À la recherche constante de cette imperfection qui donne vie à une image, et de cet ingrédient secret capable de raconter une histoire en un seul cliché, le photographe italien Daniele Molineris excelle dans l’art de la narration visuelle, tout autant que dans la préparation du tiramisù. Fasciné par l’effort physique, les paysages qui l’accompagnent et la tension invisible entre la performance sportive et la nature, il impose une signature photographique singulière, forgée avec instinct et le travail de ses mains, comme tout transalpin qui se respecte.

Il nous avait prévenus : pour le rencontrer dans son studio, il faudra venir avec du bon chocolat noir. En échange, il vous préparera un véritable café. Seule condition : lui écrire avant de frapper à la porte. C’est chose faite. La porte s’ouvre… Rencontre.
Pour commencer, la traditionnelle question des portfolios : quelle est ton histoire personnelle avec la photographie ?
J’ai commencé comme graphiste en 2002, mais j’ai vite réalisé que, pour créer les visuels que j’avais en tête, il me fallait de meilleures images. Alors en 2004, j’ai acheté mon premier appareil photo numérique : un Olympus E3. Il avait déjà pas mal de mégapixels à l’époque : 8, pour être précis ! Mes premières photos étaient affreuses. J’ai vite compris qu’avoir un appareil ne signifiait pas savoir prendre de belles photos. Alors, pour la première fois de ma vie, je me suis mis à étudier sérieusement. J’ai beaucoup photographié, surtout la nuit, car c’était le seul moment libre que j’avais. Au début, je le faisais pour améliorer mes projets de design, mais avec le temps, j’ai compris que ce qui me fascinait vraiment, c’était de raconter des histoires à travers les images. Au-delà du résultat final, j'ai aimé le fait de faire partie de l’histoire. Au fil des années, je me suis retrouvé face à des athlètes de plus en plus intéressants, des gens qui avaient quelque chose à dire. Depuis 2012, je suis photographe à temps plein, et je n’ai jamais cessé de chercher des histoires.
À l’époque, la photographie ne t’intéressait pas : quelles étaient tes passions ?
Jusqu’à mes 23 ans, je n’avais pas vraiment de passions majeures, hormis le snowboard. Je faisais un peu de volley, mais j’étais un ado timide, un peu à part, qui grandissait dans une petite ville et avait du mal à trouver sa place. Puis j’ai commencé à travailler comme graphiste, parce que j’aimais dessiner et faire du graffiti, et en 2004, quelque chose a changé : pour la première fois, je me suis vraiment passionné pour quelque chose. Cette même année, j’ai aussi découvert la montagne, comme un endroit où je pouvais aller seul. Au début, c’était juste pour le snowboard, mais ensuite c’est devenu la montagne en toutes saisons. Le VTT est arrivé un peu par hasard, dans ces mêmes années. Un jour, après une journée de boulot épuisante, j’ai ressenti le besoin de bouger. J’ai acheté un VTT, et je ne me suis jamais arrêté. Aujourd’hui, je fais aussi du gravel et du vélo de route. Je ne suis rapide sur aucun d’eux, et ça m’a longtemps frustré. Heureusement, la vie m’a emmené ailleurs. Pas très loin, juste différemment. Finalement, j’ai trouvé ma place aux côtés des professionnels du sport.
Au-delà du résultat final, j'ai aimé le fait de faire partie de l’histoire

pour la première fois, je me suis vraiment passionné pour quelque chose
Comment es-tu devenu photographe professionnel ?
Je suis devenu photographe à plein temps en 2012. J’avais commencé à collaborer avec quelques grandes marques, et à un moment donné, il a fallu faire un choix : rester dans un emploi stable en tant que salarié, ou tout risquer pour essayer de vivre de la photographie. J’avais déjà 32 ans, mais je sentais que c’était le moment. Ce fameux "c’est maintenant ou jamais". J’ai sauté le pas. Et je dirais que ça a plutôt bien marché.
Tu as une passion particulière pour le VTT. Qu’est-ce qui t’attire le plus dans ce sport, et comment influence-t-il ton approche de la photographie ?
J’ai toujours adoré le VTT. Ce sport m’a appris une forme de fatigue que seul le vélo peut te donner. J’aime la boue, la sueur, tout ce qui te colle à la peau. Mes premiers vrais jobs se sont faits sur la neige, mais j’ai vite compris que les sports ont souvent beaucoup en commun. Les athlètes partagent généralement certains traits, et ça me fascine. Je suis attiré par la performance, bien sûr, mais aussi par tout ce qui se passe avant et après. Le VTT est exigeant, technique, souvent solitaire. Il te met en contact avec le paysage, mais aussi avec tes propres limites. J’essaie toujours de retranscrire cette intensité émotionnelle dans mes images : l’effort, la concentration, le lien avec l’environnement. Ce n’est pas juste un spectacle, c’est une histoire.
Tu disais être passionné de vélo et de féculents : alors, plutôt cyclisme ou tiramisù ?
Tout dépend de l’heure de la journée ! Disons que je fais du vélo pour pouvoir savourer mon tiramisù sans culpabiliser. J’ai découvert le sport assez tard : enfant, j’étais un peu enrobé et très gourmand. Je n’ai toujours pas le physique d’un grimpeur, mais j’ai appris à aimer l’effort. Et si cet effort me permet de profiter d’une part de dessert en plus, c’est encore mieux !
Qu’est-ce que tu aimes le plus dans la photographie de mouvement et de sport ?
L’imprévu. On peut tout préparer, tout planifier, mais au final, il faut être là, présent, attentif, prêt. Quand tout s’aligne, le mouvement, la lumière, le contexte, on sait qu’on a capturé quelque chose de vrai. Il existe différents types de photographie de sport. Les shootings commerciaux viennent avec des briefs, des contraintes, la possibilité de refaire les prises. Et j’aime ça, en fait : intégrer mon point de vue dans un cadre défini, c’est stimulant sur le plan créatif. Mais quand on suit une course, un projet personnel ou un événement en direct, tout change. On entre dans une sorte d’apnée, le “couteau entre les dents”, on shoote sans relâche, et on ne respire à nouveau qu’au moment de transférer les fichiers. Cette tension, de l’angoisse à l’action, puis à la réalité, c’est quelque chose que j’adore.
J’essaie toujours de retranscrire cette intensité émotionnelle dans mes images


