Publié le 20 juillet 2025
Focus sur le døds : La discipline extrême où l’illusion de se prendre un plat devient un art
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Interview

Focus sur le døds : La discipline extrême où l’illusion de se prendre un plat devient un art

Rencontre avec le recordman en titre : Côme Girardot
EXTRÊME, SPORTS NAUTIQUES
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Interview, Portrait

En Norvège, dans les années 60, l’heure est au renouveau et la jeunesse entend bien laisser sa marque. En plein cœur d’Oslo, une bande de jeunes décide de casser les codes du plongeon traditionnel. Leur idée ? Le døds. Né dans la chaleur tempérée de l’été nordique, ce plongeon extrême devient vite le terrain d’expression de casse-cous déterminés à flirter avec les limites… et les filles. Mais ce défi entre potes va vite devenir un art du risque, une discipline à part entière. Aujourd’hui, parmi les meilleurs, un Français : Côme Girardot. Rencontre à la frontière du vide avec le recordman en titre.

L’une des premières choses que j’ai apprises, c’est que la douleur, est juste une sensation, comme une autre

SE SENTIR VIVANT

Il y a des mots qui claquent comme un saut dans le vide. Le døds est défini par un nom aussi brutal qu’évocateur de “plongeon de la mort”. Une discipline où se sentir vivant est un état d’esprit. Dødser, en compétitions officielles, consiste à sauter d’un plongeoir de 10 à 13 mètres minimum, le corps étendu en forme de “X”, avant de se replier avec les poings et les pieds tendus juste avant l’impact avec l’eau. Un timing millimétré, comme en apesanteur, où chaque seconde compte. Mais si le døds est né en scandinavie, il s’invite désormais dans les plus beaux décors naturels du monde, où les sauts prennent une envergure spectaculaire. 

BRRR 

Depuis tout petit, Côme enchaîne les saltos entre les rochers escarpés de Méditerranée, battus par les vagues, où il passe ses vacances. Puis, un jour de confinement, il tombe sur des vidéos de døds sur YouTube et décide de s’y essayer. Le cabanon au-dessus de la piscine familiale a vu ses premiers ratés… mais aussi naître sa passion pour ce sport. Depuis, le Bordelais de 23 ans a pris de la hauteur…

J’imagine qu’au début, on prend de véritables plats. À tes débuts dans la discipline, de quelle manière t’es-tu perfectionné ? 

Je me pose encore parfois la question (rires) ! En tout cas, tu as raison sur le fait que ça fait mal au début car ça n’est pas bien fait. C'est comme si tu faisais un plat au bord de la piscine, ça fait mal, ça claque fort quand la technique n’est pas bonne. Au début, nous n’étions que deux, ce n'était pas la folie. Donc je regardais des vidéos, j’essayais d'apprendre visuellement en regardant les meilleurs, les norvégiens, et après, tu apprends sur le tas, en pratiquant.

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Comment passe-t-on les paliers ? À quel moment sens-tu que tu es prêt et que c’est le bon moment pour passer à la hauteur supérieure ?

Alors là, il faut être assez pédagogue et faire attention. Ma règle était que je ne voulais pas sauter plus haut juste pour sauter plus haut. C’était avant tout pour le plaisir, et je ne montais que si je sentais le spot et que ça me semblait naturel. Au début, j’ai progressé petit à petit. Je montais, 10 mètres, 12, puis 14… Mais arrivé vers 14-15 mètres, j’ai bloqué parce que ça “claquait” trop. Du coup, je suis descendu pour peaufiner ma technique. Plus ta technique est maîtrisée, plus l’impact devient gérable et moins tu as de douleurs. Aujourd’hui, je peux dire que ça ne fait quasiment plus mal.

Tu disais que tu devais beaucoup à ce sport, qu'est-ce qu’il t’a apporté dans ta vie ?

