Arthur Forissier n’a d’autres superpouvoirs que son talent et sa force de travail pour s’imposer à 24 ans comme la nouvelle référence tricolore du X-Terra. Champion du monde de cross-triathlon, discipline sauvage et nature où le VTT remplace le vélo et le trail se substitue à la course à pied, Arthur Forissier a prouvé cette saison qu’il était bien doté du Facteur X. Cette mutation génétique de la gagne qui lui offre l’espoir de régner un jour sur un sport qui a le vent en poupe. Entretien vent de boue.

Espagne, France, Italie, Suisse, République Tchèque… Non, vous n’êtes pas en train de feuilleter le passeport d’un étudiant parti le temps d’un été découvrir l’Europe muni d’un simple ticket Interrail. Par contre, vous venez tout juste d’éplucher le tableau de chasse d’Arthur Forissier au sortir d’une saison 2019 déjà exceptionnelle, alors même qu’elle n’a pas encore atteint son crépuscule. Champion du monde de cross-triathlon et vainqueur de plusieurs manches du circuit X-Terra, le stéphanois d’origine semble, à défaut d’Interrail, être monté dans le bon wagon. Le wagon d’un train qui carbure au talent, à l’ambition et à la force de travail d’un athlète qui sait aller au charbon. Le wagon d’un train qui roule à grande vitesse à travers le Vieux-Continent pour bientôt atteindre son terminus : la grande explication finale d’Hawaï, en octobre prochain. Rencontre avec la locomotive française d’une discipline lancée sur de bons rails.
PÂTES-FROMAGE, SPIRALES POSITIVES ET CRU MILLÉSIME

Comment s’est faite ta découverte du triathlon ?
Ma découverte de la discipline est assez récente. Tout a commencé au lycée, en 2011, à Saint-Etienne. J’étais très assidu aux « Activités Physiques de Pleine Nature », où je me suis un jour essayé au Run and Bike. Cela s’est plutôt bien passé et le club de triathlon local, l’ASMSE Tri 42, a alors proposé de me licencier. J’adorais les longues randonnées à VTT du week-end. Les anciens y faisaient régner un esprit très convivial, tourné vers le plaisir de rouler ensemble et le partage du classique ravitaillement « pâté-fromage » post-sortie. Je me suis laissé tenter et ai couru mes premiers triathlons à l’âge de 17 ans. Je ne savais absolument pas nager mais malgré cela, j’avais le « moteur » qui me permettait de m’en tirer honorablement.
Et ta découverte du cross-triathlon ? On peut parler de coup de foudre, de retour à tes premiers amours ?
Carrément. C’est un peu les deux ! La conviction d’avoir trouvé au détour de mon premier dossard, sur le X-Terra France, en juillet 2014, le sport qui me convenait. Et ce en même temps qu’un retour à ma discipline de prédilection : le VTT. Sans entrainement spécifique, à 20 ans, je termine 35ème de l’épreuve et me qualifie pour la finale mondiale d’Hawaï dans ma catégorie d’âge. Motivé par de réelles perspectives de progression, j’effectue la bascule en 2016 et décide de me dédier pleinement au cross-triathlon via l’obtention d’un statut professionnel sur le circuit international X-Terra.
EN CROSS-TRIATHLON, LA TÊTE EST AU MOINS AUSSI SOLLICITÉE QUE LES JAMBES AYANT DÉMARRÉ TARD, J’AI CETTE CHANCE DE N’AVOIR JAMAIS STAGNÉ.

