Texte de Rose Rousset
Lorsqu’on consulte l’annuaire des pages jaunes, entre le numéro de la performance et celui de l’aventure, on retrouve les coordonnées d’Elise Poncet. En chaussons, en baskets, à skis ou en crampons, l’aventurière-athlète est partout où la montagne l’appelle. On a essayé d’écouter au bout du combiné pour retranscrire quelques bribes de leur conversation. Immersion dans un dialogue sincère et authentique, entre Elise Poncet et sa passion, avec un grand M.
je pratique la course et la compétition de manière contemplative

Performance et aventure en montagne, retour sur les racines d’une communication sans interférence
Il est difficile de cerner Elise au premier abord. Escalade. Alpinisme. Trail. Ski. Quand il s’agit de montagne, elle est souvent au rendez-vous, y compris celui de la performance. Seconde du Trofeo KIMA 2024, l’une des épreuves les plus techniques du circuit Skyrunning, vice-championne du monde de course en montagne en 2019, championne de France en 2022, détentrice du nouveau record d’ascension du Mont Blanc à ski, Elise est une athlète aux multiples facettes qui semble pouvoir décupler les minutes que compte une journée. Alors pour comprendre d’où cette énergie lui vient, revenons aux origines de la conversation d’une athlète avec son terrain de jeu.
Elise, tu es originaire de la région parisienne pourtant tu t’es rapidement illustrée en montagne catégorie junior. À quel moment et comment as-tu compris que tes pieds t’emmenaient courir sur les sentiers ?
Tout a commencé par un objectif : vivre et m’épanouir en montagne. J’ai eu ce désir et cette intuition très jeune vers 12-13 ans mais à cette époque je vivais à Paris. J’ai donc j’ai décidé de tout mettre en place pour arriver à ce but à la majorité. Cela a commencé par la course à pied, le meilleur moyen pour me faire la « caisse » et me préparer à ce mode de vie en montagne. Puis de moyen c’est aussi devenu une fin. J’ai pris goût à la course via les rencontres, le club d’athlétisme, l’UNSS de triathlon et le cross. J’ai compris que j’aimais le dépassement de manière générale, la sensation d’effort et la compétition. Néanmoins j’ai vite réfuté l’idée de faire de la piste car je pratique la course et la compétition de manière contemplative (oui les deux ne sont pas contradictoires) et l’environnement est une condition fondamentale de mon plaisir.
Et que connaissais-tu de la montagne à cette époque pour déjà rêver de faire ta vie là-bas ?
Même si j’ai grandi 18 ans à Paris, je suis originaire d’Arâches-La-Frasse en Haute-Savoie du côté de mon papa et des Pyrénées du côté de ma maman. Chaques vacances nous allions en Haute-Savoie et mes parents étaient de très bons grimpeurs. J’ai donc passé tous mes week-ends de ma naissance jusqu’à mes 13 ans, dans la forêt de Fontainebleau avec eux. J’ai grandi plus en bas des blocs de grimpe que des tours parisiennes.
L’envie de vivre en montagne a été le fil d’Ariane de mon adolescence. À 18 ans, ce projet s’est concrétisé par mon départ en Savoie pour les études. Dès mon arrivée, je me suis sentie à ma place, mon intuition initiale s’est transformée en conviction : je suis faite pour vivre ici, au milieu des cailloux.
l’environnement est une condition fondamentale de mon plaisir

Au regard de ton approche très large de la montagne, quels critères te guident dans tes choix d’objectifs sportifs ?
Cette année j’ai tenté le probatoire du guide. Cela m’a demandé une implication complète dans un processus en montagne, et j’ai dû mettre un temps la course à pied de côté. Faire ses armes en alpinisme est un long chemin de croix pour lequel il n’y a pas de raccourci. Mais avant cela, le trail running était ma pratique sportive principale et en fonction des objectifs que j’avais dans cette discipline, je structurais mes entraînements et mes activités en montagne à côté. Par exemple, si je choisissais de faire les championnats de France de cross l’hiver, cela impliquait que j’allais faire moins de ski alpinisme et de cascade de glace. J’allais plus courir à pied dans la vallée à cette saison. Et inversement, si l’été je choisissais une course, par exemple le trail très technique de 50Km, Trofeo Kima auquel j’ai participé en 2024 (Elise finit 2e de la course), cela me permettait d’aller en haute-montagne tout l’été car l’entraînement était cohérent avec cet objectif. Je suis persuadée que si tu planifies et organises bien ton année, tu peux faire des activités diamétralement opposées, que ce soit dans la course à pied en termes de distance ou dans les différentes activités que tu pratiques.