Il y a plusieurs sens à ta question. D’abord, j’ai toujours rêvé de devenir athlète professionnel, mais j’ai pratiqué tellement de sports en parallèle que je ne me suis jamais vraiment spécialisé. Ce sport-là, je l’ai un peu découvert par hasard. Quand j’ai commencé, je n’imaginais pas du tout pouvoir en vivre. Mais en partageant ma passion sur les réseaux sociaux, les choses ont vraiment décollé. Aujourd’hui, je peux voyager grâce à ça, alors que sans ce travail, je n'aurais jamais eu cette chance. C'est vraiment la vie dont je rêvais.

Et puis, il y a l’aspect mental. Ce sport m’a complètement transformé sur ce plan-là. L’une des premières choses que j’ai apprises, c’est que la douleur, est juste une sensation, comme une autre. Tu peux entraîner ton corps et ton esprit à l’encaisser. J’ai trouvé hyper intéressant, cette idée de pouvoir entraîner son cerveau. Quand tu t’apprêtes à sauter de 40 mètres, tu dois être totalement prêt mentalement. Ce conditionnement te sert aussi dans la vie de tous les jours. Avant ma soutenance de mémoire, j’étais stressé mais je me suis rappelé que j’avais sauté de 36 mètres… et ça m’a aidé à relativiser (rires).

La discipline regroupe des pratiquants autour du globe, qu’est-ce qui fait de ce sport une communauté aussi soudée ? 

Dans les sports extrêmes, c’est souvent comme ça. Que ce soit pour progresser, pratiquer en sécurité ou repousser ses limites, on dépend des autres. Quand tu t’élances sur un gros saut, le risque est réel. Si tu te rates, tu peux te blesser gravement, prendre un KO. Donc si chacun joue solo, personne ne progresse vraiment. Je voulais faire passer un message, pas seulement à ceux de ma discipline, mais aussi à ceux des autres sports extrêmes : il faut garder cet esprit collectif. Il faut que chacun avance à son rythme, en fonction de ses capacités, sans chercher à battre les autres. Parce que dès qu’on entre dans la comparaison, on risque de forcer au-delà de ses propres limites et c’est là que ça devient dangereux. Pour moi, le døds doit rester une quête personnelle. Et puis on commence à avoir une vraie communauté. Ce qu’on partage sur les réseaux, ça compte. On est en train de poser les bases de ce que seront les valeurs et l’image de notre sport. Pour l’instant, on est encore dans une phase rebelle, pas encore totalement structurée comme le skate ou le snowboard dans les années 60. Et c’est pour ça que c’est important de construire ça de la bonne façon. 

La nonchalance est quelque chose que les Norvégiens m’ont transmis quand j’ai appris le sport

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L’ART ET LA MANIÈRE

Peux-tu me parler des différences techniques entre les deux catégories de saut ? 

Il y a deux grandes catégories dans notre sport : le "freeride" et le døds de “compétition.” Et dans chaque catégorie, tu peux avoir deux types de sauts : soit les sauts "classiques", donc à plat, sans figures, soit ceux où tu envoies les tricks. Jusqu’à l’année dernière, j’étais plus attiré par le freeride. C’est vraiment ce que je préfère : c’est la hauteur que tu veux, aucun cadre, au milieu de la nature. Mais depuis que j’ai battu le record du monde, j’ai atteint un niveau de satisfaction, en termes de hauteur et surtout mentalement. Du coup, cette année, j’ai décidé de me plonger à fond dans les compétitions. Là, c’est des sauts compris entre 10 et 13 mètres. Il y a aussi des compètes "exhibition" plus libres, avec des hauteurs plus impressionnantes. Par exemple, cette année, il y aura la plus haute compète du monde à 20 mètres. Ça va être incroyable, devant des milliers de personnes, avec une grosse ambiance, du bruit, du monde… 

Au-delà des figures et du saut en lui-même, la nonchalance est un critère important du style en døds, comment elle se traduit ?

