Texte Baptiste Chassagne
Fleury Roux est un drôle d’oiseau. Sauf que lui ne migre pas : il trace des azimuts. Autrement dit, il dessine des itinéraires sur des cartes, puis les suit, comme on parcourt un chemin de vie.
Son dernier exploit ? Une traversée de la France, du point le plus au Sud jusqu’à son extrémité Nord, avec un ami, par leurs propres moyens, à la force des jambes, et sans GPS. Fleury nous fait le récit de ce défi physique, cartographique et logistique hors norme de 1334 kilomètres et 23 400 mètres de dénivelé bouclé en 11 jours.
LA GENÈSE : TRAVERSER LA NORVÈGE ET L’HIMALAYA EN GUISE D’ÉCHAUFFEMENT
« Je passe énormément de temps à disséquer mes cartes et travailler des itinéraires. C’est une passion que j’enracine dès l’enfance, lorsque je pratique la course d’orientation à haut-niveau, dans mon Pilat natal. J’aime tracer, mémoriser et reproduire directement sur le terrain, en nature. Le projet Azimut Nord nait cette façon, en 2019, en posant mon regard et en baladant ma curiosité sur la carte de l’Hexagone. Je me demande quel est le point le plus au Sud de la France. Puis, à partir de là, Puig de Coma Negra, dans les Pyrénées Orientales, je dessine un azimut Nord, soit une droite à 0°, et je tombe alors nez à nez avec une coïncidence extraordinaire : cette perpendiculaire rejoint le point le plus au Nord du pays, à Bray-Dunes, au niveau de la frontière avec la Belgique. Il faut plus de 5 ans pour que l’idée transite de l’imagination à la réalisation. Avant de mener ce projet à bien, je ressens le besoin de vivre autre chose, de gagner en maturité. Je le range dans un coin de ma tête et balade mon baluchon sur d’autres expéditions très enrichissantes, dont la traversée de la Norvège à pied, avec mon frère ; puis la Great Himal Race, une diagonale himalayenne de 1600 km avec un dénivelé positif de 90.000 m et 17 cols à plus de 5000 m. »
Le projet Azimut Nord nait de cette façon, en 2019, en posant mon regard et en baladant ma curiosité sur la carte de l’Hexagone


LA PRÉPARATION : LA CONTRAINTE D’UN COULOIR DE 5 KM DE LARGE...
« La préparation n’a rien d’idéal puisqu’en septembre 2024, je contracte une blessure de la cheville qui nécessite une opération. Je ne m’entraine pas de l’automne mais ‘Azimut Nord’ devient ma source de motivation principale à l’heure de passer une partie de l’hiver dans un centre de rééducation. Je sais pertinemment que je ne serai pas sur un pic de forme au départ, mais je ne me mets aucune pression si ce n’est celle de finir. Un ami, Pierre Martinez, se propose de m’accompagner. Partager l’aventure grandit mon enthousiasme et ma sérénité. En amont du grand départ, on se fixe néanmoins quelques règles, pour ajouter un soupçon de piment au voyage qui s’annonce. Tout d’abord, s’inspirer de nos compétitions en raid aventure – avec une approche multidisciplinaire positionnée entre le trek, le trail, le VTT et le canyoning – pour adapter le moyen de déplacement au type de terrain, mais sans jamais rien utiliser de motorisé. Ensuite, de se mettre la contrainte d’un couloir de 5 km de large duquel nous ne pourrons pas sortir tout au long de la traversée, que ce soit pour avancer, dormir ou manger. Enfin, de tout faire en orientation, à base de cartes, sans sortir notre GPS ou notre téléphone. Un projet ultra-pur en somme. »
LE DÉPART : DES CONDITIONS DANTESQUES POUR COMMENCER
« Le départ s’effectue depuis le village de Lamanère, dans les Pyrénées Orientales, avec une petite randonnée de 7 km et 600 m de dénivelé positif qui nous conduit au Puig de Coma Negra, à la frontière franco-espagnole. À partir de là, l’aventure débute véritablement. Dame Nature décide de nous dire tout son chagrin de nous voir partir et nous réserve des conditions dantesques, avec du brouillard, de la pluie et quasiment 40 cm de neige fraîche au franchissement du premier col. Malgré ça, on garde le sourire. On reste animé d’une belle énergie. Rien ne peut doucher notre enthousiasme. »