Je sais que mes pratiques et mon entraînement sont atypiques voire compliqués à suivre mais j’ai la chance d’être entourée de gens et de structures qui le comprennent : Simon Gosselin, mon coach, par exemple, qui s’adapte et Arc’teryx, la marque qui m’accompagne. Je ne pourrais pas faire autrement et j’accepte que faire ce que j’aime peut me rendre moins spécialisée. Mais je pense qu’il y a une forme de performance dans la polyvalence. J’aime l’idée d’avoir de vrais focus parfois mais pour être performante en tant qu’athlète, je dois être épanouie en tant qu’individu, la pratique de la haute-montagne y contribue.
Chez certains athlètes, vient un moment où de la performance ils basculent vers des projets davantage axés sur l’endurance. Toi, tu combines les deux. Est-ce que le record d’ascension du Mont-Blanc réalisé cette année, objectif typiquement endurance, remet en question cet équilibre ? Ne penses-tu pas à mettre la performance en trail de côté pour te consacrer à ce type de projets ?
Cette question revient souvent. Est-ce que je veux passer dans un format athlète endurance, à l’image d’un Benjamin Védrines - attention j’ai conscience de ne pas avoir du tout le même niveau (rire) - qui va allier endurance et haute-montagne ? Je pense que j’ai encore des choses à accomplir en course en montagne et en skyrunning. Il y a plein de courses sur lesquelles je veux performer, Zegama notamment. Et je ne suis pas sûre de vouloir faire de la performance en haute-montagne. Pour l’instant j’aime l’idée de scinder les deux et de toute façon je ne peux pas faire les Grandes Jorasses à fond (rire).
je pense qu’il y a une forme de performance dans la polyvalence

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Elise a battu le 16 mai 2025 le record du Mont-Blanc à ski de 37 minutes, avec une ascension de 6h54 et 47 secondes faisant d’elle la femme la plus rapide à avoir gravi le toit de l’Europe.
Elise, peux-tu nous raconter cette aventure hors norme. Qu’est ce qui a nourri ton envie de monter en haut de ce sommet le plus vite possible ? Était-ce un rêve d’enfant ?
Non je n’avais pas une obsession avec le sommet du Mont-Blanc depuis l’enfance mais j’habite à son pied depuis 12 ans et c’est la montagne emblématique d’ici. La symbolique me plaisait et il y avait déjà des marques de temps établies, ce qui est important pour valoriser un projet d’endurance. Cela faisait quelques années que je réfléchissais à combiner la notion de performance en endurance et la pratique de l’alpinisme. Et je me sentais enfin prête à le faire.
C’est aussi un projet que je nourrissais avec ma copine Hillary Gerardi qui a le record à pied. Elle m’avait proposé il y a deux ans de tenter ce FKT (Fastest Known Time) à pied avec elle mais j’étais qualifiée aux championnats du monde de course en montagne à ce moment-là et je n’avais pas pu prendre part au projet. Mais depuis ce moment-là, la graine était plantée. Ensuite, l’américaine Anna DeMonte a posé sa marque à ski, et là, la graine a germé. Je me suis dit que c’était le meilleur moyen de faire ce sommet, et sans s’abîmer les genoux à la descente s’il vous plait (rire).
Tu as commencé à le préparer quand Anna DeMonte a posé une marque sur ce sommet il y a un an ou c’est cet hiver que l’idée germée, s’est enracinée ?