Quand je parle de nonchalance, en fait, je parle de style et d’attitude lors des sauts. C’est un truc assez particulier dans notre sport. C’est un peu l’attitude “j’en ai rien à faire”, dans le bon sens du terme. La nonchalance c’est aussi fermer ton saut le plus tard possible. Plus tu fermes tard, plus tu vas avoir un impact fort, et potentiellement te faire plus mal. Mais ça, tu ne peux pas le jouer si tu n’es pas à l’aise avec ton trick. C’est pour ça que la nonchalance, ça se travaille. Après, c’est aussi une question de personnalité. Moi par exemple, ce n'est pas ma signature. C’est plutôt quelque chose que les Norvégiens m’ont transmis quand j’ai appris le sport. Ils m’ont expliqué que c’était un aspect important du døds donc je l’ai intégré à ma façon. Et évidemment, à 10 mètres, c’est plus facile. C’est aussi grâce à mes expériences en hauteurs extrêmes que je suis plus à l’aise aujourd’hui sur les hauteurs standards de compète. Là où certains peuvent encore stresser, je me sens en contrôle.

La visualisation dans le døds est un facteur important du sport. Quelle est ton approche ?

L’année dernière, j’ai pas mal bossé avec un préparateur mental. Avant d'arriver sur place, je commence par me renseigner sur la plateforme, sa longueur, la hauteur exacte…  Aux championnats du monde et sur les étapes du World Tour, l’objectif à chaque fois, est de gagner sur les qualif’. J’imagine donc trois tricks différents à présenter parce que la créativité est hyper bien notée. Une fois que j’ai mes idées, je vais m'entraîner en trampoline, en plongeoir et surtout, en visualisation mentale. Je visualise mes sauts des dizaines de fois, jusqu’à avoir cette sensation d’avoir déjà vécu l’expérience. Et ça fonctionne, parce que je connais bien mon corps et le mouvement. C’est aussi intéressant de connaître la hauteur exacte avant le saut, parce que ça te permet de savoir quelle puissance mettre dans le décollage.

Dans ton film, tu parlais aussi de ces moments quand tu n’arrives pas à te lancer. Comment tu deales avec ces moments là de frustration, de doutes ?

Ça m’est rarement arrivé, mais les premières fois, franchement, j’ai pris un gros coup au moral. Tu passes de 150 bpm, t’es à fond, tu transpires, t’es prêt à y aller… et finalement tu n’y vas pas. Mais quand tu as un objectif précis, tu trouves une solution. Par exemple, pour le record du monde, je voulais faire une figure. Je l’avais passée à 30 mètres, mais à 33 je bloquais complètement. Donc j’ai changé de plan, j’ai décidé de ne pas faire de figure, juste de me concentrer sur le saut parce que la pression était déjà énorme. J'ai de la chance car les gens savent que si je ne saute pas, c’est juste que j’en ai pas envie, ou que je ne le sens pas. Et ça, c’est un vrai confort. Parce que quand tu es nouveau dans le sport, tu as encore besoin de faire tes preuves. J’avais d’ailleurs fait un post là-dessus. Un jour, il y avait au moins 150 personnes qui me regardaient. Tout le monde attendait que je saute mais j’ai préféré écouter ce que je ressentais. Je pense que 98 % des gens auraient sauté, juste pour ne pas se dégonfler. Au final, les gens ont applaudi. J’ai eu plein de retours positifs : "On veut plus de contenus comme ça, plutôt que des vidéos de perf à tout prix.”

À 44 mètres, je suis arrivé dans l’eau à environ 106 km/h

IN DA 40 CLUB 

On va aussi parler de ton record du monde ; 44,3 mètres précisément. Peux-tu revenir sur tout ce processus, le choix du spot, l’entraînement avant, etc… ?

J’avais battu les trois derniers records du monde. Et puis, Ken Stornes, un Norvégien, a débarqué avec un saut de 40 mètres dans la glace… comme ça, d’un coup. Alors, j’ai commencé à recevoir plein de messages me demandant si j’étais chaud pour tenter un nouveau record. Depuis mon dernier saut à 36 mètres, j’avais déjà les 40 mètres en tête. Des sponsors, un budget, des infrastructures logistiques, c’était mon vrai premier projet professionnel. 

