
Entre Kilian Bron et Pierre Henni, tout commence sur un canapé, posé au milieu du salon, assis sur cet objet symbolique incarnant le point de ralliement de toutes les colocations de l’Hexagone, une fois la journée terminée. Ce canapé où l’on refait le monde. Ou plutôt où l’on se rêve de le parcourir. Sauf qu’entre le rêve et le projet, il n’y a qu’un coup de pédale. L’un se dit, l’autre se réalise.
Kilian Bron, pilote de VTT d’exception et Pierre Henni, vidéaste tout aussi talentueux, ont décidé de faire les deux, en passant de la coloc’ à la collab’. Leur quête ? Faire du vélo un moyen pour traverser les frontières du planisphère et repousser celles du conventionnel en créant des images de l’ordre du ‘jamais-vu’. La preuve en photos. Et en quelques phrases pleines de sens, échangées sur un canapé.

LA COLOC'
K.B. « Nous nous sommes rencontrés il y a 6 ou 7 ans, grâce à des amis communs. Puis, de fil en aiguille, nous nous sommes installés en coloc’, pendant 3 ans, dans une grande maison que l’on partageait entre potes passionnés de nature, sur les hauteurs d’Annecy. Difficile de dire que notre salon s’apparentait à un coworking tant on déconnait, mais ça a créé une dynamique ultra positive et productive : on échangeait beaucoup, on se construisait des rêves, des projets, on phosphorait sans s’en rendre compte… Or le VTT est un petit milieu, donc ce qui devait arriver arriva : nous avons mélangé le pro et le perso afin d’amorcer un premier projet ensemble, avec Nix (le surnom de Pierre). »
P.H. « C’était en octobre 2017, en Norvège. Sur le papier, cela faisait rêver : un trip en voilier pour rider de fjords en fjords, sur le modèle de ce qui se fait l’hiver, en ski de randonnée. En réalité, on a galéré, entre les bagages bloqués, les vélos qui n’arrivaient pas, les conditions météorologiques desastreuses… Plutôt que du VTT, on a péché et on a fait du kayak ! Heureusement, deux belles journées se sont offertes à nous, à la fin. On en a tiré de belles images. Après ça, c’était parti ! Nous avions mangé notre pain noir. L’aventure - Kilian sur le vélo, moi derrière la caméra - pouvait débuter. »
On échangeait beaucoup, on se construisait des rêves, des projets, on phosphorait sans s’en rendre compte...
LA COMPLÉMENTARITÉ
P.H. « En termes de personnalité, on se complète vraiment bien. Un peu comme le feu et l’eau d’une certaine manière. Disons que Kilian fourmille d’idées et bouillonne d’enthousiasme, quand je reste plus calme, tranquille et pragmatique. Lui nous donne les ailes lorsque moi, je nous ramène les pieds sur terre. Kilian a un sacré tempérament – et c’est certainement là qu’il puise une part de cette capacité à réaliser des choses qui sortent de l’ordinaire – alors que moi, j’ai une personnalité plutôt ‘facile’. Ensuite, en termes de process, Kilian se situe souvent à l’initiative des projets. Il m’en parle, on échange et on le construit ensemble de manière très progressive. C’est rare de rencontrer un pilote qui soit autant impliqué dans la direction artistique, qui sache autant ce qu’il souhaite concernant les images… »
K.B. « Depuis le kilomètre 0, c’est un travail d’équipe. Souvent, les pilotes participent à des tournages, mais en tant que performeurs. Ils délivrent une performance, répondant au cahier des charges rédigé par une marque ou un média, sans véritablement s’impliquer dans la réalisation. Moi, j’adore ce rôle de réalisateur, j’aime construire le concept de ma vidéo. C’est d’ailleurs grâce à cette ligne directrice que tous les projets que nous menons avec Pierre nous motivent profondément. Car ils viennent du cœur. Ensuite, sur le terrain, notre binôme fonctionne à merveille puisque Nix arrive à me recentrer. Il canalise cette hyperactivité qui peut parfois me faire partir dans tous les sens. Et puis, il est capable de me supporter : ce qui, n’est pas une mince affaire (sourire) ! »
Lui nous donne les ailes lorsque moi, je nous ramène les pieds sur terre.

LA SIGNATURE
K.B. « Ma signature, c’est d’aller rouler dans des endroits où jamais personne n’a eu l'idée d’y poser un jour son vélo. Et d’y apporter du flow ! Ce que j’accomplis n’est pas le plus spectaculaire à l’image, néanmoins j’essaye d’apporter cette touche de technicité et d’esthétisme qui me différencie. Pierre - par sa signature à lui, par ses montages qui ne ressemblent à aucun autre, par son passé d’athlète - a cet œil et cette capacité à mettre en avant ma singularité. C’est la raison pour laquelle, je crois, nous pouvons affirmer que l’on s’est bien trouvé ! »
P.H. « Kilian est le pilote le plus polyvalent que je connaisse. Il n’est pas excellentissime dans un domaine très précis mais plutôt incroyablement bon partout. Il aime le vélo au sens large. Sa passion ne se limite pas au VTT. Et cela se ressent dans sa manière de rider : il a le don d’ubiquité. (Un temps de réflexion) Un autre élément que l’on tente d’amener, petit à petit, dans notre signature, a trait à la culture. On va toujours chercher la même rareté, la même dimension insolite, la même impression de ‘jamais-vu’ mais en tâchant d’y intégrer un aspect culturel, en proie à la terre où nous sommes et aux habitant qui la peuple. »