De manière générale, on peut dire que je l’ai toujours préparé, entre le trail, l’alpinisme, l’évolution sur glacier. Finalement je travaille depuis 30 ans à faire mon pied montagnard. Mais plus spécifiquement, j’ai décidé en décembre que j’allais tenter l’ascension en fin de saison donc j’ai organisé ma fin d’hiver par rapport à cet objectif. J’ai prévu des courses d’alpinisme très techniques avec une évolution en altitude : la Serre Che Glacier avec Julie Roux, une course de 3000 mètres de dénivelé positif évoluant en partie à plus de 3000 mètres d’altitude, puis la Trans Vanoise avec Hillary, 4000 mètres de dénivelé en haute-altitude également. Et puis j’ai banalisé mon mois d’avril pour être prête à sauter sur une fenêtre météorologique avantageuse mais elle n’est jamais venue. Petit à petit j’ai commencé à abdiquer le projet. Et puis finalement mi-mai, j’ai observé quelques fenêtres de tir. C’était tard dans la saison mais je n’étais pas blessée et même plutôt en forme physiquement. Il fallait y aller. Je réfléchissais à ce projet depuis 6 mois, l’organisation était un peu de dernière minute mais j’en avais envie. En haute-montagne c’est comme ça, il faut saisir les opportunités quand elles se présentent. On ne peut jamais décider quand ce sera.
j’étais rassurée d’être auprès d’eux, dans un défi individuel, portée par la force du collectif

à quoi pensais-tu au départ de l’église de Chamonix ce matin-là ? Et quelle a été ta première réflexion quand tu es revenue 6h54 plus tard ?
à l’église, j’étais soulagée d’être accompagnée de très bons amis. Hillary Gerardi, Bastien Perez, Toni McCann et Victor Perez étaient à mes côtés. J’ai ensuite envisagé l’effort bloc par bloc. J’ai d’abord couru avec Bastien et Hillary qui connaissaient bien la première partie de la course. J’étais pacée sur chacun des blocs et donc je pouvais me reposer sur leur rythme pour trouver le mien. Cela m’a rapidement tranquillisée. Paradoxalement c’était la première fois que je me lançais dans un défi individuel. En compétition de trail habituellement, ma stratégie est de suivre quelqu’un au départ puis si la personne souffle plus que moi, je passe devant et si elle souffle moins, je reste derrière. C’est facile finalement comme mécanique (rire). En bas du Mont-Blanc, c’est la première fois que je me teste dans un effort, seule. Je dois mettre mon pace et mettre le bon pour ne pas me fatiguer trop vite ou au contraire prendre du retard sur mon objectif. C’est une longue montée (4000 mètres de dénivelé d’un coup) avec de l’altitude et des changements de température. J’avais donc besoin de me reposer sur les amis que j’allais retrouver tout au long de l’ascension. Pour répondre à ta question donc, au départ de l’église de Chamonix ce matin-là, j’étais rassurée d’être auprès d’eux, dans un défi individuel, portée par la force du collectif.
Et à l’arrivée, j’étais aussi habitée d’un soulagement. J’étais heureuse d’avoir touché le sommet et qu’il ne soit rien arrivé à personne. L’ascension par les grands mulets est modérément technique et dangereuse, comparativement à des ascensions et records extrêmement difficiles comme une face nord des Grandes Jorasses par exemple. Mais il y a des dangers inhérents à la montagne et j’étais inquiète pour mes amis. Imaginer qu’un sérac puisse leur tomber dessus quand ils m’accompagnaient dans mon record, par exemple, me terrifiait. En touchant l’église de Chamonix à 11h54 ce vendredi-là, j’étais donc rassurée qu’on soit tous, sains et saufs, en bas.
Et puis sinon j’étais fière. Vraiment. C’est assez rare que je dise ça mais j’étais fière, de la manière dont tout cela s’est déroulé, de l’organisation en 4 jours, des conditions, de la réactivité de mes proches. J’ai eu le sentiment que c’était mon jour. Cela fait plus de 10 ans que je fais de la compétition, de la montagne, du haut-niveau… Il y a déjà eu de grands jours, j’ai été vice-championne du monde de course en montagne en 2019 par exemple. C’était un jour incroyable. Mais là c’était différent, c’était aussi la rencontre entre mes deux passions et pour ce moment spécial, toutes les planètes se sont alignées.
