Cyrille Quintard saisit ce que l’œil nu effleure à peine : la grâce d’une foulée, l’intensité d’un effort, la beauté d’un décor. En saisissant l’invisible, son regard magnifie le trail comme une aventure à part entière où chaque respiration résonne comme une émotion. Rencontre avec un photographe qui nous invite à partir à l’assaut des grands espaces.

Pour commencer, la traditionnelle question des portfolios, quelle est ton histoire personnelle avec la photographie ?
La photographie a toujours été mon métier. Après mon baccalauréat, je suis parti en école de photo à Rochefort-Sur-Mer puis j’ai passé mon CAP photo. J’ai ensuite travaillé comme pigiste pour un journal local. Puis après, j’ai lu des annonces dans des bouquins, car je suis assez vieux quand même, donc pour trouver du travail avant, il n’y avait uniquement par ce biais là (rires). J’ai donc vu une annonce pour un photographe à l’Alpe d’Huez et je suis arrivé là-bas en 1997.
Tu es tombé dans la photographie de trail sur le tard, comment as-tu découvert cette discipline ?
Au début, dans les années 2010, j’ai commencé à courir, je mettais des dossards sur les Templiers, les premiers UT4M, mais aussi les courses locales autour de l’Alpe d’Huez. À ce moment-là, j’avais arrêté la photo car je sentais que j’en avais besoin à cet instant de ma vie. Je travaillais comme chauffeur de taxi à l’Alpe d’Huez donc j'avais plus de temps pour courir. Et un jour, une amie m’informe d’un concours photo sur Facebook avec François D’Haene. J’ai tenté ma chance, j’ai remporté le concours et j’ai eu la chance de partir trois semaines en Équateur avec lui, Salomon et Jean-Michel Faure-Vincent. J’ai pu allier mon métier de toujours avec ma passion, qui était de courir. D’ailleurs, aujourd’hui, les jeunes qui arrivent dans le métier courent tous, alors qu’avant ce n’était pas forcément le cas. Après cette expérience, j’ai repris la photographie, essentiellement dans le trail mais aussi dans le vélo, le triathlon, et les sports estivaux.
Quel est l’élément qui t’a le plus marqué et plu dans ce milieu ?
Au départ, je pratiquais le football, un sport très éloigné du trail. Pourtant, j’ai tout de suite été attiré par la photographie de trail, car ce sport était une véritable passion. Quand on me demande pourquoi j’aime ce que je fais, j’aime parler de l’approche particulière qu’offre ce sport. C’est le fait d’aller dans un lieu inconnu, comme si je prenais un dossard pour grimper jusqu’à un sommet. Ce que je préfère, c’est ce moment en amont, quand je suis seul sur place, bien avant l’arrivée des coureurs, avec les bénévoles ou les ouvreurs. J’apprécie cette phase d’observation, de préparation, où l’on analyse l’environnement avant que l’action ne commence.
un jour, une amie m’informe d’un concours photo sur Facebook avec François D’Haene

Ce que je préfère, c’est ce moment en amont, quand je suis seul sur place, bien avant l’arrivée des coureurs, avec les bénévoles ou les ouvreurs
Tu as eu la chance de pouvoir photographier les plus grands noms de ce sport tels que Kilian Jornet, François D’Haene ou Nathalie Mauclair, sur des courses mythiques. Comment captures-tu les essences et atmosphères différentes des sportifs et courses ?
J’ai déjà entendu Alexis Berg en parler et je ne crois pas qu’on réfléchit réellement à tout ça. C’est comme une évidence. Par exemple, je ne vais jamais reconnaître auparavant le tracé d’une course, par manque de temps principalement mais aussi parce que je fais totalement confiance à l’organisation des courses. Ils nous donnent les meilleurs spots, les horaires propices aux belles lumières… Le jour-j, quand tu arrives sur les lieux, tu analyses l’environnement et c’est un ressenti. Je commence à imaginer les angles de prises de vue, puis ensuite je marche un peu plus loin et je me rends compte que c’est mieux. Ce n’est pas un calcul. Il se faisait sur l’appareil photo en lui-même quand nous n’étions pas encore en numérique. Désormais, l’appareil calcule presque tous ces paramètres là. Je n’ai pas de plan d’attaque, c’est plutôt à l’instinct.
Tu disais qu'il y a des photos qui datent de 6 ou 7 ans qui ne ressemblent plus vraiment à celles que tu prends maintenant. En quoi ton style a évolué ?
Je pense qu’en photographie, comme dans n’importe quel autre métier, tu prends de l’expérience, tu vois les choses différemment. En 2015, on était peut-être une dizaine de photographes de trail. Aujourd’hui, on regarde ce que font les autres car désormais tout le monde peut faire des photos alors on apprend des autres, même sans demander on peut voir comment l’image a été faite. J'apprends des petits jeunes mais aussi des anciens, à l’image de la vie finalement. D’ailleurs, quand j’étais sur la Maxi Race, j’ai discuté avec un photographe de mon âge sur le fait que les techniques photographiques d’avant reviennent, comme les photos sur pellicule. Il y a des modes dans la photo et la tendance actuelle se dirige vers cet aspect d’anciennes photos.
aujourd’hui, les jeunes qui arrivent dans le métier courent tous, alors qu’avant ce n’était pas le cas