Pour rester dans notre couloir de 5 km de large, nous sommes obligés d’emprunter beaucoup de ‘hors-sentier’

LE 2ème JOUR : LE DOUTE
« Si la première journée fut éprouvante, la deuxième se révèle plus que costaude. Ce n’est pas tant la distance – de 60 km – qui fait la difficulté, mais la végétation particulièrement dense. Pour rester dans notre couloir de 5 km de large, nous sommes obligés d’emprunter beaucoup de ‘hors-sentier’ et de couper à travers champs, à travers cette garrigue dense et hostile si caractéristique du Sud. Ces passages nous coûtent beaucoup de temps et d’énergie. Je crois que l’on prend conscience de l’ampleur de la tâche à cet instant précis. Heureusement, nous sommes des ‘orienteurs’ : créer son chemin là où il n’y en a pas – en mode sangliers – nous est familier ! On finit cette étape de nuit, s’autorisant un repos bienvenu mais bien trop court, avant de repartir sur une troisième journée du même acabit : 57 km hors des sentiers battus, lestés de nos sacs avoisinant les 8 kg. »
LE 4ème JOUR : DU VTT & DES BOULANGERIES !
« On achève la troisième étape complètement cuits. Heureusement, le quatrième matin, qui marque une transition vers l’usage du VTT, est vécu comme une délivrance pour le corps et l’esprit ! Pédaler plutôt que crapahuter contente nos jambes mais aussi notre motivation. L’effort demeure éreintant. Les 130 km de vélo quotidiens – à porter la bicyclette sur de longues portions techniques car à nouveau contraints par le couloir de 5 km – laissent des traces. On doit alors notre salut aux boulangeries, avec lesquelles les rencontres se multiplient à mesure que l’on entre dans des régions moins reculées, plus habitées. Je garde un souvenir ému de ce croissant au jambon et au fromage dans lequel je croque, lors du 5ème jour, alors que l’on traverse l’Aveyron ! La gestion de la faim devient l’un des principaux enjeux d’‘Azimut Nord’ ! En effet, au-delà de l’effort physique, la concentration permanente pour déterminer le meilleur itinéraire implique une dépense énergétique énorme qu’il nous est impossible de combler via l’alimentation. Tout au long de l’expédition, je me réveille en pleine nuit, rappelé à l’ordre par mon estomac qui gargouille. Un petit paquet de bonbons Dragibus ou un plat lyophilisé plus tard, le marchand de sable revient ! »
Je garde un souvenir ému de ce croissant au jambon et au fromage dans lequel je croque, lors du 5ème jour

LE 7ÈME JOUR : LA CONVIVIALITÉ, OU L’ART DE VIVRE À LA FRANÇAISE
« Après cette parenthèse à VTT salvatrice, deux journées de trail se présentent à nouveau à nous afin de franchir le massif du Cantal. À l’issue de ces 100 km de ‘hors-sentier’ rugueux et vallonnés, nous laissons choir nos carcasses fourbues à Trizac, un petit village peuplé de moins de 500 habitants. Attablés au café du coin, sur la place centrale, nous faisons connaissance avec un élu local, qui se prend d’affection pour notre binôme. Il se propose de nous ouvrir un appartement qui appartient à la mairie, et dans lequel nous allons pouvoir roupiller jusqu’au lendemain. Un geste d’une grande générosité qui donne le ton de la bienveillance et de la chaleur humaine qui va nous accompagner tout au long de notre tentative. À l’aube du 8ème jour, je reçois sur les réseaux sociaux où je documente notre avancée, un message de Léo qui offre lui aussi de nous héberger. On vérifie alors que son logement se situe bien dans le couloir autorisé : quel soulagement de constater que sa localisation est règlementaire, pour seulement 20 mètres ! »