Pourtant, on ne peut pas dire que tu aies eu des conditions objectives de rêve pour cette ascension, non ?
Oui c’est vrai, sur 7 heures d’ascension, il y a eu 1h15 compliquée sur la fin de la montée avec des conditions difficiles sur l’arête des Bosses, les 600 derniers mètres de dénivelé. Il y avait 70km/h de vent, il faisait -15°C. Cela a rendu la progression très lente. C’était douloureux mais cela fait partie du jeu en alpinisme. C’est très rare que tout s’aligne là-haut, il faut savoir accepter l’inconfort. Et puis ça fait des histoires à raconter au bistrot (rire).
A posteriori, l’ascension a eu lieu il y a trois mois environ à l’heure où nous discutons, comment vis-tu cet exploit ? Est-ce l’aventure la plus difficile dans laquelle tu te sois lancée sportivement et mentalement ? Et celle qui te rend la plus fière ?
Je suis fière de la performance bien sûr mais je la relativise. Ce n’est pas un championnat du monde avec toutes les meilleures athlètes au départ et d’une année à l’autre les conditions évoluent. Je le vis donc plus comme une aventure que comme une performance sportive objective. En revanche, je suis fière d’avoir monté ce projet, d’avoir été à son initiative, avec mes sponsors, mes partenaires, mes amis. Je suis fière aussi d’avoir fait confiance à mon intuition quand l’objectif semblait derrière moi.
As-tu déjà envisagé la suite de ce projet ? Y aura-t-il un Tome 2 du Mont-Blanc ?
Je suis toujours en questionnement. Nous n’avons peut-être pas tout optimisé (oui je dis « on » car comme tu l’as compris c’était un travail d’équipe). J’ai fait une petite boulette (au singulier cette fois) car j’ai mal reconnu la première partie sur laquelle il y avait un raccourci à prendre, tous ceux qui ont fait le record ont gagné 10 minutes grâce à cela. Aussi, je me suis arrêtée 8 minutes au bivouac Vallot sur l’arête des Bosses quand il y avait beaucoup de vent. Sur une ascension record, tu ne t’arrêtes pas 10 minutes. Et enfin, le vent a bien ralenti la progression sur la dernière heure. Ces trois leviers d’optimisation me donnent envie de le retenter mais je n’y retournerai pas forcément seule et surtout, différemment. Pour moi seulement, pour signer ma meilleure marque, ma meilleure performance sportive mais sans médiatisation autour.
En même temps je trouve chouette qu’on ait tous et toutes des conditions différentes. La prochaine femme qui aura le record - car oui je suis réaliste il y en aura une (rire) - aura d’autres conditions que moi, c’est le jeu des FKT. Je sais que je pourrais mettre 30 minutes de moins dans d’autres conditions mais je pourrais aussi mettre 30 minutes de plus. Le tome 2 est donc en réflexion. Affaire à suivre…
Il y a quelque chose qui s’est créée avec cette montagne dans le monde de la performance, elle fait vraiment l’objet d’ambitions sportives aujourd’hui. Beaucoup veulent en repousser les limites. Pourquoi, selon toi ?
Le Mont-Blanc fait l’objet d’ambition car la technicité est modérée. C’est un sommet accessible pour ceux qui ne font pas de haute-montagne même si je trouve personnellement que c’est extrêmement important d’avoir un background alpinisme pour s’y frotter. J’aimerais vraiment que la prochaine fille qui obtienne le record soit issue de ce milieu et en respecte les règles. Pour moi, la légitimité à décrocher ce record vient aussi de son processus.

L’appel du guide
Après un hiver riche en émotions, Elise a présenté pour la première fois cette année l’examen probatoire pour devenir guide de haute-montagne. Elle a passé avec succès la partie hivernale avant d’échouer sur la première épreuve de l’examen estival : la course d’orientation.
Déjà comment vas-tu depuis et comment as-tu vécu cette expérience ?
J’ai passé 48 heures à déprimer mais c’est digéré à présent. C’était la première fois que je m’investissais autant dans un projet. J’ai vraiment dédié 3 mois à une préparation intense, en partie dans des disciplines que je maîtrisais peu. J’ai passé des heures à grimper, à faire du cramponnage sur la mer de glace, tout cela m’a demandé des concessions et beaucoup de temps. Mais je n’ai rien perdu, j’ai gagné en expérience.