Ton art s’exprime dans l’art du portrait, que trouves-tu de si spécial à photographier des visages ?
Sur une course, on retrouvera peut-être trois athlètes élites et mille coureurs inconnus. Donc évidemment, je vais prendre en photo les stars mais aussi ces coureurs de la même manière. Je pense d'ailleurs qu'ils représentent plus le trail car ce n’est pas leur vie, ni leur métier donc ils peuvent exploser plus que les élites qui jouent parfois la comédie de ces performances sur lesquelles ils travaillent au quotidien. On obtient des réactions et des émotions peut-être plus vraies de la part des coureurs “lambda”. Il y a bien sûr les paysages mais la ligne d’arrivée fait partie de la course à part entière et j’aime bien observer ces moments, c’est important.
Comment gère-t-on avec le matos et les kilos dans le dos ? Suis-tu une préparation particulière ?
Auparavant, je courais tous les jours, sans exception et à l’heure actuelle, je cours beaucoup moins. Je le ressens. Alors maintenant, je pars plus tôt sur les courses pour moins être dans le rouge, pour être à l’heure. Cela dit, on est toujours à l’heure, même un peu trop en avance (rires). On parle souvent de trail en montagne mais sur des trails plus plats, comme dans le Nord de la France, le VTT électrique peut m’aider dans mes déplacements. En partant en avance, je regarde plus les choses que lorsque je courais comme un barjot avec le matos dans les mains !
Quel équipement, appareil photo et objectifs utilises-tu habituellement ?
Je travaille avec Canon. En général, je pars avec deux boîtiers, un objectif différent sur chaque appareil. Ces objectifs couvrent du grand angle jusqu’au téléobjectif. On ne bouge pas ces objectifs de l’appareil, ce qui nous permet d’avoir tout sur soi. Je pars de plus en plus léger, un sac de trail rembourré et un objectif en plus si jamais.
Le jour-j, quand tu arrives sur les lieux, tu analyses l’environnement et c’est un ressenti
J'apprends des petits jeunes mais aussi des anciens, à l’image de la vie finalement

Tu traites aussi d’autres sports. En quoi capter des images de trail est singulier par rapport à toutes ces autres formes de sport ?
Belle question ça tiens… Je pense que c’est le sport que je pratique et que je connais par cœur, ses failles et son essence. Je photographie aussi le triathlon et pour autant je ne connais pas les athlètes, leurs souffrances dans l’effort donc ce n’est pas pareil. Je vois le trail autrement, de l’intérieur comme pratiquant et passionné.
“Je connais par coeur les failles et l’essence du trail”
Enfin, peux-tu me décrire la photo que nous avons choisie pour la couverture de cette édition ?
Cette photo a été prise lors du Grand Raid des Cathares, fin octobre 2024, donc tout récemment. L’organisation m’a aiguillé sur ce sommet à prendre en photo. La course partait de nuit donc ils voulaient un cliché du lever du soleil. Un moment de la journée qui n’est jamais le même, presque unique. J’ai immortalisé le moment avec en prime la mer de nuage. J’étais bien content d’être là-haut et c’était magique. C’est le début des Pyrénées, pas une altitude très haute mais tous les éléments étaient réunis. Et ça ce n’est pas tous les jours !
On obtient des réactions et des émotions peut-être plus vraies de la part des coureurs “lambda”
Je connais par coeur les failles et l’essence du trail