En février, on cherche un lieu, et là, on trouve un spot de malade au Portugal. Une falaise dans une carrière de marbre, 44 mètres de haut. L’endroit est fou, le maire, le proprio, tout le monde est ok, on a toutes les autorisations. Mais trois semaines avant la date… Le propriétaire flippe pour les assurances et retire son accord. Au final, le plan B, c’était presque un plan A : un décor de ouf, un désert avec des faucons qui tournent autour, une ambiance incroyable. La veille, on va sur le spot, la cascade de La Cimbarra, en Espagne, on mesure : 44,3 mètres. Ça faisait déjà quatre cinq jours que je ne dormais pas très bien, parce que c'est difficile de penser autre chose (rires). Le jour-j, il y avait des rafales à 40-50 km/h qui peuvent te déstabiliser en l’air. J'attendais les accalmies, trois minutes de calme, sauf que je n’étais pas forcément prêt… Le vent est revenu pendant 15 minutes, et là, l’attente était longue... Il faut tenir, rester concentré malgré les caméras et la pression. On voulait faire homologuer le record par le Guinness World Record, donc on avait fait toutes les démarches mais après avoir payé 1000 € de frais de dossier, on nous dit : “C’est trop dangereux, désolé.” Tu pourras dire que le døds est blacklisté (rires) !

Pourquoi tu calcules la vitesse à laquelle tu arrives dans l’eau ?

Je compare avec les vitesses que j’ai déjà encaissées avant, et je me demande comment je me suis senti à ce moment-là. Quand il y a 3 ou 4 km/h d’écart, bon… tu sens la différence, mais ça reste raisonnable. Par contre, quand tu passes à 8 ou 9 km/h de plus, là c’est une grosse différence. À 44 mètres, je suis arrivé dans l’eau à environ 106 km/h. Il ne faut pas perdre tes moyens. Tu dois te dire que tu vas défoncer l’eau, que t’es prêt à l’impact. Parce que si tu fais une erreur, tu peux y rester. 

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Une légende urbaine raconte que l’adrénaline atténue l’impact du saut, comment ressens-tu les choses ?

C’est clairement le meilleur anti-douleur du monde. L’adrénaline, c’est un truc de malade. Quand je saute, je suis parfois sonné, mais ça me donne presque des super-pouvoirs. C’est pour ça que je dis souvent : l’adrénaline, c’est ma drogue préférée. Quand je m’étais fait les croisés, je suis restée six mois sans faire de sport. Et en vrai… j’étais pas bien. Je ne suis pas quelqu’un de dépressif de base, je suis plutôt stable mentalement (rires) mais là, il me manquait quelque chose. Aussi, le mec qui a battu le record du monde s’était cassé l’avant-bras en atterrissant… mais il ne s’en est même pas rendu compte pendant deux heures, jusqu’à ce que l'adrénaline ne redescende !

“L’adrénaline, c’est ma drogue préférée.”

Tu disais vouloir donner de la visibilité, tout en parlant de la sécurité, quelles retombées as-tu pu constater ?

Depuis que j'ai commencé, je vois beaucoup les retombées. Au début, on était littéralement deux. Maintenant, je pense qu’en France, on doit être 3000 pratiquants. La compète aux Natural Games à Millau est celle qui s’est remplie le plus vite. Ça prouve que le døds est en train de devenir populaire en France. Il y a carrément plus d’entrées ici qu’en Norvège. Tu sens qu’il y a un véritable engouement qui est en train de naître. J’ai aussi hâte de voir les retombées du dernier record. J’ai vécu une couverture médiatique énorme : je suis passé sur plein de chaînes télé françaises, il y a eu des articles partout, en Corée du Sud, en Arabie Saoudite… Je ne comprenais pas tout mais je me suis bien marré (rires). 

 

Texte de Eloïse Picard

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