Depuis, ta progression est linéaire, jusqu’à cette saison 2019 exceptionnelle...
Depuis l’obtention de mon statut professionnel, celui qui te permet de partir avec la vague « élite » et aspirer aux primes de résultats, j’ai connu une progression constante. Ayant démarré sur le tard, j’ai cette chance de n’avoir jamais stagné. Cette sensation d’évolution perpétuelle offre des conditions très propices à l’enclenchement d’un cercle vertueux. Et c’est cette spirale positive qui m’a conduit jusqu’à cette saison 2019 particulièrement aboutie…
Justement, peux-tu nous raconter cette année 2019 de l’intérieur ? Quels sont les éléments qui en font un cru millésimé ?
J’ai débuté la saison au X-Terra Grèce, en avril. Je termine deuxième au sortir d’une course particulièrement riche en enseignements. Cette deuxième place avait cette petite pointe d’amertume qui m’a permis d’arriver sur les échéances suivantes avec le couteau entre les dents. Revanchard, je deviens Champion du Monde, deux semaines plus tard, en Espagne. Ensuite, j’enchaine avec le titre de Champion de France et trois victoires consécutives sur les manches suisse, française et italienne de X-Terra. Cet enchainement de performance génère de la confiance et un changement de statut. Je sais que je suis attendu désormais, que j’ai une étiquette de favori accolé dans le dos. Cependant, ce n’est pas une consécration et je me projette avec beaucoup d’ambition sur la finale mondiale de X-Terra, à Hawaï, le 27 octobre prochain. C’est simple, dans notre sport, il n’y a pas plus belle victoire ! C’est la plus prestigieuse. Et de loin !

CLICHÉ, PILOTAGE & PLAGE HAWAÏENNE
Qu’est ce qui t’a fait basculer du triathlon au cross-triathlon ? Autrement dit, quelles sont les spécificités qui t’ont immédiatement séduites ?
La première des raisons, très palpable, c’est la différence d’état d’esprit que tu peux ressentir entre les deux disciplines. Le cliché du triathlète assez égocentrique et matérialiste n’est pas galvaudé, surtout sur les longues distances type Iron Man. Loin de moi l’idée d’émettre un jugement, mais je ne me reconnaissais pas trop dans cet univers très tourné vers sa performance à soi, le culte du corps... Sur le circuit X-Terra, il est assez déconcertant de constater combien les relations entre athlètes sont chaleureuses et amicales. Pendant la course, nous sommes adversaires, mais avant et après, on est potes ! La compétition est ultra-saine. Le fair-play est l’une des valeurs fondamentales du cross-triathlon.
Et sur des aspects purement technique et physique, quelles sont les principales différences ?
Pour moi, le cross-triathlon se démarque sur trois aspects. Le premier, c’est la dimension stratégique liée à des parcours très (très) variés d’une compétition à l’autre. Certains sont semés d’embûches quand d’autres sont beaucoup plus roulants. D’où l’importance du repérage en amont. Le deuxième, c’est la prépondérance de la fluidité technique. Nous évoluons sur des terrains très sinueux, qui demandent beaucoup d’engagement, de lucidité et des qualités de pilotage indéniables, notamment en VTT. Enfin, le dernier axe différenciant est purement physiologique : chez nous, impossible de produire un effort lisse et régulier comme en triathlon. Il faut perpétuellement relancer dans les bosses, anticiper les trajectoires en descente... La tête est au moins aussi sollicitée que les jambes !
Si tu devais revêtir la robe de l’avocat du cross-triathlon plaidant pour sa discipline auprès d’un auditoire de passionnés des sports outdoor, quel serait ton argumentaire ?
Je pense pouvoir me montrer assez convaincant (Sourire) ! Je commencerais mon plaidoyer en évoquant le cadre incroyable dans lequel nous évoluons. Du Lac de Garde en Italie au littoral grec en passant par les plages hawaïennes, on en prend plein les yeux. C’est aux antipodes de la majorité des triathlons classiques où tu roules sur des autoroutes en regardant tes genoux pour tenir une position aéro… Ensuite, j’insisterais sur le fait que l’état d’esprit est vraiment convivial. Enfin, je conclurais par la dimension ludique de ce sport. La course est passionnante à vivre de l’intérieur, très riche en rebondissements. Impossible de s’ennuyer !
RECONNAISSANCE, SHOCK-TRACK & APPROCHE POLARISÉE