Cet échec n’a pas entaché ma motivation à aller en montagne, au contraire, ça m’a permis de faire sauter des verrous mentaux. Le seul problème c’est que je ne peux retenter le probatoire que dans un an, je dois donc finir ma liste de course pour le guide et mettre le trail en stand-by cet été.
Donc si je comprends bien, tu as envie de retenter le probatoire ? à quel horizon ?
Oui, la moyenne de passage de ce test d’entrée est d’environ 3 fois. C’est un examen très difficile à avoir et j’ai fauté sur une erreur vraiment bête : en course d’orientation, discipline estivale que je maîtrisais le plus, j’ai poinçonné une mauvaise balise. Et comme c’était la première épreuve, je n’ai pas eu l’occasion de me tester sur le reste et de voir ce que je valais. Je ne réessaierai pas 15 fois car c’est beaucoup de concessions sur ma vie professionnelle et personnelle mais je vais le retenter au moins une fois, l’an prochain. Je ne peux pas rester sur cet échec, il faut battre le fer tant qu’il est chaud.
Quel est le sens derrière cette envie de passer guide ? Depuis combien de temps le prépares-tu et pourquoi ?
Passer le guide est un cheminement vraiment progressif, c’était ancré en moi depuis longtemps mais je l’ai conscientisé il y a 3-4 ans en commençant ma liste. à mesure que je faisais de la montagne avec différentes personnes, meilleures et moins bonnes, l’envie de guider s’est dessinée. J’adore emmener des gens en montagne et j’ai envie d’y dédier ma vie.
Plus tôt, on évoquait les exploits sportifs, et la façon dont la performance évolue parfois vers des projets d’endurance. Fais-tu le même parallèle entre l’exploit individuel en compétition et l’exploit collectif qu’est la transmission de ton savoir en tant que guide ?
Oui, complètement. Quand tu fais du haut-niveau, ta pratique est très individuelle, tu as besoin d’être centré sur toi-même et tes sensations. à long terme, j’envisage les choses autrement, j’ai besoin qu’il y ait un autre chapitre dans ma vie dans lequel je pourrai donner en retour. Dans mon cheminement, il y a eu des personnes clés qui m’ont permis d’apprendre, de progresser. J’aimerais à mon tour passer le flambeau et être une personne clé pour d’autres passionnés.
C’est aussi une manière d’anticiper le déclin de mes performances en tant qu’athlète. Depuis petite, j’ai un plan en tête : partir vivre en montagne à 18 ans - car c’est là qu’est ma vie, m’investir dans la performance - car j’adore ça, avant d’évoluer vers une vie plus stable, en passant le guide et en essayant de construire une vie de famille. Le plan se déroule bien pour l’instant, mis à part l’échec au guide cette année.
Un sujet, qui j’imagine revient souvent, concerne la représentation des femmes dans ce milieu. J’ai tendance à penser qu’à mesure que la montagne se verticalise, la représentation des femmes s’amenuise. Combien de femmes étiez-vous sur la ligne de départ lors de l’examen de guide ?
Nous étions près de 200 candidats à nous présenter au probatoire cette année, dont seulement 13 femmes. Au final, 38 ont réussi et parmi eux, 3 femmes. Le déséquilibre est marqué, mais le taux de réussite des femmes est sensiblement supérieur. Nous arrivons généralement à l’examen avec un niveau de pratique assez mûr.

Les petits gabarits, femmes comme hommes, ont leur place en haute-montagne
Est-ce que la sous-représentation des femmes dans ce milieu a impacté ta pratique de la haute-montagne, et s’est matérialisée au passage du guide ?
J’ai grandi avec l’exemple inspirant de ma mère, une excellente grimpeuse. Elle m’a offert un modèle de femme forte et déterminée. Dans le cadre du guide, les références féminines sont moins nombreuses, mais cela ne m’a pas freinée : je n’ai jamais pensé que mon genre puisse me limiter, même si, à mes débuts - il y a 15 ans - les groupes de femmes en montagne étaient moins développés qu’aujourd’hui.
