abord un plaisir purement hédoniste, lié à des sensations de glisse incroyables, pendant les 6 premières heures, du départ jusqu’à Ouessant et la pointe de Pern. Cette impression de vitesse (il se remémore, nostalgique)… c’était fabuleux ! Après, les conditions de navigation se sont dégradées et j’ai cherché du plaisir dans le challenge, dans le défi sportif, dans le fait de repousser ses limites, de sortir de sa zone de confort et d’aller au-delà des difficultés. La frontière entre plaisir et souffrance est alors très fine. Avoir courbé l’échine sans rompre, c’est ce qui me rend fier aujourd’hui et me permet de garder la tête haute lorsque j’analyse ma performance.
Est-ce frustrant de s’incliner du fait d’un incident technique ? Y-a-t-il un sentiment d’injustice ou vous vous considérez comme totalement responsable car vous n’avez pas été assez lucide pour éviter la casse matérielle ?  
J’assume pleinement ma responsabilité dans cette casse matérielle (du tac au tac) ! J’ai joué et j’ai perdu. La voile est un sport mécanique qui comporte nécessairement une part d’aléas d’un point de vue technique. On se situe toujours à la limite, or en naviguant ainsi à la limite, il y a forcément un moment où tu la franchis… Avec mon équipe, nous avons fait des choix forts dans la construction du bateau, nous avons pris des risques pour tenter d’aller encore plus vite… Et avec le recul, a posteriori, je me dis que nous sommes peut-être allés trop loin.

 

Je suis déçu du résultat mais pas du déroulement, car j’ai vécu quelque chose de super fort d’un point de vue sportif.

 

Vous avez mené la course avec un foil tribord et un safran bâbord cassés pendant 5 000 km avant de vous faire dépasser dans les ultimes hectomètres. Racontez-nous ces derniers instants. Que ressent-on ?
Lorsque Francis me dépasse, ma première réaction est de me dire : « Rien n’est fini, il te reste 10 kilomètres pour inverser la tendance ! ». Je n’ai pas le temps de m’apitoyer sur mon sort. Cela fait 4990 km que je suis chassé et pour la première fois je deviens le chasseur. Je change donc instantanément de stratégie et passe à l’offensive. J’attaque à nouveau. Honnêtement, à cet instant, je crois encore que la victoire est possible, que tout va se jouer au sprint. Mais lorsqu’il franchit la ligne d’arrivée juste devant moi, c’est comme un coup de massue, une sensation assez terrible. Je suis dépité. Déçu du résultat mais pas du déroulement, car j’ai vécu quelque chose de super fort d’un point de vue sportif. Quand tu es compétiteur, tu apprécies forcément ce genre de mano à mano, car c’est dans ces moment-là, dans l’adversité, que tu donnes le meilleur de toi. Et je crois que le public préfère un finish à suspens plutôt qu’une victoire facile (sourires) !

Avez-vous la sensation d’avoir expérimenté sur cette course la « glorieuse incertitude du sport » ?  
Complètement ! Dans le sport, pour gagner, il te faut de la réussite, cette petite part de chance, de providence… Je le savais déjà, mais je ne l’avais jamais réellement expérimenté en ma défaveur. Et c’est devenu encore plus palpable une fois que nous avons entamé avec Francis notre mano a mano autour de la Guadeloupe. (Il raconte) Ce sont de vraies conditions de régate, avec des eaux instables et un vent faible, et lui, à un moment, profite d’une rivée très favorable. À cet instant, la casse matérielle n’a aucune incidence, la perte de mes appendices n’influe pas. Francis a juste fait le bon choix de trajectoire. Il a provoqué la réussite. (Un temps avant de reprendre) Le sport, c’est comme la vie en fait. Il y a une part d’aléatoire impossible à appréhender en amont. Ça fait partie du spectacle ! Et c’est ce qui fait sa beauté. Sa beauté mais aussi sa cruauté.  

 

Il y a une part d'aléatoire impossible à appréhender en amont.

 

Même le prodige que vous êtes ressort grandi d’une telle bataille. Qu’avez-vous appris sur cette course ?
Je suis devenu un meilleur marin. J’ai appris à naviguer sur un bateau altéré, en improvisant sur l’eau, à chaud, des solutions pour le contrôler. C’est un exercice technique hyper intéressant. Le fait d’avoir été ainsi poussé dans mes retranchements est un autre point qui va me permettre de m’améliorer. Depuis mes premières régates en Optimiste, j’ai intégré que rien n’était joué tant que la ligne d’arrivée n’était pas franchie… Mais ces compétitions au cordeau, ça fait du bien, ça te rappelle qu’il ne faut jamais rien lâcher. Jamais !

Quel état d’esprit vous anime après une course d’une telle intensité physique et émotionnelle ?
Il y a forcément une grosse fatigue générale due à la décompression, mais l’état d’esprit demeure très positif ! Je vais continuer à avancer. C’est un petit pas en arrière qui j’espère va nous permettre d’en faire deux en avant. Lorsque l’on innove, lorsque l’on créé, il faut accepter les petits échecs car ce sont eux qui fondent les grandes réussites. Que ce soit dans le sport, mais également dans la vie. L’essentiel, c’est juste de faire plus de pas en avant qu’en arrière !

Interview : Baptiste Chassagne
Photos : Ronan Gladu / Yann Riou / Vincent Curutchet

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