je fais du vélo pour pouvoir savourer mon tiramisù sans culpabiliser
Cette tension, de l’angoisse à l’action, puis à la réalité, c’est quelque chose que j’adore
Avec la photographie, tu ne cherches pas le beau au sens esthétique, mais plutôt raconter une histoire, qu’elle soit vraie ou inventée. Quels sont, selon toi, les ingrédients d’une histoire marquante, et donc d’une photo forte ?
J’ai passé des années à courir après la perfection : natures mortes, portraits, couvertures… Des choses si parfaites qu’elles en devenaient artificielles. Puis il y a eu Photoshop, et maintenant l’IA. La perfection a cessé de m’intéresser. Quand quelque chose devient facile ou trop accessible, ça perd de son attrait. Aujourd’hui, je vois de la valeur dans l’imperfection. L’essentiel, c’est d’être présent et de raconter l’histoire, idéalement avec sa propre vision. Une bonne histoire comporte toujours une tension ou un conflit, même léger. Une photo marquante n’est pas parfaite : elle est vraie, ou du moins, elle en donne l’impression. J’aime les images qui posent des questions, qui laissent de l’espace. Et si une image est mise en scène, je fais tout pour qu’elle n’en ait pas l’air.
Quel équipement, appareil photo et objectifs utilises-tu habituellement ?
Je shoote avec Sony. J’ai deux boîtiers plein format et une gamme d’objectifs couvrant du 12 mm au 600 mm. Quand je peux, je préfère les focales fixes comme le 35 mm ou le 135 mm, mais en montagne, il faut souvent faire des compromis. Du coup, j’emporte généralement un 70-200 mm et un 16-25 mm. Et un drone, quand j’ai la place.
Dans une interview, tu comparais Instagram à un « bon piano-bar : un endroit où ceux qui chantent juste et jouent bien du piano interprètent les chansons des autres, et où l’on retrouve beaucoup de photos similaires. » Comment as-tu réussi à te démarquer dans ce contexte ?
Si je me suis démarqué, c’est parce que j’ai accepté ma propre voix. Je ne peux pas faire de photos « à la Instagram », ce n’est tout simplement pas mon langage personnel. Au fil des années, j’ai essayé de changer, pour finalement accepter ce que je suis. Parfois, je ne l’aime même pas, mais c’est moi. Et honnêtement, on regarde tous les autres en se disant qu’ils sont meilleurs, alors qu’eux aussi pensent probablement la même chose d’eux-même. Je ne cours pas après les tendances. Je cherche des histoires et ma propre manière de les raconter. Ça n’apporte pas toujours des résultats rapides ni des tonnes de « likes », mais ça m’évite de m’ennuyer.


J’aime les images qui posent des questions, qui laissent de l’espace
J’ai aussi lu que tu prends presque toujours tes photos en mode manuel, et que pour toi, c’est « comme quand tu bois ton café sans sucre : au début, c’est infect, mais après, tu ne peux plus revenir en arrière. » Comment gères-tu le mode automatique, et quelles techniques personnelles utilises-tu pour maîtriser ta prise de vue ?
Au début, j’utilisais le mode “priorité à l’ouverture". Ensuite, je suis passé en mode manuel, dans le but d’apprendre à utiliser un appareil photo. Une fois qu’on maîtrise les bases, on peut s’adapter à n’importe quel appareil. Aujourd’hui, je shoote aussi en moyen format et en argentique : vitesse d’obturation, ouverture, c’est toujours la même logique. Parfois, j’essaie de revenir à l’automatique, mais je n’y arrive pas. C’est une question d’habitude. J’ai configuré mes appareils pour avoir un accès rapide à tous les réglages essentiels. Photographier en manuel me maintient dans le moment car je dois lire la lumière, anticiper le mouvement. C’est une question de contrôle, mais aussi de respect pour l’histoire que je cherche à raconter.
As-tu une anecdote de shooting ou une photo à laquelle tu es particulièrement attaché ?
J’en ai plusieurs, mais celles qui comptent le plus sont souvent un mélange de technique, de timing et de symbole. J’ai participé à des courses et des concours, parfois en repoussant mes propres limites physiques, en partageant de vrais moments avec les athlètes. Quand on crée ce genre de lien, les photos prennent plus de poids. Il y en a une qui sort du lot : Giuliano gravissant un couloir à San Martino di Castrozza, piolets en main, skis sur le dos, la neige tombant autour de lui. Cette photo est devenue emblématique et a fait le tour du monde. Je suis retourné sur place, j’ai essayé de la recréer, mais il manquait quelque chose. L’ingrédient secret. Ce quelque chose que je ne comprends toujours pas complètement.
Si je me suis démarqué, c’est parce que j’ai accepté ma propre voix