LA BELLE IMAGE
P.H. « La belle image repose sur un triptyque : un contexte magnifique, une belle lumière et la mise en valeur d’une action réalisée par Kilian. Parfois, c’est l’action en elle-même qui va fonctionner, et d’autres fois, un détail très précis de cette même action. Raison pour laquelle nous shootons chaque scène sous trois angles : le contexte, l’action et le détail. »
K.B. « Pour moi, cela part d’un bon cadrage, fluide, bien orienté vis-à-vis de la lumière, avec une belle attitude sur le vélo et des ombres qui te permettent de shooter sous différents angles, afin de pouvoir jouer avec au montage. L’indispensable, c’est également un bel endroit. Qu’est-ce qui en définit un ?…
…Qu’il n’ait pas été parcouru par des centaines d’influenceurs au préalable, qu’il ne soit pas trop ‘cliché’, et surtout, que l’on ait vécu avec Nix des trucs forts pour y accéder. Car ce qui est important pour nous, c’est également l’histoire qui se cache derrière chaque image… »
Ma signature, c’est d’aller rouler dans des endroits où jamais personne n’aurait été traversé par l’idée d’y poser un jour son vélo. Et d’y apporter du flow !


LA PLANIFICATION D’UNE ANNÉE
K.B. « La saison s’articule autour d’un moment charnière : la diffusion du contenu que nous avons créé. Nous avons choisi de le faire l’automne, entre septembre et décembre. Pourquoi ? Car à cette période, après la rentrée, notre public ressent une pointe de nostalgie liée à ses rides estivaux. Il fait également moins de vélo et passe plus de temps sur les écrans. Une fois l’automne passé, on clarifie nos idées, on échange jusqu’en janvier, et un, voire deux projets émergent. Nous les organisons l’hiver, puis partons les tourner au printemps, afin que Nix puisse les monter durant l’été. Cette étape de montage est absolument titanesque. On se doute rarement de l’ampleur de ce travail de l’ombre. D’ailleurs, dans cette logique de pousser vers de la qualité plutôt que vers de la quantité, nous souhaitons réduire le nombre de nos projets annuels, de trois à deux, voire peut être à un, dans le but d’apporter un "vrai plus" à chaque fois. Candide Thovex est la meilleure source d’inspiration à cet égard. »
P.H. « Kilian souligne quelque chose de fondamental : la volonté de mettre la barre toiujours plus haute chaque fois. Si on ne tient pas quelque chose de différent, de singulier ou tout simplement de mieux que le projet précédent, on y va à reculons. Pour apporter un élément supplémentaire à notre planning, il y a aussi un enjeu majeur lié au pic de forme pour Kilian – me concernant, je dois juste être suffisamment entraîné pour pouvoir le suivre, et lui doit arriver en pleine possession de ses moyens physiques et psychiques pour exprimer tout son potentiel et réaliser une belle performance lors du tournage. Les belles images sont à ce prix ! »

LE PARADOXE DES RÉSEAUX SOCIAUX
K.B. « Évidemment que cela me dérange de me dire que notre boulot, et sa réussite, tiennent à un algorithme que l’on ne maitrise pas et dont les codes changent perpétuellement. Néanmoins, après de longues discussions à ce sujet, nous avons décidé d’opérer un pas de côté, d’autant plus que les réseaux sociaux sont aussi, ce qui nous a fait connaître : nous produisons du contenu qui plait à l’algorithme, afin de capter un maximum de monde, pour ensuite les emmener avec nous, vers ces projets qui, dans le fond et la forme, nous plaisent vraiment ! Aujourd’hui, j’aime faire un ‘Réel’ composé de belles images engagées et d’une musique tendance, car je sais qu’il va ‘péter’ et que l’algorithme va le valoriser. Mais j’aime encore plus ces projets de long terme, esthétiques, cinématographiques, où l’on récolte moins de retours, certes, mais plus qualitatifs… »
P.H. « On joue des réseaux sociaux. En ayant conscience de leur puissance, mais également de leurs limites. Quoi qu’il advienne, nous mettons un point d’honneur à partir d’un format vidéo principal intemporel, qui exprime tout son potentiel nulle part ailleurs qu’au cinéma. Ce que nous adaptons, c’est tout ce qu’il y a autour…
Le contenu qui va permettre de donner de la visibilité à notre film. Si je porte un regard très froid et pragmatique, les réseaux sociaux m’ont sorti de ma zone de confort, de mes habitudes, de mes préférences, sur deux aspects concrets : désormais, je dois aussi penser la composition mes images en format vertical ; enfin, je ne peux plus me permettre de faire monter le suspense comme je me plaisais de le faire auparavant puisqu’il s’agit d’attraper l’attention dès les trois premières secondes de visionnage ! »

LA SUITE
K.B. « Nous prévoyons un gros trip aux États-Unis cet été. Une terre où il sera très compliqué d’apposer la signature que l’on évoquait précédemment. En effet, nous avons de plus en plus de mal à nous rendre dans des endroits insolites, soit parce qu’ils sont devenus mainstream, soit parce que c’est interdit. Raison pour laquelle le continent sud-américain me plait autant : j’y éprouve un sentiment de liberté beaucoup plus épanouissant ! »
P.H. « Aux États-Unis, il va être très difficile de surprendre le public avec du ‘jamais-vu’. Tout a, presque, déjà été défriché. Nous allons donc tenter d’apporter une note créative au montage, à la mise en scène, en post-production, en s’inspirant encore plus des codes du cinéma ! »
Interview de Baptiste Chassagne