Mon entourage montagnard est majoritairement masculin, mais toujours bienveillant : je ne me suis jamais sentie inférieure à mes amis (car, oui, je pratique quasiment exclusivement avec des amis) et c’est plus l’intensité du lien qui unit les membres de la cordée que leur genre qui importe, selon moi. Je ne crois pas qu’il faille séparer les hommes et les femmes pour progresser en montagne, au contraire, nous nous enrichissons mutuellement.
Mais à l’aube de la trentaine, émergent d’autres questions liées à la place d’une femme en montagne : guide ou famille, faut-il choisir ? Je ressens cette pression sociale, mais je refuse de renoncer à l’un ou l’autre. Je suis convaincue que l’on peut concilier les deux... même si le chemin pour normaliser cette double ambition est encore à tracer. La montagne est souvent perçue comme un univers incompatible avec la maternité, un espace extrême là où l’on attend de la “sécurité” pour la vie de famille. Pourtant, en tant que guide, nous sommes maîtres des risques et c’est avant tout une question d’aménagement de notre métier.
Une étude de l’ENSA confirme que l’âge moyen des femmes au passage de l’examen est autour de 30 ans, ce qui coïncide souvent avec une étape charnière sur le plan physiologique et personnel. Ce constat soulève une réflexion pour pouvoir concilier la maternité à notre formation (durant 3 ans).
Enfin, au-delà du passage du guide et de la pure distinction homme/femme, j’ai parfois ressenti une limite liée à ma morphologie. Mes 1m60 et mon poids léger me contraindraient mécaniquement dans certaines situations, comme pour stopper un homme de 100 kg en chute sur une arête par exemple. Mais encore une fois, c’est une question d’organisation, de bon sens et d’aménagement du terrain : mettre des protections, adapter les sorties ou tout simplement refuser de prendre certains clients sont des options. Les petits gabarits, femmes comme hommes, ont leur place en haute-montagne.
Y a-t-il des épreuves de force dans le guide qui vous désavantagent par rapport à cela ?
Il n’y a pas d’épreuve qui nous désavantage à proprement parler mais l’étape du piolet-traction est un peu plus « morphologique » que les autres. Il s’agit de grimper dans un dévers de glace à la force des bras avec deux piolets.
Il n’y a pas de discrimination positive pour ce type d’épreuves ?
Dans le passé, les femmes devaient passer un 6C à vue et non un 7A en escalade, elles avaient également des sacs plus légers mais cela n’existe plus. Aujourd’hui nous sommes notés exactement de la même manière. Il en va de notre sécurité et de celles des gens que nous accompagnons : en haute-montagne nous sommes tous exposés aux mêmes risques, par extension nous devons avoir les mêmes compétences.
Pour finir cet entretien, que conseillerait l’Élise de 30 ans à l’Élise de 18 ans qui rêvait de s’installer en montagne ? Quels choix ferait-elle différemment avec l’expérience acquise ?
Je ne ferais pas grand-chose différemment. Je suis là où j’ai toujours voulu être. Les débuts ont été frustrants, entre la difficulté de créer un réseau et la solitude mais j’ai appris à faire confiance au processus. Petit à petit, j’ai rencontré des personnes clés, et sans précipitation, j’ai construit ma trajectoire entre le haut-niveau, les études et la montagne.
Aujourd’hui, je dirais à cette jeune Elise de rester patiente et de garder confiance : tout arrive en temps voulu. L’important, c’est d’être animé de l’intérieur.
3 conseils
Quels seraient les 3 conseils que tu donnerais à des jeunes femmes qui veulent passer l’examen du guide ou être des premières de cordées ?
1. S’entourer des bonnes personnes : celles avec lesquelles on partage une confiance réciproque.
2. Savoir pourquoi on est là et qui l’on est : être profondément convaincue d’être au bon endroit, et se connaître pour savoir ce qui est le mieux pour soi dans toutes les circonstances.
3. Se nourrir de l’expérience des autres, sans distinction de genre : pour progresser en montagne, il faut écouter les conseils de chacun, sans a priori.