Le VTT et le Trail sont deux disciplines en plein « boom ». Ressens-tu la même dynamique au niveau du cross-triathlon, qui regroupe ces deux pratiques ?
Clairement ! C’est indéniable. Dans les prémices, il fallait expliquer en quoi consistait notre sport même auprès des triathlètes initiés. Désormais, après avoir été un temps considérés comme une discipline périphérique du triathlon, nous sommes reconnus comme une discipline à part entière.
Peux-tu justement nous préciser des éléments qui témoignent d’une réelle dynamique autour du cross-triathlon ?
Tout d’abord, le circuit X-Terra étant relativement jeune, l’organisation prend chaque année des initiatives sur de petites innovations pouvant permettre son développement. Notamment en termes de communication, sur la diffusion des courses en direct. Aussi, on sent une véritable professionnalisation des athlètes. Dans le SAS Élite, le niveau et la densité augmentent de façon exponentielle. Enfin, le succès des différents évènements ouverts au grand public est un indicateur assez éloquent à l’égard de cette popularité croissante. Le X-Terra France, qui se déroule dans les Vosges, a écoulé tous ses dossards en moins de deux mois. Avant, ceci était impensable…
Tu évoques des prises d’initiative pour rendre ce sport plus populaire, plus télégénique : peux-tu nous donner un exemple très concret pour illustrer cette démarche ?
Absolument. Le mois dernier, lors du XTerra République Tchèque, la course classique du samedi fût doublée d’une Short Track le dimanche. Il s’agit d’une épreuve très rythmée et percutante d’un point de vue télévisuel qui réunit les 25 premiers de la veille sur un parcours très technique. Un effort de 40 minutes composé de 2 boucles de natation avec sortie à l’australienne et plongeon, de 4 boucles sinueuses de 1,8 km à VTT, puis 2 tours de 1,4 km en Trail. J’ai pris mon pied (Arthur a remporté l’épreuve mais ne le mentionnera pas, illustration d’une humilité palpable tout au long de l’entretien) !
IL EST ASSEZ DÉCONCERTANT DE CONSTATER COMBIEN LES RELATIONS ENTRE ATHLÈTES SONT CHALEUREUSES ET AMICALES.

Tu as le statut professionnel sur le circuit X-Terra depuis 2017. Cela sous-entend que tu peux vivre de ta pratique à haut-niveau ?
Pas tout à fait ! Je partage mon temps entre ma carrière et mon statut d’entraineur, puisque j’ai récemment validé une licence en STAPS en parallèle. Je vis des primes de course mais également de ce travail avec les 8 triathlètes que j’accompagne au quotidien au sein de la structure Multriman. Celle-ci fût créée par mon premier et unique coach, Christophe Bastie. L’idée est de transmettre notre vision à travers une démarche très saine et portée sur l’humain. D’un point de vue purement physiologique, nous défendons une approche dite « polarisée », c’est à dire composée de beaucoup de volume à basse intensité que l’on complète par du travail à très haute intensité, sur des efforts plutôt courts mais assez violents.
Concrètement, à quoi ressemble ce quotidien où tu conjugues les statuts de coach et d’athlète ?
Mon volume d’entraînement varie entre 20 et 30 heures en fonction de la période de l’année. Il a tendance à augmenter en phase de préparation et à se restreindre à l’aube d’une compétition. C’est ce que l’on appelle la période d’affûtage. En moyenne, mon plan hebdomadaire comprend entre 5 à 6 séances de natation, 3 à 5 sorties de vélo, la même chose en course à pied, de la PPG (Préparation Physique Générale) ainsi que de la préparation mentale. J’effectue la majorité de ces entrainements en groupe. J’ai la chance de bénéficier d’un sparring partner de luxe, capable de me pousser dans mes retranchements, puisque mon petit frère de 21 ans évolue également au très haut niveau en cross-triathlon (6èmeau dernier X-Terra France). Et cette capacité à demeurer focaliser sur ma pratique et mon activité d’entraineur, je la dois au Team T-Vert, une structure de 7 cross-triathlètes qui se charge de l’ensemble des démarches en lien avec la recherche de partenaires. C’est génial que de transformer ainsi en sport collectif une discipline initialement individuelle…
Texte : Baptiste Chassagne