LE 9ème JOUR : FRANCHIR LA LOIRE, PUIS L’AÉROPORT PARIS-CHARLES DE GAULLE
« À partir de là, il ne nous reste ‘que’ du gravel. La progression est bien plus rapide sur deux roues que sur deux pieds. Contrairement aux petits segments parcourus en trail, voir notre localisation évoluer chaque soir de plus de 200 km fait beaucoup de bien au moral ! En revanche, deux obstacles majeurs demeurent. Deux écueils suffisamment importants pour immiscer le doute quant à notre réussite et maintenir le niveau d’implication à son maximum. La traversée de la Loire, au 114ème km du 9ème jour, tout d’abord, qui nécessite le prêt d’un canoë-kayak par un ami afin d’enjamber sur plus de 300 m les eaux agitées de ce fleuve mythique qui fend l’Hexagone. La traversée de l’aéroport Paris-Charles de Gaulle, ensuite, le 10ème jour, via un tunnel de plusieurs kilomètres sillonnant sous les pistes d’atterrissage. »
voir notre localisation évoluer chaque soir de plus de 200 km fait beaucoup de bien au moral !

La traversée de l’aéroport Paris-Charles de Gaulle, le 10ème jour, via un tunnel de plusieurs kilomètres sillonnant sous les pistes d’atterrissage
L’ARRIVÉE : « LE VENT DU NORD, LA PLAGE & UN WELSH »
« J’avais annoncé en amont du départ que le pire pouvant nous arriver serait la défaveur du vent du Nord. Il semblerait qu’Éole ait porté une oreille attentive à mes craintes et ait décidé de considérablement complexifier notre fin de parcours. La dernière journée de gravel, affichant 190 km, finit d’épuiser nos batteries et notre patience grâce à ces bourrasques fortes et constantes, que l’on avale pleine face, et ces longues lignes droites qui entèrent notre motivation dans des champs à perte de vue. Finalement, nous atteignons Bray-Dunes au crépuscule. L’odeur de la marée a la vertu d’un électrochoc, comme si je prenais soudainement conscience du chemin parcouru. On franchit une dernière dune puis on se jette dans la mer du Nord, comme un symbole. Le bonheur qui nous envahit se veut simple, à l’image du projet. Il n’y a pas d’effusion de joie outre-mesure, juste une satisfaction pure et simple, qui nous ressemble : on avait une idée, on l’a concrétisée, en respectant les règles que l’on s’était fixées ! On s’autorise néanmoins un ‘welsh’, la spécialité locale, pour célébrer. »
LE BILAN, LA SUITE : VOIR LA FRANCE AUTREMENT
« Ce qui me satisfait le plus, c’est d’avoir eu l’opportunité de percevoir mon pays différent, en découvrant des régions que je n’aurais jamais visitées sans ce projet. J’ai été marqué par la diversité de la France, en termes de paysages, de végétation, d’architecture... La France est si riche naturellement et culturellement parlant ! J’ai aussi été très agréablement surpris des retours chaleureux portés à notre azimut. Je redoutais de me lancer dans une aventure trop individualiste, au sens où elle n’avait de sens que pour moi. Finalement, tracer un itinéraire comme on parcourt un chemin de vie, par ses propres moyens, et le partager avec ses proches – notamment un ami et mon frère – ça évoque des choses chez pas mal de monde ! On m’a d’ailleurs demandé si nous allions tenter l’autre azimut, d’Est en Ouest : c’est une option, mais pas toute de suite ! »
L’odeur de la marée a la vertu d’un électrochoc, comme si je prenais soudainement conscience du chemin parcouru
Les mensurations d’Azimut Nord
• 1334 kilomètres et 23 400 mètres de dénivelé bouclé en 11 jours
• 5 jours de trail : 257 km, 9300 D +
• 2 jours de VTT : 252 km, 6 000 D +
• 4 jours de gravel : 825 km, 8 100 D +
• et même une traversée de la Loire en canoë